LAPOINTE (Boby)

Nombreux furent ceux qui découvrirent physiquement Boby Lapointe lors de la sortie du film “Tirez sur le pianiste” de François Truffaut. L’auteur de Ta Katie t’a quitté y chantait deux chansons : Framboise et Marcelle. Il s’agissait d’une prestation ahurissante, hilarante, indescriptible ! Sur l’écran s’agitait une espèce de “moulin à paroles” monté sur ressorts, dont le phrasé réclamait le secours d’un sous-titrage pour être compris (ou même entendu). Aujourd’hui Boby Lapointe est devenu un “chanteur culte” : son œuvre fait l’objet de recherches savantes à l’université, de nombreux ouvrages lui sont consacrés, et son ”fan-club” s’agrandit de jour en jour. Une reconnaissance posthume parce que l’intéressé ne connut qu’un succès d’estime de son vivant. Quelques “lapointistes” le soutinrent tout au long de sa trop courte carrière, rien de plus. D’ailleurs, à la fin de sa vie le chanteur passait plus de temps derrière une caméra (pour y jouer des petits rôles : dans “Rendez-vous à Bay” d’André Delvaux, par exemple) que sur une scène de music-hall.

Le répertoire de Boby Lapointe se signale par son extraordinaire virtuosité verbale : les jeux de mots fusent sans discontinuer, portés par une phrase saccadée qui donne le tournis. Qui voudrait faire l’expérience d’écouter la totalité des chansons de Boby Lapointe, et en continuité, se trouverait dans l’obligation de suspendre cette écoute de temps à autre pour reprendre son souffle (et retrouver ses esprits). Un mot sur la musique, qui a certainement éloigné du chanteur un public peu friand des tangos, paso doble, marches militaires, calypso et autres rengaines “popu” qui habillent les textes de Boby Lapointe. Cette virtuosité verbale (ah les assonances de Méli-Mélodie !) n’excuse pas que l’on ait parfois tenu pour négligeable la mélodie. Boby Lapointe a toujours écrit les musiques que réclamaient les paroles de ses chansons. Les premières ont pu paraître désuètes, anachroniques ou ringardes aux oreilles de certains. Notre auteur y a répondu de la plus belle des manières, et à sa façon (dans Méli-Mélodie toujours) : “Ah là là ! Quel méli mélo dis ! “.

Il n’existe pas dans la chanson d’oeuvre plus cohérente que celle de Boby Lapointe. C’est ce qui expliquerait que du vivant du chanteur des auditeurs aient cru toujours entendre “la même chose”. Sinon, quel feu d’artifice, quelle fête du langage ! Dans ce registre-là, disons le de go (sans Millau), Boby Lapointe se révèle supérieur à Jacques Lacan. Nous donnons tous les “pères sévères” du monde pour Mon père et ses verres. La tête de nœud boroméenne peut aller se rhabiller devant : “Mon père est marinier / Dans cette péniche / Ma mère dit la paix niche / Dans ce mari niais “. Ou encore l’hilarant Le papa du papa : Boby Lapointe procède ici par accumulation. Et cela devient énorme, démesuré, épique. A savoir le calembour élevé au niveau d’un art exigeant, celui de sa propre dérision (une chanson qu’il faudrait citer entièrement pour l’illustrer).

A ceux qui seraient tenté de penser que Boby Lapointe est l’exact contraire de Paul Verlaine, Monsieur l’agent oppose le démenti le plus éclatant : “Au violon mes sanglots longs / Bercent ma peine / J’ai reçu des coups près du colon / J’ai mal à l’aine “. Un Boby Lapointe pouvait en cacher un autre, comme les vers précédents le laissent entendre. Une dimension encore plus explicite avec Ça va ça vient.