LEPREST (Allain)

Allain Leprest, dans sa génération, est l’un des derniers représentants de cette “certaine idée de la chanson” incarnée par les Ferré, Brassens, Brel, Nougaro et cie. Une chanson en voie de disparition en cette fin de vingtième siècle. Seuls Nougaro et Ferré vivaient encore en 1986, l’année de la parution du premier disque de Leprest. Des chansons pareillement “écrites”, ouvragées, ciselées ne courraient certes pas les rues (Nougaro ne s’y trompa pas, en disant alors tout le bien qu’il pensait de Leprest). La vois rauque de l’interprète surprenait de prime abord, puis finissait par emporter l’adhésion. C’était là affaire de conviction et Allain Leprest n’en manque pas, assurément. Tous les thèmes, ou presque, que l’on retrouvera par la suite chez lui, sont déjà présents dans ses deux premiers albums : la compassion pour les “abîmés” de l’existence” (Bilou), la mer et les marins (Y’a rien qui s’passe), les copains, les bistrots, l’alcool (La kermesse, Mec : ”Tu dis rien, tu sais bien que tout va y passer / Rimbaud, le fric, la guerre, Isabelle et l’alcool “), et surtout les années d’enfance (J’étais un gamin laid, Mont Saint-Aignant). Une enfance et une adolescence passées dans une banlieue populaire de Rouen.

Un seul musicien, accompagne Allain Leprest dans son troisième album, l’accordéoniste Richard Galliano. Comme pour les deux précédents disques les musiques sont signées par différents compositeurs. On retient deux belles mélodies de Romain Didier sur les vers de Je viens vous voir et Le Cotentin. Deux titres sortent du lot. Chanter des fois... nous parle du monde comme il va (mal),”Peut-être que dans l’temps il f’ra beau / La mort n’a jamais fait ses preuves / Et ce con à la météo / Qui compte pas les larmes qui pleuvent / Sur mon buvard / Chanter, chanter des fois ça noie l’cafard “, et C’est peut-être (l’une des plus belles chansons de Leprest).

L’enfance occupe une place privilégiée dans le quatrième album. Chez Leprest cette thématique ne cultive pas trop la nostalgie. C’est un monde qu’il nous donne à voir et à entendre, en particulier dans Le copain de mon père : “Recalé d’l’a sécu / Il brassait son roman / Et des histoires de cul / Qui f’saient rougir maman . Dans ce disque plus apaisé que le précédent le piano de Romain Didier met bien en valeur les mots de Sur les pointes. Et puis, question d’atmosphère, comment rivaliser avec Leprest dans Canal Saint-Martin (“Paris secoue ses reins / Un vieux violon chagrin / Essore un refrain / Sur un banc “). “Nu”, le cinquième album studio d’Allain Leprest, se distingue des précédents par une couleur orchestrale plus “moderne”. Les ombres de Ferré (La colère) et de Brel (Quand j’ai bu j’vois double) viennent planer sur ce disque qui reprend les thèmes habituels de Leprest (l’enfance une fois de plus avec Le dico de grand mère et Rouen : “Les cendres d’un bûcher / Pour t’habiller de gris / Cent clochers pour lécher / Le cul du Saint-Esprit “). La Courneuve décrit une rencontre essentielle (“J’ai entendu / La douleur de la peau de ton état civil “) et Tu penses à lui évoque pudiquement au sein d’un couple la femme qui pense à “l’autre”. Enfin SDF tire à bout portant contre la misère. Mots et musique s’accordent sur la ligne de tir. L’exemple même d’une chanson qui ne rate pas sa cible.