DRANEM

Souvent imité de son vivant, jamais égalé, Dranem occupe une place à part dans la chanson du début du siècle. Il est l’inventeur d’un genre que l’on pourrait décliner sous différents noms si l’on consent à prendre les interprétations de Dranem au premier, au second, voire au troisième degré. Très populaire durant la première partie de sa carrière (le coté clownesque du personnage sur scène explique en partie ce succès), ce chanteur est également apprécié par les surréalistes, André Breton et Raymond Queneau entre autres.

Le titre le plus connu de Dranem, Les p’tits pois !; donne le ton (“Depuis que notre monde est monde / On fait des chansons immondes / Et dont les sujets sont idiots / Moi je viens d’faire un chant nouveau / C’est spirituel et plein d’entrain / Du reste en voici le refrain “). A ce couplet introductif succède le refrain loufoque que tout le monde connaît sans toujours mettre un nom sur son interprète. Boris Vian a écrit dans “En avant la zizique” : “A n’en plus douter, ceci est un texte où le génie scintille à l’état pur et il a fallu un Queneau pour retrouver (presque) le même niveau d’inspiration avec La pendule ou J’amaigris du bout des doigts”.

Les deux autres grands succès de Dranem sont La jambe de bois et La vigne aux moineaux. Pourtant les amateurs apprécient davantage Le trou de mon quai, Les fruits cuits (“J’ai mon fruit cuit qui cuit / Sans que mon fruit cuit fuie / Four fair’ des confitures de fruits cuits “), Le cucurbitacée (“C’est un cucurbitacée / Qu’a des côtes qu’a des côtes / C’est un cucurbitacée / Qu’a des côt’s sur les côtés “), Romance subjective (“Amer ! amer destin du cœur / Femmes légères que vous fûtes / Vous fit’s hélas ! pour mon malheur / Toutes les peines que vous pûtes “).

Dés son entrée en scène Dranem déclenchait le rire. Le chanteur, habillé en auguste, arborait comme couvre-chef un ridicule petit chapeau. Tu sens la menthe illustre mieux que n’importe quelle autre titre de ce répertoire le génie particulier de Dranem. Après chaque refrain, ponctué par un rire inimitable, Dranem y ajoutait un commentaire surjouant sur l’idiotie de la chanson. Cet exercice de distanciation devenait hilarant quand, selon les témoignages de ses contemporains, Dranem paraissait s’effrayer ou se désoler de l’énormité de ce qu’il chantait. Cet art apparentait Dranem à celui des grands burlesques des débuts du cinématographe.

Après la guerre une autre carrière s’ouvre pour Dranem. Le caf’ conc’ s’efface devant le music-hall et l’interprète des P’tits pois ! délaisse son répertoire de “chansons idiotes” pour se reconvertir dans l’opérette. Dans des genres différents, Bourvil, Boby Lapointe ou encore le premier Vassiliu peuvent être considérés comme ses lointains descendants.