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OBERFELD (Casimir)

Ce compositeur un peu oublié, pourtant l’un des plus en vue de l’entre-deux-guerres, a écrit pour Georges Milton, Mistinguett, Fernandel, Maurice Chevalier (C’est pour mon papa et Émilienne, C’est vrai, Félicie aussi, Paris sera toujours Paris) quelques unes des chansons les plus marquantes de leurs répertoires respectifs. Casimir Oberfeld est mort en déportation à Auschwitz en 1944.


OGERET (Marc)

Interprète de Ferré, Seghers, Aragon, Bruant, Vasca, Marc Ogeret a consacré plusieurs disques au patrimoine de la chanson révolutionnaire. Deux d’entre eux sont devenus des classiques : “Autour de la Commune” et “Chansons contre”. Moins connu, l’album de 1971 “Le condamné à mort” (d’après le long poème de Jean Genet et sur une musique d’Hélène Martin) est certainement l’une des plus belles réussites dans le genre.


Orly (Jacques Brel)

Dans cet inoubliable Orly, Jacques Brel nous donne à voir un monde à travers l’observation d’un couple d’amoureux : celle d’un garçon et d’une une fille qui s’aiment et se séparent parmi la foule “d’adipeux en sueur / Et de bouffeur d’espoir “ qui les grignote. Comme le chante Brel dans le refrain : “La vie ne fait pas de cadeau “. On aimerait citer entièrement cette admirable chanson dont les vers suivants ne pouvaient être écrits que par Jacques Brel : “Je crois qu’ils sont en train / De ne rien se promettre / Ces deux là sont trop maigres : Pour être malhonnêtes “, ou “Mais ces deux déchirés / Superbes de chagrin / Abandonnent aux chiens / L’exploit de les juger “, ou encore “La revoilà fragile / avant que d’être à vendre “.


OSWALD (Marianne)

Marianne Oswald ne ressemble à personne. Chanteuse réaliste ? Elle en excède le genre. Chanteuse expressionniste ? A condition de la réduire à la dimension du cabaret. Diseuse ? Sous certains aspects. Chanteuse engagée ? A sa façon.

Née à Sarregemines sous l’occupation allemande, cette lorraine, née Alice Bloch, se produit dans un premier temps sur les planches berlinoises, puis s’installe définitivement à Paris avant la prise de pouvoir par les nazis. Marianne Oswald se fait remarquer par son style d’interprétation “parlé chanté” inspiré du Sprechgesang d’Arnold Schoenberg. D’abord interprète en français des songs de Brecht et Weill, elle reste dans ce registre en chantant Mauprey (l’un des traducteurs de Brecht), avant de jeter son dévolu en 1933 sur plusieurs titres de Jean Tranchant (que ce dernier n’interprète pas). L’univers sombre, caustique, expressionniste, parfois désespéré de ces quatre chansons ne pouvait que séduire “la chanteuse à la voix rauque” : La grand étang, Appel, Sans repentir, et surtout La complainte de Kesoubah (“Mais moi j’ai cherché le bonheur / Comme il n’existe pas sur terre / Je n’ai trouvé que la misère / Je suis une bête de somme / Condamnée à aimer les hommes / Jusqu’au terme de son voyage... / Et puis, zut ! Pour les bons ménages “). Marianne Oswald fait preuve ensuite du même discernement quand on relève dans son répertoire la géniale Jeu de massacre de Clouzot et Yvain, ou des chansons écrites par Bonheur et Wal Berg (L’émigrante, Les soutiers), ainsi que cette curiosité du nom de Mon oncle a tout repeint, de Jean Nohain et... Hans Eisler ! Dans Les boules de neige (sur un poème de Paul Fort), l’interprétation de Marianne Oswald donne à ce texte une dimension tragique. Il y a chez elle quelque chose d’halluciné qui rapproche plus que jamais la chanteuse de l’expressionnisme.

