PIAF (Édith)

Avec Édith Piaf, déjà un mythe de son vivant - et plus encore quarante ans après sa disparition -, il convient d’éviter dans la mesure du possible un double écueil : trop de biographique risque d’occulter l’un des répertoires les plus conséquent du XXe siècle, et ne pas vouloir en tenir compte ne rendrait pas justice à une interprète dont la vie et les chansons sont parfois intimement liées. En reprenant avec le succès que l’on sait Mon légionnaire, créée peu de temps auparavant par Marie Dubas, la môme Piaf s’effaçait devant Édith Piaf. La jeune chanteuse s’était fait connaître l’année précédente avec la presque autobiographique Les mômes de la cloche et Entre Saint-Ouen et Clignancourt, mais surtout par son interprétation de L’étranger (la première en date, dans la catégorie “chansons d’amour”, de ces rencontres sans lendemain que Piaf chantera toute sa vie, ou presque). Cette chanson inaugurait une longue et fructueuse collaboration avec Marguerite Monnot, la compositrice, dont le nom sera pendant 25 ans étroitement lié à son interprète de prédilection. Une autre rencontre, celle de Raymond Asso, provoquée par Mon légionnaire (écrite par Asso sur une musique de Marguerite Monnot), va infléchir la carrière de la chanteuse. Durant cette courte période de l’avant guerre, Raymond Asso écrit la plupart des chansons de sa protégée (Browning, Paris-Méditerranée, Un jeune homme chantait, C’est lui que mon cœur a choisi, Le petit monsieur triste, Elle fréquentait la rue Pigalle).

En 1940, un jeune auteur-compositeur, Michel Emer, présente à Piaf cet Accordéoniste qu’elle chantera toute sa vie. Durant la guerre, Édith Piaf reste sur le devant de la scène (De l’autre côté de la rue, Le vagabond, C’était une histoire d’amour, Y’a pas d’printemps, Un monsieur me suit dans la rue). Dans l’après guerre elle enchaîne avec Bal dans ma rue, L’orgue des amoureux, Les amants de Paris, Le prisonnier de la tour. Deux autres chansons la propulsent au sommet : Les trois cloches (interprétée avec le groupe vocal Les Compagnons de la chanson, que Piaf contribue ainsi à “lancer”) et l’illustrissime La vie en rose. C’est durant cette même époque que commence à se constituer autour de Piaf l’équipe d’auteurs et de compositeurs adoubés par la chanteuse : aux fidèles Marguerite Monnot et Michel Emer, se joignent Henri Contet pour les textes, Louiguy et Norbert Glanzberg pour les musiques (pendant les années cinquante les paroliers Michèle Senlis, Claude Delécluze, Michel Rivgauche viendront grossir la petite troupe, puis Georges Moustaki, et encore Charles Dumont et Michel Vaucaire un peu plus tard, et pour finir Michèle Vendôme et Francis Lai pendant les années soixante).

Les années cinquante marquent l’apogée d’Édith Piaf. Jamais nul interprète n’aura aligné autant de succès qui restent dans la mémoire collective (et dont certains sont d’incontestables réussites). Citons d’une part : Johnny tu n’es pas un ange, les entraînantes Padam padam et Mon manège à moi, les prouesses vocales de L’homme à la moto, cette Bravo pour le clown au sujet de laquelle Boris Vian écrivait (“Je n’aime pas du tout cette chanson (...) Elle me parait un épouvantable mélo (...) Et bien Piaf réussit à l’imposer. Chapeau, Madame Piaf... vous êtes une acrobate avec votre clown, nimporte qui se cassait la figure. Il est vrai que Piaf pourrait faire pleurer en chantant l’annuaire du téléphone”), l’irrésistible La foule (avec ces fameux petits pas de valse sur les dernières mesures de la chanson) ; et d’autre part les chansons écrites sur des musiques de Marguerite Monnot (la compositrice étant alors au sommet de son art) : L’hymne à l’amour, La goualante du pauvre Jean (nous ne sommes pas près d’oublier la pirouette gouailleuse par laquelle Édith Piaf clôt cette superbe chanson), C’est à Hambourg ou la rencontre entre l’univers de “L’Opéra de quatre sous” et les derniers feux de la chanson réaliste (oh le troublant, le tendre, l’émouvant “au revoir, petite gueule de l’interprète !), Les amants d’un jour (comment ne pas évoquer l’une des premières scènes du film “Hôtel du Nord”, celle où les deux jeunes amoureux décident de mettre un terme à leur vie : ici la serveuse raconte cette histoire qui ne peut être la sienne, (“J’ai bien trop à faire / Pour pouvoir rêver ), et Milord, pour finir ce cycle, la dernière et inoubliable des grandes chansons de Piaf : l’une de celles qui apportent le témoignage de l’exceptionnelle présence scénique d’une interprète habitée, littéralement parlant, par l’une ou l’autre des chansons de son répertoire.

On connaît l’importance dans la carrière et la vie d’Édith Piaf de Non je ne regrette rien. Cette chanson qui ouvre les années soixante ne peut cependant pas être comparée aux précédentes (tout comme Charles Dumont, le compositeur, à la grande Marguerite Monnot). Le biographique prend alors le dessus : A quoi ça sert l’amour ne vaut d’être citée qu’à ce titre. Avec les ultimes chansons enregistrées par Piaf une relève semblait pouvoir être assurée par le tandem Michèle Vendôme / Francis Lai (L’homme de Berlin, par exemple, pouvait renvoyer quoique un ton en dessous aux chansons écrites auparavant par Claude Delécluze et Marguerite Monnot). La mort de la chanteuse n’a pas permis de le vérifier