BASHUNG (Alain)

Après de longues années de “galère” ponctuées par la parution de plusieurs 45 tours, Alain Bashung sort un premier album (1979) pas encore satisfaisant, puis un deuxième, “Roulette russe”, qui connaît le succès dans un second temps (après celui, plutôt inattendu, de la chanson Gaby oh Gaby, sortie en 45 tour). Un troisième 30 cm, “Pizza”, dans la même veine, bénéficie de surcroît de la présence de Vertige de l’amour, plébiscitée par le public. En deux albums, Bashung impose un univers (qui doit beaucoup au parolier, Boris Bergman), un style d’interprétation qui le distingue de ses pairs, et une couleur musicale (d’un rock soucieux de faire sonner les mots). Les deux disques suivants, plus expérimentaux (toujours dans une veine rock) ne cherchent nullement à caresser le poil du public ayant fait le succès de Gaby oh Gaby et Vertige de l’amour. Le premier, “Play blessures”, sur des paroles de Serge Gainsbourg, étonne par la capacité de Bashung d’intégrer Gainsbourg dans son univers. Dans le second, “Figure imposée”, Alain Bashung participe à l’écriture des textes (co-écrits avec Pascal Jacquemin). Trois ans s’écoulent avant la parution (1986) d’un nouvel album, “Passé le Rio Grande”. Plus accessible, ce disque fait des incursions du coté du western (Helvete underground) ou du rockabilly (Malédiction). Alain Bashung y retrouve son vieux complice Boris Bergman. Avec “Novice” (1989), Bashung continue à surprendre dans cet album new wave qui prolonge les expérimentations de “Play blessures” et “Figure imposée”.

Osez Joséphine” ouvre les années 90. Ce disque se partage entre des reprises de classiques du rock anglo-américain et des chansons d’une facture country (Osez Joséphine et Les grands voyageurs). A l’instar de la chanson-titre Bashung retrouve le chemin du succès. Cependant cet album vaut surtout par la présence de Madame rêve, titre majeur dans l’évolution à venir du chanteur. Le disque suivant, “Chatterton”, tout en affirmant une diversité (celles des différentes facettes des albums précédents), se situe pour le mieux dans le prolongement de Madame rêve : citons ici A perte de vue, Un âne plane, L’apiculteur. Par ailleurs l’utilisation ici ou là de la trompette lorgne du coté d’un jazz façon Miles Davies. Le succès rencontré par le titre Ma petite entreprise n’a pas été sur le moment sans occulter l’aspect novateur de cet album. Ce ne sera que partie remise. Les textes, co-signés Alain Bashung - Jean Fauque, le resteront tout au long de la carrière du chanteur (à l’exception du dernier disque).

Quatre ans plus tard, Bashung sort son onzième album studio, “Fantaisie militaire”. Saluée par la critique ce disque élargit encore plus le public du chanteur. Tois titres, et non des moindres, portent la griffe des Valentins (ces deux talentueux musiciens, présents sur toutes les plages du disque, co-signent les musiques de Malaxe, Dehors et La nuit je mens, l’une des incontournables de Bashung : “J’ai fait la cour à des murènes / J’ai fait l’amour / J’ai fait le mort ). La chanson-titre, Fantaisie militaire, donne à entendre le meilleur d’une musique (sous l’étiquette rock) dans l’hexagone à la veille du XXIe siècle. Et pourtant Alain Bashung par ailleurs s’émancipe d’un genre qu’il avait contribué à défendre depuis 20 ans. L’évolution amorcée avec Madame rêve se poursuit : autant de part l’interprétation (dans un registre parlé-chanté), qu’en raison de la présence de cordes (arrangées par Joseph Racaille), ou encore le ton, plus sombre, des textes.

Nous allons faire une exception à la règle de ce dictionnaire en mentionnant l’album suivant, “L’imprudence”, sorti en 2002. Car ce disque représente l’ultime jalon de l’évolution évoquée ci-dessus. C’est dire qu’elle accouche ici d’un chef d’oeuvre. Album crépusculaire, pur diamant noir, “L’imprudence” excède un genre (comme 35 ans plus tôt les Beatles avec “Sergent Pepers...”, ne craignons pas la comparaison !) sans pour autant franchir la ligne qui séparerait un rock disons “progressif” de la musique contemporaine, ou assimilée. Tout concours à la réussite de ce disque : l’alchimie texte / musique, le ton qui en découle (Bashung parle plus qu’il ne chante et met ainsi en valeur les mots), les arrangements des cordes et des cuivres, la qualité des instrumentistes (en particulier un piano, jamais tant présent chez Bashung). Il faut remonter aux Brel, Brassens, Ferré, Nougaro des années 70 pour retrouver un tel équivalent de réussite (à l’échelle certes de la notoriété car, entre temps, un Mano Solo ou deux Guidoni pourraient figurer...).

Dans un dossier de 12 pages consacré à Alain Bashung, après le décès du chanteur, Libération ne cite pas un seul instant cet album (contrairement à tous les autres). Déjà, durant les années 70, les journalistes de la rubrique rock du quotidien s’étaient illustrés en “crachant” sur Brel et Ferré. Il y aurait comme une permanence dans la surdité chez ces “vieux jeunes gens”. Là, sans le dire explicitement, on reprocherait à Bashung de s’éloigner du rock. Heureusement, à les lire, qu’avec un “Bleu pétrole”, ensuite, Alain Bashung revenait aux fondamentaux. Pas d’imprudence au royaume des sourds ! Passons. “L’imprudence” (le titre de l’album n’a rien d’anodin) prouve, rétrospectivement parlant, combien Bashung savait le cas échéant décevoir (une déception indexée sur l’attente du public) pour mieux emprunter ces chemins de traverse qui restent la marque de l’exigence : lesquels devaient tôt ou tard aboutir à “L’imprudence”.