Marianne Oswald fut la première (en même temps qu’Agnès Capri) interprète de Jacques Prévert. Rappelons l’anecdote suivante, significative. Avant de chanter Prévert, nous sommes en 1934, Marianne Oswald interprète Appel sur une scène parisienne (“Quinze millions d’hommes tombés / Quinze millions de macchabés / Mais qu’il soit vainqueur ou vaincu / Le monde entier a mal vécu / Et Rataplan et Rataplan / Les morts se vengent des vivants “). Une partie du public la siffle copieusement. Jacques Prévert et ses camarades échangent alors des coups de poing avec quelques uns de ces “bons français” qu’indisposent les couplets pacifistes de Jean Tranchant. Wal Berg met en musique Toute seule (reprise 50 ans plus tard par Jean Guidoni) et Embrasse moi (“Notre vie c’est maintenant “). Kosma fait de même avec Les bruits de la nuit, et ces deux petits chefs d’oeuvre que sont La grasse matinée (“Il est terrible / le petit bruit de l’oeuf cassé sur un comptoir d’étain / il est terrible ce bruit / quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim “) et Chasse à l’enfant (Ici “les salauds de braves gens” sont brocardés sur un rythme haletant, presque cinématographique : la manière dont Marianne Oswald déclame l’obsessionnel “Bandit, voleur, voyou, chenapan “ n’a jamais été égalée).

L’image de “chanteuse intellectuelle” qui s’attachait à Marianne Oswald ne lui a malheureusement pas permis de rencontrer un plus large public. De surcroît cette interprète exigeante chantait la révolte, le désespoir et la difficulté de vivre : ce qui n’arrangeait rien de ce point de vue là. La chanteuse s’exile aux États Unis entre 1940 et 1945. De retour en France Marianne Oswald devient productrice d’émissions de radio, puis de télévision. La réédition en 1992 par EPM des chansons gravées dans la cire par la chanteuse entre 1932 et 1938 est un événement qu’il convient de saluer. Il était temps de (re)découvrir l’une des plus grandes dames de la chanson française.


Où est-il donc ? (L Carol & A Decaye - Vincent Scotto)

Chanson du film “Pépé le Moko”, Où est-il donc ? avait pourtant été créée dix ans plus tôt. En 1926 déjà, le regret d’un Paris qui n’est plus taraudait la chanson (“Où est-il mon moulin d’la place Blanche ? / Mon tabac et mon bistrot du coin ? ). Et l’on savait ici à quoi s’en tenir : la banque n’est ce pas. Nulle interprète n’était plus désignée que Frehel pour en témoigner. Pouvait-on prévoir que le pire serait à venir ? Les “années Pompidou”, s’il faut préciser.


OUVRARD (Gaston)

Fils d’Éloi Ouvrard, que l’on considère comme l’inventeur du comique troupier, Gaston marche sur les traces paternelles en illustrant un genre pourtant tombé en désuétude après la boucherie de 14-18. D’ailleurs son plus gros succès, Je n’suis pas bien portant, parait avoir été écrit avant la “grande guerre”. Ouvrard fils refera surface dans les années 70. La télévision popularisera cette silhouette (Gaston revêtant l’uniforme de piou piou abandonné en 1928), et le répertoire d’un interprète qui n’avait rien perdu de sa célèbre volubilité.


Ouvre (Edmond Haraucourt - Laurent Rualten)

Il existe deux versions de cette chanson, l’une des plus érotiques de ce siècle, que Suzy Solidor enregistra au seuil de sa carrière et qui ne fut pas étrangère à la réputation sulfureuse de la chanteuse. Dans la première, celle de 1933, les deux derniers couplets (“Ouvre tes jambes, prend mes flancs / Dans ces rondeurs blanches et lisses / Ouvre tes deux genoux tremblants / Ouvre tes cuisses / Ouvre tout ce ce qu’on peut ouvrir / Dans les chauds trésors de ton ventre / J’inonderai sans me tarir / L’abîme ou j’entre “) illustrent la convention qui voulait que les interprètes féminines, du moins dans ce genre de répertoire, déclinent ces chansons sur le mode masculin. L’année suivante Suzy Solidor réenregistre Ouvre en l’amputant de ses deux derniers couplets. La chanson y perd son coté “torride” mais devient plus troublante : on relève alors comme une ambiguïté en terme d’objet sexuel qui contribuera à faire de Ouvre un hymne saphiste.