FANON (Maurice)

Maurice Fanon est l’un des personnages les plus attachants de la chanson des années 60 et 70. C’était un homme d’une grande sensibilité, ses chansons en apportent de nombreux témoignages. On pourrait tout aussi bien évoquer Fanon l’idéaliste, Fanon l’écorché vif, ou Fanon le révolté. Cet idéalisme pouvait même prendre le cas échéant des aspects déconcertants. Nous nous souvenons avoir entendu Maurice Fanon en mai 68, sur les ondes d’une radio périphérique, déclarer vouloir réintégrer le corps enseignant (il avait été professeur d’anglais avant de se consacrer à la chanson) : là, disait-il, je serai davantage à ma place parmi ceux qui se battent et veulent construire une société plus juste et plus humaine. Nous ignorons si Fanon reprit un court moment le chemin d’un établissement scolaire mais nous savons qu’il préféra persister dans la voie tracée depuis dix ans. Et c’était préférable - y compris du point de vue paradoxal défendu par Fanon sur le sujet - de le voir écrire, composer et interpréter des chansons, malgré le relatif écho qu’elles recueillirent durant 20 ans. Il est vrai que Fanon écrira alors plus pour les autres, Gréco (Mon fils chante) Colombo (A nos amours) Guidoni (Y’a un climat) Isabelle Aubret, Francesca Solleville, que pour lui.

L’écharpe, la chanson qui fit connaître Maurice Fanon en 1963, reste la plus connue de son répertoire (“Si je porte à mon cou / En souvenir de toi / Ce souvenir de soie / Qui se souvient de nous “). Même si les chansons de ce “premier Fanon” ne sont pas toutes tricotées avec cette maestria, l’étoffe de plusieurs d’entre elles s’avère d’excellente qualité. A l’instar de la caustique Avec Fanon (“C’est peut-être en montrant le fond d’son pantalon / Qu’on fait son trou dans la chanson / Faudra qu’j’essaye Avec Fanon “), de Paris-Cayenne (où Fanon hausse le ton : “Paris-Cayenne tu as la dent dure à tous ceux là qui sont dedans / Paris la Seine y’a trop longtemps que tu coules entre deux agents “), de Tête de quoi (un savoureux autoportrait : “Tête de quoi, tête de ... / Un poète “), de Jean-Marie de Pantin (“C’est pourtant pas la mer à boire / Disait la fille de Calais / De dire aux marins, aux anglais / J’avais vous l’montrer mon pas d’Calais “), et plus encore de La petite juive. Ici on retrouve à la fois Fanon la colère et Fanon la tendresse : le premier pour fustiger la guerre et son cortège d’horreur, et surtout le monde qui le permet ; le second pour se souvenir de “la petite juive” : “Elle s’appelait Lise, il n’en reste rien “. Les accompagnements musicaux des deux premiers disques de Fanon ne rendent pas toujours justice aux mélodies. Une raison parmi d’autres qui contribua à classer Maurice Fanon dans le “ghetto” de la rive gauche. D’ailleurs Fanon réengistrera à partir de son premier 30 cm L’écharpe, Avec Fanon et Paris Cayenne.

Les chansons écrites dans les décennies 70 et 80 se révèlent un ton en dessous. Citons cependant Le soir de mai, Nos femmes à nous, Chanson d’octobre, Vincennes-Neuilly et Oh dis Paris. Cette dernière chanson évoque un Paris qui n’est plus : celui des grisettes, des titis, des orgues de barbarie, et des chanteurs qui permettaient encore à la capitale de rester l’immortel Paris des chansons (“On dirait que Paris ne vit plus à Paris “, chante Fanon). S’il fallait retenir Maurice Fanon en une chanson, Carcassonne mériterait d’être citée entre toutes. Il s’agit de l’un des titres d’un disque sorti en 1968, dont une phrase réitérée après chaque couplet, et dans le ton qui convient, “La vie est conne ! “, sujette aux amours déçus et à la difficulté de vivre, ressemble tellement à son auteur !