FREHEL

Le terme “populaire”, quand il était encore porteur de sens, doit être accolé au répertoire de Frehel en raison des figures (prostituées, souteneurs, guincheurs du dimanche, musiciens de bal, esquintés de la vie...) que l’ancienne Môme Pervenche chante le plus souvent sur un air de java (la célèbre Java bleue) ou de valse musette (Musette). Parmi les chanteuses réalistes Frehel chante d’une manière moins distanciée qu’une Damia, par exemple. C’est sans doute ce qui émeut chez cette interprète dont la vie se confond plus que d’autres avec les chansons de son répertoire. D’ailleurs si Frehel n’avait pas eu l’existence qu’on lui connaît le public aurait plus difficilement identifié l’héroïne de nombreuses chansons (plus particulièrement Comme un moineau, A la dérive, La coco, Toute seule) à leur interprète. Des titres représentatifs du genre “chanson réaliste” dans la pleine acceptation du terme. Avec le risque de se transformer parfois en exercice de corde raide, comme dans Pauvre grand qui prête à sourire. Cette chanson raconte l’histoire de ce “pauvre grand “ (qui a “le sang chaud dans la cervelle “) devenu l’assassin d’une mère aimante, dont le souvenir le poursuit et le laisse inconsolé. Seule Frehel pouvait chanter cet invraisemblable mélo sans sombrer dans le ridicule.

Dans les années trente, plus encore, Frehel travaille avec des auteurs qui intègrent non sans talent la vie de la chanteuse dans des chansons qui donnent au genre ses lettres de noblesse. La plus belle, peut-être, Où sont tous mes amants ? reprend le thème récurrent de la femme vieillissante qui fut belle et que l’amour délaisse (“Où sont tous mes amants ? / Tous ceux qui m’aimaient tant / Jadis quand j’étais belle / Adieu les infidèles / Ils sont je ne sais où / A d’autres rendez-vous / Moi mon cœur n’a pas vieilli pourtant / Où sont tous mes amants ? “). Cela nous est chanté sans fard et sans apprêts. Et c’est bouleversant. Dans L’amour des hommes on pourrait parler de féminisme s’il ne s’agissait pas d’abord et avant tout de l’amour. Frehel chante “Si les hommes nous aiment / C’est pour eux pas pour nous “, et nous avons tous comme un cœur de midinette. Autre thème présente durant ces mêmes années trente : le regret d’un Paris qui n’est plus (ou ne sera plus). Avec Où est-il donc ? (on se souvient de l’émouvante apparition de Frehel l’interprétant dans “Pépé le Moko” de Duvivier), et La chanson des fortifs. Il s’agit là d’une autre évocation d’un Paris disparu : cocasse, touchante, et pleine de cette nostalgie que l’on éprouve devant des photos jaunies. Et puis, pour quelques uns, La chanson des fortifs évoque à jamais Jean-Pierre Léaud dans “La maman et la putain” accompagnant du geste et chantant (faux) sur la voix de Frehel : “Il n’y a plus de fortifications / Mais on f’ra toujours des chansons “.