DAMIA

Comment ne pas identifier Damia à cette archétypique Les goélands ? Soit la célébration d’un genre, la chanson réaliste, dont Damia était l’une des figures de proue avec sa diction parfaite, presque précieuse. Sanglée dans son éternelle robe noire, le maintien un rien altier, Damia en imposait. Éric Rémy évoque la chanteuse apparaissant “dans La veuve sous les rayons d’un projecteur sanglant”, et achevant cette chanson “agenouillée, tête ployée, les deux bras dressés en montants de guillotine’”. C’est l’adjectif “saisissant” que l’on retient à l’écoute de La malédiction (l’illustration à l’image près de la célèbre séquence des “revenants” de 14/18 du film d’Abel Gance, “J’accuse”).

Avec Les goélands trois autres titres donnent quelque idée du registre de la chanteuse. Si la chanson réaliste paye parfois son tribut au conformisme on y trouve aussi des couplets dont l’immoralité réjouit. Dans La mauvaise prière la narratrice implore la “bonne vierge “ de jeter le trois-mâts où vogue son amant et marin (lequel la trompera, pense-t-elle, avec les filles des îles) contre les rochers afin que “les lèvres de mensonge servent de pâture aux requins “. Une merveille de dernier vers servi on ne peut mieux par Damia. Tout fout le camp atteint d’autres sommets. Ici Raymond Asso signe les paroles (“C’est toute la terre qui gronde / Bonne saison pour les volcans / On va faire sauter le monde / Cramponnez vous tout fout l’camp “). Damia n’avait pourtant rien d’une anarchiste. On la décrit plutôt comme soucieuse de respectabilité. Mais elle défendait un répertoire exigeant donnant peu de gages à la tiédeur et au conformisme. Sombre dimanche connut un grand succès. Cette chanson fut la cause de plusieurs suicides, dit la chronique. Il faut dépasser le cliché mélodramatique pour retrouver ce climat noir, poisseux, proche du meilleur cinéma de l’époque, dans lequel Damia excellait.

A part l’embellie de Un souvenir, Damia ne tiendra plus le devant de la scène durant la Seconde guerre mondiale. La chanteuse à la longue robe noire symbolisera à la Libération un genre en voie de disparition. On verra une dernière fois Damia lors d’un concert en 1955 (aux cotés de Marie Dubas) : tout un symbole