BERNARD (Michèle)
Bénéficiant de la rumeur en provenance du Printemps de Bourges (la découverte de ce printemps 1978 s’appelle Michèle Bernard), le premier album de la chanteuse, de suite associée à son accordéon, ne pouvait laisser indifférents les amateurs d’une chanson que l’on disait en perte de vitesse. On y entend une jeune femme révoltée : à l’instar des Petites filles (“bien élevées (...) à l’abri des révolutions “), du Monsieur qui s’engraisse (à qui l’on promet de de dégonfler la panse), de la ville travail, ville mépris, ville méfiance de Ce soir je n’entends rien; Et puis cet album comporte l’indispensable Les petits cailloux (la première carte de visite de la chanteuse) : un petit caillou capable de prendre l’apparence d’un pavé que l’on jette “dans cette mare de médiocrité “. Et l’interprète, déjà bien dotée vocalement, ajoute en plus une expression qui emporte l’adhésion.
Dans le second disque, plus diversifié sur le plan musical, deux chansons retiennent l’attention : Maiaikovki, et Sur ces routes grises (“Des têtes souriantes sur les affiches / Nous donnent des conseils / Petite famille aseptisée / Papa-maman-bébé / A voir leurs gueules on enlèverait / Sa ceinture d’sécurité “). Avec le troisième album Michèle Bernard trouve ses marques. C’est le ton que l’on entendra dans les disques qui suivront. Les chanteuses populaires témoigne d’une dette envers la “chanson réaliste” (une dette plus qu’une filiation), et La dame pipi porte le bagage d’une chanteuse de blues (le bagage plus que le registre). Deux chansons, plus encore, sont à retenir dans cet album d’un très bon niveau : Le coeur en dessous de zéro, ou la compassion que l’on retrouvera souvent dans les chansons de Michèle Bernard envers les “laissés pour compte” de notre société. Une compassion qui se trouve comme il se devrait associée à la colère, car “Ça vous remonte la colère quand on va vers l’hiver “. Et Le bon coté de la charité : soit le très compréhensif agacement de la chanteuse devant le phénomène de “charité business” apparu durant les années 80, et dont certains de “nos amis les chanteurs” se font alors les propagandistes des causes diverses. Un quatrième disque, plus inégal, comprend néanmoins deux chansons que Michèle Bernard reprendra ensuite à juste titre dans un album public venant clore les années 80 : Six pieds sous terre et Maintenant ou jamais.
La décennie 90 s’ouvre sur l’expérience collective, féminine et publique “Des nuits noires du monde”. On retrouve dans ce disque quelques uns des thèmes récurrents des chansons de Michèle Bernard : la situation faite à “l’étranger”, la xénophobie, l’intolérance. On n’fait pas d’omelette y répond sur le mode de la dérision mais non sans efficacité. Mon paillasson témoigne de ce repli frileux : “Y’a beau avoir écrit Welcome sur mon paillasson “. Fais moi un manteau nous habille de tous les mots du monde, de ces mots de “bonjour et d’accueil” comme disait Verlaine. Et puis cet album polyphonique se termine par la plus belle des chansons de Michèle Bernard : Nomade. On ajoute à l’attention de qui demanderait “et la musique alors ?”, que Michèle Bernard trouve ici plus qu’auparavant (et cela vaudra pour les deux disques suivants) une couleur accordée aux paroles des chansons. C’est celle-ci et nulle autre.
“Quand vous me rendrez visite”, ensuite (sorti en 1997), témoigne de la maturité de la chanteuse (et reste à ce jour le meilleur album de Michèle Bernard). D’emblée, avec l’attachante chanson-titre, accordéon et voix donnent le ton du disque. A le décliner, les chansons circonscrivent un univers bien éloigné de la production courante de cette fin de siècle. Tel ce Cheval (le facteur de toutes les gratitudes : vingt ans, n’est ce pas, pour construire ce fabuleux palais). Le temps, toujours, qui peut s’avérer pesant quand il y est question de ce quotidien poisseux, celui de Comme par hasard. On y essuie le sang qui coule de l’écran télé (mais c’est pour rire avec Les temps sont durs), et l’on se risque à interpréter les points de suspension de Pour une môme. Michèle Bernard sait décrire la solitude des bistrots, le destin des vies perdues dans un verre d’alcool : celle et celui des personnages de L’Eldorado. Et qui d’autre, le temps d’un refrain ou d’un couplet, a-t-il associé Les vieux les enfants ? La prison et l’univers carcéral n’inspirent plus tellement les auteurs de chansons en cette fin de siècle. Le pêcheur matinal s’y réfère sur le mode “c’est davantage les petits poissons que les gros que l’on retrouve entre quatre murs”. Et que dire de cette valse musette qui emporte tous les Pyjama du monde. “La pudeur y coud des boutons “ avant d’évoquer, au détour d’un vers, cette “vieille photo de Tremblinka “. Michèle Bernard n’oublie pas pour autant le monde enchanté de l’enfance dans Je guette la nuit. Une chanson à laquelle font écho les mots de Pablo Neruda et de René-Guy Cadou dans cette petite cantate qui a pour nom Pentes rousse / l’étrange douceur.
Pour finir le siècle, Michèle Bernard consacre un disque (“Voler...”) aux “gens d’ici et d’ailleurs” : à Maria Szusanna, la manouche, Madame Tiou, l’arménienne, aux “sans papiers” de Noire nounou, aux “quinze gamins “ noirs de Tutsi Hutu, aux étrangers qui donnent des couleurs au Paname de Boyaux de Paris, et à toux ceux (black, jaunes, beurs, ritals, juifs, auvergnats, et autres) qui font une chouette de “méli-mélo dis Boby ! “ de C’est un rital. Le voyage se poursuit sur le voilier des femmes voilées, à qui Michèle Bernard fait prendre la mer et le vent du large pour les transformer en voiles de voiliers : “Femmes voilées / Mettant les voiles “ (Un voile). Alors c’est fini, “on change plus la vie “ ? Une question à laquelle la chanteuse répond de belle manière : “Et pourtant la vie / C’est une môme aussi / Qui salit toujours ses langes / Faut bien pourtant que quelqu’un la change (...) Un peu de folie . C’est jamais fini / Change moi dit la vie “. Un mot “fin” que l’on retient le temps d’une dernière chanson, Cadou s’est endormi : “On referme le bouquin / Le poème poursuit son chemin “.