GRÉCO (Juliette)

Juliette Gréco entame une carrière de chanteuse en 1950 par Si tu t’imagines, puis, dans la foulée, enchaîne avec La rue des Blancs manteaux, Je suis comme je suis, La fourmi. On reconnaît qu’il existe pire comme débuts (surtout quand les auteurs s’appellent respectivement Queneau, Sartre, Prévert et Desnos, et le compositeur Kosma !). La “muse de Saint-Germain-des-Prés”, alors adoubée par les intellectuels de la rive gauche (et détestée des conformistes et bien-pensants), élargit ensuite son territoire avec Je hais les dimanches, Les feuilles mortes, Sous le ciel de Paris, puis sa carrière oscille entre cinéma et chanson (une période durant laquelle elle reprend Paris canaille, Le diable, Coin de rue). Vers la fin des années cinquante Juliette Gréco revient définitivement à la chanson. Elle interprète un jeune auteur, Guy Béart (Chandernagor, Qu’on est bien), et René-Louis Lafforgue (La fête est là). Puis viennent les années soixante, l’embellie : Gréco crée les chansons qui vont constituer le socle de son répertoire (La cuisine, C’était bien, Paname, Accordéon, Les canotiers, La fête aux copains, Jean de la providence de Dieu, Marions-les, Vieille, Un petit poisson un petit oiseau, Déshabillez-moi, J’ai le cœur aussi grand; Les pingouins, plus deux reprises de Brel, La chanson des vieux amants, J’arrive). En gardant pour la bonne bouche trois chansons que Juliette Gréco aura marqué de son interprétation au point de surpasser celles des Béart, Ferré et Gainsbourg - excusez du peu ! : à savoir Il n’y a plus d’après, Jolie môme, La javanaise (trois interprétations où la diction, la musicalité et l’attention portée à chacun des mots sont confondantes).

Il paraissait difficile de rester sur de tels sommets. Cependant Gréco maintient le cap : elle choisit ses auteurs avec discernement et celui qui durant le dernier quart de siècle devient son complice, puis son compagnon, Gérard Jouannest, lui écrit de belles mélodies. Parmi les bonnes surprises relevons un disque écrit par Maurice Fanon (Mon fils chante). La dernière en date (juste à la fin du siècle), une rencontre improbable avec Jean-Claude Carrière, démontre si besoin était que Juliette Gréco n’a rien perdu de son goût pour l’aventure. Au fil des années, sa voix perdant de son velours, la chanteuse le compense par des interprétations de “diseuse” (là où certains évoqueront une tendance à l’affectation). Il n’empêche : Juliette Gréco reste l’une des interprètes marquantes de la seconde moitié du XXe siècle. Sa longévité, et plus encore l’obstination de toute une vie au service de la chanson comme art majeur (une chanson que Gréco tire souvent vers le haut) est exemplaire. A la fin de son dernier enregistrement public (celui de 1999 à l’Odéon), l’ancienne “muse de Saint-Germain-des-Prés” terminait son tour de chant par Le temps des cerises en la présentant ainsi : “C’est une chanson d’amour, c’est à dire une chanson révolutionnaire, et comme toute chanson révolutionnaire c’est également une chanson d’amour”. On ne pouvait trouver meilleure conclusion.