FONTAINE (Brigitte)

Le premier disque de Brigitte Fontaine date de 1966. Cet album intitulé “Treize chansons décadentes et fantasmagoriques” relève d’une rive-gauche décalée (cet adjectif étant mis sur le compte de humour “sans trop y toucher” de l’auteure : à l’exemple de Je suis décadente). Ces treize titres se retrouveront sur un album réalisé avec Jacques Higelin, “Chansons d’avant le déluge”. On signale que le sommet de leur collaboration, la troublante Cet enfant que je t’avais fait, se retrouvera sur le prochain disque de Brigitte Fontaine.

Celui-ci attire davantage l’attention. La pochette de l’album tout d’abord annonce en grosses lettres “Brigitte Fontaine est folle”. Ce que semble confirmer ce curieux disque. Les textes d’un humour décapant racontent de drôles d’histoires et des histoires pas drôles du tout. Les arrangements, signés Jean-Claude Vannier ne cèdent en rien, question étrangeté, aux paroles des chansons. On aime la façon dont Brigitte Fontaine renvoie Blanche Neige à ses chères études, à savoir ses confitures. Tout comme on apprécie le mode d’emploi de Comme Rimbaud. Avec Le beau cancer les choses se compliquent. Cette chanson est-elle complètement désespérée ? Au premier degré, oui. Pourtant l’on ressent comme un doute (l’arrangement musical goguenard de Vannier nous y incite). Une seule certitude : plutôt que de périr à petit feu, quotidiennement, médiocrement, autant finir en apothéose, “Être cuit pour être cuit / Il vaut mieux que ce soit joli .

L’album “Comme à la radio” représente une date dans l’histoire de la chanson. Déjà le 45 tour Lettre à Monsieur le chef de gare de la Tour Carol (reprise dans ce disque) préparait le terrain. On retrouvait dans cette jam cession l’esprit Saravah par excellence. Comme à la radio (ce titre et l’ensemble du disque) se situe à la pointe d’une “avant-garde” (sans que cela soit revendiqué) qui entend subvertir le format chanson traditionnelle. Mai 68 n’est pas si loin : Comme à la radio s’inscrit dans un courant critique (autant du point de vue de la forme que du contenu) se distanciant des modes militant et revendicatif de la chanson dite engagée (“Mais / N’ayez pas peur / On sait ce qu’est la radio / Il ne peut rien s’y passer / Rien ne peut avoir d’importance / Ce n’était rien / Juste pour faire du bruit / Juste de la musique / Juste des mots des mots ). Ce disque signe par ailleurs une rencontre unique, excitante, sans lendemain : celle du free jazz de l’Art Ensemble of Chicago et de l’univers poético-délirant de Brigitte Fontaine. C’est là qu’il faudrait parler d’une radicalité qui lorgnerait du coté des situationnistes (Comme à la radio, la chanson) ou d’un non sens proche du surréalisme (J’ai 26 ans). Enfin ce disque est truffé d’aphorismes du genre (“Merci mon dieu d’avoir inventé Marx, vous n’étiez pas forcé ) ou (“Mon mari a été exécuté ce matin. J’ai pris ça très mal. Question : qu’est devenu mon sens de l’humour ? ). Décidément, Brigitte Fontaine n’en manque pas !

Areski Belkacem, très présent dans “Comme à la radio” (il chante sur certains titres et compose les musiques), l’est encore plus sur les quatre albums suivants : ceux-ci sont d’ailleurs signés Areski et Brigitte Fontaine. Le premier d’entre eux, “L’incendie” va encore plus loin dans le sens de l’expérimentation. Mais son minimalisme a pu rebuter plus d’un auditeur. “Je ne connais pas cet homme”, ensuite, continue d’explorer d’autres territoires musicaux (La recherche de l’hiver, La renarde et le bélier touffu sont d’étonnantes incursions dans un registre “musique classique”). Nous restons cependant dans le domaine avant-gardiste initié par “Comme à la radio”. A l’exception du titre le plus connu de l’album, C’est normal, qui entamera une seconde carrière 25 ans plus tard (en se retrouvant dans “Les palaces”). L’album de 1975, “Le bonheur”, infléchit les textes vers la fable ou le conte (“La citrouille, Le bonheur). On note également le retour d’une thématique contestataire (Le propriétaire : “Remercie le propriétaire / Pour les têtes décapitées / Pour les enfants sénilisés / Pour les étoiles déportées / Les paysans dépaysés ). “Vous et nous”, le quatrième disque de ce cycle, s’avère plus expérimental que le précédent. On y trouve aussi plus de diversité sur le plan musical (avec par exemple la présence d’une thématique arabo-andalouse). Si l’on osait cette comparaison, “Vous et nous” fait figure de “double album blanc” dans la discographie de Fontaine et Areski (“Comme à la radio” renvoyant à Sergent Pepers”).

Après une longue traversée du désert, Brigitte Fontaine ressort un disque en 1990, “French Corazon” (en réalité il avait été diffusé deux ans plus tôt au Japon). On serait tenté de faire ici une comparaison avec un autre “retour”, celui de Claude Nougaro (en 1987 pour “Nougayork”), d’autant plus que l’on retrouve la même couleur musicale rock dans plusieurs titres des deux albums. Il s’agit d’un disque d’une facture plus “classique” que ceux de la décennie 70. Il s’en distingue par un retour à un format chanson plus traditionnel. Le nougat est un succès, y compris auprès des jeunes générations qui ignorent tout de Brigitte Fontaine (le nouveau look de la chanteuse contribuant à cet intérêt). Tout en se félicitant, tout comme Nougaro, de retrouver miss Fontaine en très bonne forme on regrettera que ces retrouvailles se fassent au détriment de l’une des démarches les plus singulières de la chanson. Ces réserves ne concernent pas les titres Hollywood, Plaisanterie classique et Folie furieuse.

L’album suivant, “Genre humain”, se situe davantage à la croisée des chemins. L’hier et l’aujourd’hui se rejoignent dans une déclinaison musicale plus expérimentale que dans le disque précédent, à laquelle participent quelques uns des représentants d’une nouvelle donne musicale (les Valentins, pour ne citer qu’eux). Ce qui ne nuit pas à la verve poétique de Brigitte Fontaine, bien au contraire. Nous avons même droit à un beau télescopage entre une Conne déjantée et une Belle abandonnée (qui laisse augurer d’autres lendemains chantants).

Les palaces” clôt pour le siècle (parce que l’aventure continue !) la contribution de Brigitte Fontaine à la chanson. Entre Ah que la vie est belle et Le musée des horreurs, la chanteuse au crâne (presque) rasé nous gratifie pour ce disque (peut-être plus assagi sur le versant musical mais d’une écriture, coté textes, raffinée) de quelques unes des chansons les plus marquantes de cette seconde période : l’éclectique City, en duo avec Alain Bashung (“Des barbus impudiques / En fourreau lamé vert / Jouent les statues antiques / Montés sur des rollers ), Ali (“Âge tendre / Croissant chaud / Cœur à prendre / Au lasso ) et la somptueuse Symphonie pastorale (“J’aspire aux matins en enfance / Où se calment les possédés / Les matins transparents qui dansent / Balayés d’un coup d’Odyssée”).