OSWALD (Marianne)

Marianne Oswald ne ressemble à personne. Chanteuse réaliste ? Elle en excède le genre. Chanteuse expressionniste ? A condition de la réduire à la dimension du cabaret. Diseuse ? Sous certains aspects. Chanteuse engagée ? A sa façon.

Née à Sarregemines sous l’occupation allemande, cette lorraine, née Alice Bloch, se produit dans un premier temps sur les planches berlinoises, puis s’installe définitivement à Paris avant la prise de pouvoir par les nazis. Marianne Oswald se fait remarquer par son style d’interprétation “parlé chanté” inspiré du Sprechgesang d’Arnold Schoenberg. D’abord interprète en français des songs de Brecht et Weill, elle reste dans ce registre en chantant Mauprey (l’un des traducteurs de Brecht), avant de jeter son dévolu en 1933 sur plusieurs titres de Jean Tranchant (que ce dernier n’interprète pas). L’univers sombre, caustique, expressionniste, parfois désespéré de ces quatre chansons ne pouvait que séduire “la chanteuse à la voix rauque” : La grand étang, Appel, Sans repentir, et surtout La complainte de Kesoubah (“Mais moi j’ai cherché le bonheur / Comme il n’existe pas sur terre / Je n’ai trouvé que la misère / Je suis une bête de somme / Condamnée à aimer les hommes / Jusqu’au terme de son voyage... / Et puis, zut ! Pour les bons ménages “). Marianne Oswald fait preuve ensuite du même discernement quand on relève dans son répertoire la géniale Jeu de massacre de Clouzot et Yvain, ou des chansons écrites par Bonheur et Wal Berg (L’émigrante, Les soutiers), ainsi que cette curiosité du nom de Mon oncle a tout repeint, de Jean Nohain et... Hans Eisler ! Dans Les boules de neige (sur un poème de Paul Fort), l’interprétation de Marianne Oswald donne à ce texte une dimension tragique. Il y a chez elle quelque chose d’halluciné qui rapproche plus que jamais la chanteuse de l’expressionnisme.

Marianne Oswald fut la première (en même temps qu’Agnès Capri) interprète de Jacques Prévert. Rappelons l’anecdote suivante, significative. Avant de chanter Prévert, nous sommes en 1934, Marianne Oswald interprète Appel sur une scène parisienne (“Quinze millions d’hommes tombés / Quinze millions de macchabés / Mais qu’il soit vainqueur ou vaincu / Le monde entier a mal vécu / Et Rataplan et Rataplan / Les morts se vengent des vivants “). Une partie du public la siffle copieusement. Jacques Prévert et ses camarades échangent alors des coups de poing avec quelques uns de ces “bons français” qu’indisposent les couplets pacifistes de Jean Tranchant. Wal Berg met en musique Toute seule (reprise 50 ans plus tard par Jean Guidoni) et Embrasse moi (“Notre vie c’est maintenant “). Kosma fait de même avec Les bruits de la nuit, et ces deux petits chefs d’oeuvre que sont La grasse matinée (“Il est terrible / le petit bruit de l’oeuf cassé sur un comptoir d’étain / il est terrible ce bruit / quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim “) et Chasse à l’enfant (Ici “les salauds de braves gens” sont brocardés sur un rythme haletant, presque cinématographique : la manière dont Marianne Oswald déclame l’obsessionnel “Bandit, voleur, voyou, chenapan “ n’a jamais été égalée).

L’image de “chanteuse intellectuelle” qui s’attachait à Marianne Oswald ne lui a malheureusement pas permis de rencontrer un plus large public. De surcroît cette interprète exigeante chantait la révolte, le désespoir et la difficulté de vivre : ce qui n’arrangeait rien de ce point de vue là. La chanteuse s’exile aux États Unis entre 1940 et 1945. De retour en France Marianne Oswald devient productrice d’émissions de radio, puis de télévision. La réédition en 1992 par EPM des chansons gravées dans la cire par la chanteuse entre 1932 et 1938 est un événement qu’il convient de saluer. Il était temps de (re)découvrir l’une des plus grandes dames de la chanson française.