LAVILLIERS (Bernard)

Il y aura fallu plusieurs albums à Bernard Lavilliers pour être considéré comme l’un des meilleurs auteurs-compositeurs-interprètes de sa génération. Le second de ces disques, “Les poètes” (quatre ans après la sortie d’un 33 t passé inaperçu), situe Lavilliers coté textes dans la lignée de Léo Ferré. Cette influence, pour le meilleur, est restée perceptible tout au long de la carrière du chanteur quand bien même le style de Bernard Lavilliers devenait paradoxalement reconnaissable (Lavilliers en 1997 reprendra Préface de Ferré). La première chanson marquante de Bernard Lavilliers (San Salvador) figure sur l’album suivant, “Le stéphanois” sorti en 1975. C’est en quelque sorte la matrice d’un genre : le récit de voyage en provenance des tropiques sur lequel vient se greffer une patte musicale n’appartenant qu’au chanteur. La part autobiographique que l’on retrouve dans ce répertoire n’est pas sans préserver Lavilliers des habituels clichés ou d’une inspiration qui chez d’autres pourrait passer pour une juteuse attirance envers l’exotisme. La chanson qui met “Nanard” sur orbite évoque d’ailleurs les charmes de “la nuit caraïbe “. La voix chaude de l’interprète et ses qualités mélodiques inviteront à repartir ensuite pour de nouvelles destinations tropicales : de Porto-Rico au Brésil.

Le disque qui suit (“Les barbares”), à travers justement l’un des titres emblématiques de Bernard Lavilliers, Les barbares, représente l’autre versant autobiographique, le stéphanois : celui de l’usine, de la zone, de la boxe, des années d’enfance et d’adolescence (“Les barbares habitaient dans les angles tranchants / Des cités exilées au large des business / Ils vivaient leurs blousons d’étranges firmaments / Où luisaient la folie, la mort et la jeunesse “). Ce disque et le suivant déclinent ce second aspect : French vallée, la ferréenne Utopia, Juke-box et 15e round. On revient au premier, illustré sur l’album “Pouvoirs” qui clôt les années 70, avec Fortalerza (“A Fortalerza / On meurt parfois pour un rien / Une mygale ou du chagrin / Un scorpion un américain “) Ce tropisme tropical donne au disque qui ouvre la décennie 80 (“O Gringo”) la couleur musicale qui désormais s’attache à Lavilliers. On y trouve deux de ses plus gros succès, La salsa et Stand the ghetto, mais également O Gringo et Kingston (sans oublier dans un autre genre Traffic).

Le nom de Bernard Lavilliers, alors au sommet de sa carrière, tend à se confondre durant ces années 80 avec les rythmes de danse latinos (samba, salsa, reggae voire bossa et tango) qui vont alors constituer la carte du visite du chanteur (en y ajoutant Pigalle la blanche, Le bal, Tango, East side story, et On the road again, le dernier de ses grands succès), au détriment peut-être de chansons plus directement branchées sur la “critique sociale” (État d’urgence, Q.H.S, Betty). Parmi les cinq albums sortis dans les années 80, celui de 1986 (“Voleur de feu”) se distingue du lot en proposant un cocktail des différentes facettes de Lavilliers (en plus de Tango et East side story, signalons La frontière, Extérieur nuit, et la locomotive du disque, Noir et blanc). Dans le dernier album de cette décennie (“If”) la surprise vient de deux titres, If, sur un texte de Kipling, et Petit (toutes deux bénéficiant d’excellents arrangements “cordes” de Christian Gaubert). En revanche les trois albums des années 90 surprennent moins : on y entend davantage le son de l’époque que celui, même éclaté, des Lavilliers précédents. Ces réserves ne valant pas pour la scène où Bernard Lavilliers continue à se montrer à son avantage.