FERRAT (Jean)

Les premières chansons de Jean Ferrat s’inscrivent dans l’une des traditions les plus vivaces de la chanson française, celle du populisme. Dans un genre qui n’avait alors rien de commun avec ce que l’on entend par “populisme” en ce début du XXIe siècle Ma môme et Napoléon IV représentent deux faces de la même pièce. On retient également Fréderico Garcia Lorca pour la figure du poète, la guitare et Grenade en deuil. L’homme à l’oreille coupée met la barre un peu plus haut : cette chanson contourne l’écueil du “grand sujet” pour proposer des portraits attachants de Van Gogh et Toulouse Lautrec. En 1962 déjà, si l’on fait le point sur ce “premier Ferrat”, l’intéressé écrit de belles mélodies (Deux enfants au soleil), est servi par un beau timbre de voix (qui paradoxalement limite son expression), et parait emprunté sur scène. Nuit et brouillard, ensuite, n’a pas à rougir du film éponyme d’Alain Resnais. C’est le meilleur compliment que l’on puisse faire à cette chanson. Nous sommes en 1963, l’année également de Quatre cent enfants noirs et de C’est beau la vie (plus convenue). Dans le disque sorti l’année suivante figure La montagne, le plus gros succès de Jean Ferrat.

Avec l’album “Potemkine” (plébiscité par le public) ce compagnon de route non encarté devient le chantre plus ou moins officiel du P.C.F.. Durant cette époque (1965 à 1979) Ferrat sort neuf disques. Il se situe alors au sommet de sa notoriété. On distingue dans son répertoire le classicisme de Potemkine et de La Commune (toutes deux sur des textes de Georges Coulonges), la fibre castriste (Cuba si, Les guérilleros), une “Marseillaise” made in P.C.F. (Ma France), une réponse à l’individualisme de type Brassens (En groupe en ligue en procession), une variation sur le thème “les gauchistes-Marcellin” (Hou hou méfions nous), ou encore Camarade, Au printemps à quoi rêves-tu, La femme est l’avenir de l’homme. Parallèlement, des adaptations de poèmes d’Aragon (précédemment Nous dormirons ensemble et surtout Que serais-je sans toi avaient rencontré le succès) élargissent le public de Jean Ferrat au delà de la base électorale du P.C.F. de ces années-là (sans parler de celui déjà acquis). Ce cycle met en valeur les qualités mélodiques de Ferrat (C’est si peu dire que je t’aime, Heureux celui qui meurt d’aimer, Aimer à perdre la raison, Un jour un jour). Mais le meilleur, peut-être, doit être mis au crédit de la collaboration Gougaud-Ferrat : le premier ici parolier (Le point du jour, La matinée). En y ajoutant Pauvre Boris (du seul Ferrat), sans doute la chanson la plus réussie de cette époque. Un nom, plus que d’autres, doit être associé à Jean Ferrat, celui de l’arrangeur Alain Goraguer. Ces albums lui doivent beaucoup, surtout les premiers (dans un titre peu connu comme Raconte moi la mer Goraguer nous gratifie d’une partition de haute volée).

La décennie suivante s’ouvre sur le disque “Ferrat 80”. Il se situerait dans la lignée des trois précédents, en manque d’inspiration généralement (on en excepte pour ce cru 80 L’amour est cerise et L’embellie), s’il n’y figurait Le bilan. Jean Ferrat dresse dans cette chanson (une réponse au fameux “bilan globalement positif sur l’URSS” de Georges Marchais l’année précédente) un bilan globalement négatif. Après d’autres (Elleinstein, Parmelin, Signoret, etc.), mais avant les dirigeants du P.C.F. Ferrat virait sa cuti communiste (ou stalinienne). A un album confié pour les textes au parolier Guy Thomas (“Je ne suis qu’un cri”), succède le dernier disque (1991) de Jean Ferrat. D’une qualité supérieure aux précédents cet album concilie “chansons humanistes” (Le grillon, Tu aurais pu vivre, Les tournesols qui fait écho à L’homme à l’oreille coupée des années 60) et “chansons engagées” ou de “satire sociale” (Dingue, Les petites filles modèles, Dans la jungle et le zoo, Les jeunes imbéciles). Cette dernière chanson comporte un coup de griffe à ceux qui ont revêtu “la chasuble humanitaire pour faire “la quête avec délice . Suivez son regard. Et pourtant, curieusement, ce disque (et donc la production discographique de Jean Ferrat) se clôt par La paix sur terre : un titre qui ressemble à s’y méprendre (dans la forme comme le contenu) à ces chansons exsudant la bonne conscience humanitaire en vogue ces années-là. Ferrat finit sa carrière de chanteur sur une note bien déconcertante.