BÉCAUD (Gilbert)

N’a-t-on pas tendance à oublier Gilbert Bécaud ? Cette désaffection, même relative, inciterait à réhabiliter celui que l’on appelait “Monsieur 100 000 volts” à ses débuts, dont le répertoire, de qualité inégale, comporte néanmoins des chansons dignes d’intérêt, sinon plus. Bécaud, compositeur et interprète, a d’abord travaillé avec Louis Amade (Les croix, La balade des baladins, C’était mon copain), et Pierre Delanoé (Mes mains, Je t’appartiens, Pour qui veille l’étoile). Maurice Vidalin les a ensuite rejoint (Le mur, Le bateau blanc, La grosse noce) ; puis d’autres, dans les années soixante-dix et quatre-vingt (Claude Lemesle, en particulier) se joindront au trio. Ces auteurs ont su en usant de moyens différents lui trousser ce répertoire “sur mesure” que Bécaud l’interprète défendait avec maestria en public : l’énergie et l’engagement de Gilbert Bécaud sur scène n’avaient pas d’équivalent. On reconnaîtra (s’il faut revenir sur la “désaffection” évoquée plus haut) que les prestations scéniques du chanteur renvoyaient souvent à un exercice en voie de disparition : celui de la chanson “racontant une histoire”. Et Bécaud le faisait excellemment en donnant un supplément d’âme à la dite chanson (plus que ne le laissait deviner le texte). On citera ici parmi de nombreux exemples, Rosy and John.

Gilbert Bécaud, musicalement parlant, prend la succession de Charles Trenet en introduisant une rythmique (quelque part en jazz et rock) inusitée dans les années cinquante : illustrée par les irrésistibles Viens danser et Quand tu danses ou la méconnue Contre vous. Bécaud sera d’une certaine façon le parrain de la génération yè yè (Salut les copains et Âge tendre et tête de bois : deux chansons sorties en 1957 et 1960, devenues les titres de deux célèbres émissions de radio et de télévision en direction des teen-agers). Durant la décennie 60 des rythmes venus du Québec (Quand Jules est au violon et Mademoiselle Lise, entre autres chansons) viendront relayer les précédents.

Dans une carrière jalonnée de nombreux succès (Alors raconte, Le pianiste de Varsovie, Les marchés de Provence, Le jour où la pluie viendra, pour les années cinquante ; Je t’attends, Et maintenant, Nathalie, Quand il est mort le poète, Je reviens te chercher, L’important c’est la rose, pour les années soixante ; La solitude ça n’existe pas, Un peu d’amour et d’amitié, L’indifférence, pour les années soixante-dix ; ou encore Désirée, années quatre-vingt), quelques uns d’entre eux pêchent par un certain conformisme (Dimanche à Orly, On prend toujours un train quelque part), quand d’autres se signalent par un contenu antiraciste (L’orange, à une époque où cela n’était pas courant) ou l’invention verbale (l’étonnant Croquemitoufle). Et puis, pour évoquer le compositeur on ne fera pas grief à Bécaud d’avoir chanté la même chose toute sa vie : son répertoire s’avère de ce point de vue l’un des plus diversifiés qui soit. On est même étonné, le réécoutant, de relever la variété des thématiques musicales : du gospel à la ballade traditionnelle, en passant par le jazz, le rock, les musiques cajun, québecquoise, slave, bavaroise, la chanson de charme, ou celle faisant appel à un bagage “classique”. Bécaud aura composé dans tous les genres à l’exception d’une certaine tradition du “baloche” : valse, tango, java).

Un super 45 tour sorti en 1964 pourrait représenter un concentré de l’art de Bécaud. En mettant de coté l’oubliable Mourir à Capri, on y trouve trois chansons écrites respectivement par Amade, Delanoé et Vidalin. La première, T’es venu de loin, la plus connue (sur un thème de gospel), un petit chef d’oeuvre de concision, bénéficie d’une remarquable interprétation. On peut, comme l’auteur de ces lignes, être indéfectiblement athée et apprécier la façon dont Amade et Bécaud revisitent l’un des aspects de la légende chrétienne. La seconde, Dis Mariette, nous replace dans le contexte d’une époque avec des rêves de gosses s’imaginant conquérir le monde sur trois accords de guitare (et ainsi quitter l’usine). La troisième, Plein soleil, est l’une des entrées de ce dictionnaire.