LECLERC (Félix)

Un vent salubre, venu du Canada français (on ne parlait pas encore de Québec), vient apporter de l’air frais dans la chanson d’expression française du début des années 50. Il s’appelle Félix Leclerc, s’accompagne à la guitare, et possède un timbre de voix grave et chaud. Moi mes souliers, le titre qui le fait connaître, donne déjà le ton. Ce chanteur (auteur-compositeur) est un poète assurément, doublé d’un moraliste : “Dépêchez-vous de salir vos souliers / Pour être pardonné , nous livre les clefs de cette morale. Une autre chanson de ce premier tour de chant, Le p’tit bonheur, remporte un égal succès. Ici le ton devient plus grave, et la vision du monde plutôt désenchantée. D’où la conclusion : “Maintenant quand je rencontre une fontaine ou une fille / Je fais un grand détour ou je me ferme les yeux . On ne saurait oublier parmi cette première (et excellente) salve, Bozo (l’une de ces eaux-fortes dont Leclerc a le secret) et Le train du nord (Félix Leclerc est également un chanteur de blues : il le prouvera en maintes occasions et plus particulièrement avec Blues pour Pinky).

Curieusement, après de tels débuts, les chansons de Félix Leclerc ne s’imposeront pas ensuite dans l’hexagone à l’instar des Moi mes souliers et Le p’tit bonheur. Si ce n’est toute proportion gardée La valse à Joseph. Félix Leclerc, qui déjà fait figure de “classique”, va demeurer de longues années encore la référence chantante du Québec avant la découverte des Vignault, Ferland, Julien, et Charlebois (lesquels, paradoxalement, remettront en selle Félix Leclerc de ce côté-ci de l’Atlantique).

Derrière l’évidence d’un univers éminemment personnel, qui a pu aux oreilles de certains s’apparenter à une série de cartes postales musicales (une nature rude, les grands espaces, la sagesse rurale, les rois sans divertissement), un Félix Leclerc plus incisif apparaît ici ou là. L’auteur de Moi mes souliers (laquelle, l’air de rien, mettait déjà les pieds dans le plat) a son mot à dire sur les affaires de ce monde et se s’en prive pas. Cela ressort de la fable le plus souvent mais le message arrive à destination (qu’il soit discutable, Les 100 000 façons, ou délectable, L’alouette en colère, L’encan (“Approchez messieurs dames / Une belle p’tite nappe d’huile fait main / Tricotée par les siècles, puis cent milliard de beaux p’tits barils d’huile / Pour faire du gaz, d’la chimie, du plastique, du pétrole / Même que l’gouvernement va vous paver un ch’min pour vous y rendre ).

Le tour de l’île (la chanson-titre de l’avant dernier disque de Félix Leclerc) avait été orchestrée par l’excellent François Dompierre en faisant appel à toutes les possibilités d’un orchestre symphonique. Il en va de même avec l’ultime album (1978) du chanteur québécois, qui comporte un diptyque à caractère testamentaire (L’an 1, Mon fils) orchestré fastueusement par Dompierre. Peut-être trop fastueux pour Mon fils (qui aurait mérité un traitement plus modeste pour cet adieu de Félix Leclerc au disque).