MANSET (Gérard)

Un Manset peut-il en cacher un autre ? Il s’agit certainement du seul chanteur qui soit parvenu de son vivant à créer un mythe autant musical que personnel. L’invisibilité de Gérard Manset l’explique en grande partie (vis à vis de la scène, des médias, et même des pochettes de disques). Mais aussi le côté démiurge d’un musicien réalisant seul, en studio, l’un ou l’autre des albums rythmant la carrière du chanteur. Sa voix, qui semblait le desservir à ses débuts, devient au contraire la preuve par l’organe du caractère médiumnique de l’interprète. Une légende encore renforcée par les nombreux voyages de Manset à travers le monde et l’écho que ceux-ci renvoient dans des textes se référant volontiers à l’Orient et dont la dimension mystique n’est pas absente.

Cependant, ceci posé, que dire de cette écoute ? Gérard Manset a sans doute inventé ou vulgarisé (c’est selon) un style de musique pop, du moins à l’échelle hexagonale. Dans 2870, par exemple, Manset peut être comparé au meilleur du domaine pop anglo-saxon. On citera, dans le même ordre d’idée, parmi les titres connus, Il voyage en solitaire, Lumières, Tristes tropiques, mais aussi Que deviens-tu ?, Et l’or de leurs corps, Le lieu désiré, plus confidentiels. Les réserves portent sur le coté un tantinet fabriqué, voire artificiel des enregistrements. Mais n’est ce pas la logique de ce genre de production ? Et puis, quelquefois l’usage de la répétition ne provoque pas l’aspect hypnotique plus ou moins recherché mais finit par engendrer un certain ennui. Plutôt déconcertante, l’attitude de Manset vis à vis de son œuvre (laquelle pour le vingtième siècle comprend 16 albums) contribue à brouiller les pistes depuis l’apparition du support CD. Manset ressemble à un peintre qui, lors d’une exposition lui étant consacrée, et dont l’accrochage respecterait la dimension chronologique, s’évertuerait au fil des jours à déplacer ou à retirer des toiles pour ruiner l’idée même d’une chronologie tout en donnant un coup de pinceau supplémentaire ici ou là. Cette attitude, qui n’est pas sans exercer une certaine fascination, n’en possède pas moins son revers. Manset a éliminé de cette réédition en CD son premier album, sorti en 1968 : ce perfectionniste estimant que ce disque n’avait pas alors été réalisé avec le soin voulu.

Ceux qui ont aimé cet album lors de sa sortie ou durant la décennie suivante peuvent se sentir légitimement frustrés. Ce disque comporte quelques unes des chansons parmi les meilleures jamais écrites par Manset, dont Animal on est mal : “Animal on est mal / Et si on ne se conduit pas bien / On vivra peut-être dans la peau d’un humain “ (qui figurait dans un 45 tour précédent), le fameux Je suis Dieu (“Je suis Dieu / Et je joue avec des bouchons de liège / Je suis Dieu / J’ai dans ma chambre autant de lits que de sièges / Je suis Dieu / Dans mon cercueil / Je suis Dieu / Dans mon linceul / Je n’ai pas le moindre souci de la vie “), La toile du maître, On ne tue pas son prochain. La disparition de ce “Manset 68” lui confère un caractère on ne peut plus mythique qui, nous y contribuons ici, laisserait entendre que le “meilleur Manset” serait à rechercher du coté de cet album mésestimé par son interprète. Il a pris ses responsabilités, nous prenons les nôtres.