MONTAND (Yves)

La carrière de certains interprètes - on pense à celle de Juliette Greco qui couvre, comme pour Yves Montand, un demi siècle - s’inscrit dans une continuité. Chez d’autres, en revanche, une ou plusieurs ruptures apparaissent : on parlera d’un premier untel, ou d’un second, voire d’un troisième, etc. Yves Montand ne peut être rangé dans l’une ou l’autre de ces catégories. C’est dire que l’exercice s’avère plus difficile avec cet interprète. Sans parler de Montand l’acteur, et plus encore du “personnage public” des quinze dernières années : deux données qui complexifient davantage “le cas Yves Montand”.

Sa carrière prend véritablement son envol lors de sa rencontre avec Édith Piaf. Cette dernière l’incite à abandonner ses chansons de cow-boy (Dans les plaines du Far West, entre autres) pour un répertoire plus adapté à sa personnalité. Ce Montand de l’après guerre se décline sous différents registres (dont certains se superposent) : un goût pour le jazz (Il fait des..., Battling Joë) et la chanson de charme (C’est si bon, Clémentine, Du soleil plein la tête), la volonté de défendre une certaine chanson populaire (Luna Park, Et la fête continue, qui campent le “Montand prolo”, ainsi que les premières chansons de Francis Lemarque), mais aussi un répertoire plus “intellectuel” ou “poétique”, celui de Jacques Prévert (Les cireurs de souliers de Broadway, Les enfants qui s’aiment). Les deux plus gros succès de Montand datent de cette époque : A Paris et Les feuilles mortes illustrent justement ce double aspect (qui tendra à se confondre au fil des ans).

Yves Montand connaît un pic de popularité durant les années 1951-1952. Il crée à cette époque Saltimbanque (sur un poème d’Apollinaire), Une demoiselle sur une balançoire (Nohain-Mireille), Grands boulevards (un concentré de Montand, si l’on peut dire), et plusieurs Lemarque (Les routiers, Toi tu ne ressembles à personne, Quant un soldat). Les années suivantes, les chansons d’Yves Montand rencontrent moins la faveur du public alors que l’interprète attire toujours autant de monde sur les scènes de music-hall. De nouveaux auteurs-compositeurs vont, à la fin des années cinquante et au début de la décennie suivante, renouveler le répertoire de Montand : citons Planter café, La fête à Loulou, Le chat de la voisine, Rengaine ta rengaine, La chansonnette. Ensuite, progressivement, le comédien prend le pas sur le chanteur. Celui-ci n’est plus sur le devant de la scène mais continue à donner de ses nouvelles de tant à autre (La bicyclette, son dernier grand succès, aurait même eu davantage d’écho s’il n’était sorti en... mai 68 !). Le répertoire du dernier Yves Montand évacue l’aspect populaire qui avait fait en partie la réputation du chanteur pour privilégier une chanson plus poétique (Mon frère, Coucher avec elle), d’une autre dimension politique (Casse-tête) ou musicale (Hollywood), ou mettant en avant la virtuosité verbale (Idylle phénoménale).

Il parait difficile pour conclure de ne pas évoquer Yves Montand, l’homme de scène. On l’a dit et redit : les prestations scéniques de Montand évoquaient le plus précis des mécanismes d’horlogerie. Ce souci du moindre détail, d’une perfection presque obsessionnelle, contribuant à la réussite de nombreux “numéros”. On connaît le revers de la médaille : trop de perfection tue la spontanéité avec le risque, à la longue, d’engendrer un certain ennui. Pourtant, tandis que le Montand public des années quatre-vingt devenait de plus en plus caricatural (disons qu’il venait d’échanger une erreur contre une autre : le défenseur d’un capitalisme new look prenant la place du compagnon de route du P.C.F.), les concerts donnés par Yves Montand continuaient à mettre l’accent sur l’exigence fondamentale de l’artiste : cette “solitude du chanteur de fond”, comme l’a si bien montrée Chris Marker. C’est celle que l’on retiendra.