HIGELIN (Jacques)

Un Higelin en cacherait un autre ? En ce qui concerne celui que l’on appelle parfois “le grand Jacques” il s’agit pourtant du même. Il est vrai que ce drôle de personnage semble avoir eu plusieurs vies. Une première, du coté des cabarets de la rive gauche, dont deux disques, l’un consacré à Boris Vian, l’autre enregistré en compagnie de Brigitte Fontaine, conservent le souvenir. Une seconde, celle des “années Saravah”, sera taxée “d’expérimentale” (les guillemets sont de rigueur). Deux albums l’illustre : deux disques qui n’ont pas pris une ride mais que la troisième vie de Jacques Higelin occulterait (le conditionnel étant de rigueur). Et pourtant, lorsque la chanson vers la fin des années soixante affirmait sa vitalité et son envie d’arpenter de nouveaux territoires, quand elle expérimentait et faisait œuvre d’avant garde elle le devait principalement à Brigitte Fontaine et Jacques Higelin. Celui-ci nous gratifiait d’une J’aurais bien voulu (dont se souviendra plus tard plus tard Anne Sylvestre) ou de Remember (avec ici la complicité d’Areski), ou encore des “plus bues qu’Higelin tu meurs” : Il love the queen et Aujourd’hui bues. Sans oublier les deux titres les plus représentatifs de cette époque un peu, beaucoup, passionnément folle, Tiens j’ai dit tiens et Je suis mort qui dit mieux.

Pour une seconde, voire une troisième génération la carrière de Jacques Higelin débute par l’album “BBH 75”. Une mémorable Paris New York New York Paris introduit la “seconde manière” d’Higelin, celle d’un rock gouailleur et déjanté. Ceci valant également pour l’album suivant. Le grand Jacques reviendra progressivement, l’air de pas y toucher, à la “première manière” tout en conservant l’énergie électrique et le public de la seconde : cela méritait bien un détour par New York en 1974 ou les bons offices de cette excellente Mona Lisa klaxon. D’ailleurs le disque sorti en 1976 en apporte un premier témoignage : plus particulièrement Aujourd’hui la crise et Alertez les bébés. L’album suivant élargit encore l’audience de Jacques Higelin (Pars, Denise, Lettre à la petite amie de l’ennemi public).

Deux doubles 30 cm (“Champagne pour tout le monde” et “Caviar pour les autres” en 1979, puis “Aï” en 1985) mettent encore plus en valeur la fantaisie, la verve et le bagout d’Higelin, ainsi que son goût pour l’insolite. Ici apparaît particulièrement la filiation avec Trenet (Champagne revisite le Jardin extraordinaire dans une version vampirique et luciférienne). Citons également Le fil à la patte du caméléon, la déjantée Cap’tain dodécaphonique dada (“Siouxie Fix / L’excellente marxiste scato-sado-maso d’Oyonnax / malaxe ses excréments / dans un mixeur en pyrex expansé d’Ajaccio “), la fantaisie poétique de Coup de lune (“Ce soir / Abélard Premier, roi des magiciens / va tenter pour vous / de décrocher... la lune “).

Higelin, tombé du ciel”, d’une facture plus classique, contient l’un des principaux succès de Jacques Higelin, (Tombé du ciel, avec un piano et une orchestration “Beatles”), et Parc Montsouris : où le chanteur rameute ses souvenirs d’enfance pour se “décrasser les antennes / des mesquineries de la vie “. Trois albums couvrent les années 90 (“Illicite”, “Aux héros de la voltige”, “Paradis païen”). Dans le premier Ce qui est dit doit être fait marche sur les brisées de Tombé du ciel. On retient surtout l’attachante L’homme oiseau (“Sur le parvis de Notre Dame de Paris / une unijambiste / jette ses béquilles / et disparaît en un éclair “ : avec sa voix d’ange d’Homme oiseau et son sax ténor, obsédant).

Enfin le portrait de ce chanteur resterait incomplet si l’on ne mentionnait pas la présence de la scène, dans sa carrière. C’est là que le second des grand Jacques donne la pleine mesure de son talent dans des prestations chaque fois différentes. L’éternel adolescent qui répond au nom de Jacques Higelin n’a pas fini de nous étonner.