PRÉVERT (Jacques)

Michel Houellebecq déteste Jacques Prévert. C’est son droit. A le lire il s’agirait d’une question générationnelle. Houellebecq ne comprend pas, dit-il, l’optimisme de la génération des Vian, Brassens, Prévert. Quel optimisme ? A nous de faire preuve d’incompréhension. Et puis l’on subodore que Houellebecq appelle “optimisme” tout esprit de révolte, toute contestation de l’ordre établi, toute attaque contre la religion, et plus généralement toute critique de la société. Revenu de tout (et parfois même de rien), Houellebecq se félicite d’être de son temps. Nous sommes devenus beaucoup plus intelligents, ajoute-t-il. C’est curieux, nous ne l’avions pas remarqué. Comme témoins à charge contre la poésie et la conception du monde défendue par Prévert (qualifiée l’une de “médiocre” et l’autre de “stupidité sans bornes”, Houellebecq convoque curieusement Baudelaire et Marx. Il ignore vraisemblablement tout du second mais il aurait trouvé une phrase chez Marx censée clouer le bec à Prévert. Enfin (et avant tout) Houellebecq déteste les libertaires. On l’avait compris.

Mais laissons là Michel Houellebecq (dont l’acrimonieux propos relevé ci-dessus a d’abord été publié dans les Lettres Françaises sous le titre “Jacques Prévert est un con”) pour citer Georges Bataille. Lors de la parution en 1949 de “Paroles” (un recueil où figurent de nombreux poèmes de Prévert mis en musique avant ou après cette date), Bataille écrivait : “Ce qui, au premier degré, est le propre de Prévert n’est pas la jeunesse - ce serait peu dire - mais l’enfance, le léger éclat de la folie, l’enjouement d’une enfance qui n’a pour “la grande personne” aucun égard (...) A propos de films, de la politique, des animaux et des hommes, je l’ai toujours entendu parler d’une même chose : de ce qui en nous plus fort que nous, exclut la convenance et la grimace, de ce qui emporté, puéril, railleur, nous situe bizarrement aux limites de ce qui est et n’est pas, et plus précisément d’un goût de vivre violent, total et indifférent, qui ne calcule pas, ne s’effraie pas, et toujours à la merci de la passion (il parlait sans fatras intellectuel, envoûtant qui l’entendait, d’habitude entouré de camarades très simples, souvent prolétaires)”. La poésie de Prévert, s’il faut la résumer, se confond principalement avec cet “esprit d’enfance” que l’on sait frondeur, et qui, prenant le parti de guignol, rosse copieusement le gendarme pour le plus grand plaisir des petits et grands.

Les premiers textes de Prévert mis en musique datent du milieu des années trente. Marianne Oswald et Agnès Capri inscrivent, en les interprétant différemment, des chansons de Prévert à leur répertoire : d’abord Embrasse moi, puis La chasse à l’enfant, La grasse matinée, A la belle étoile, Les bruits de la nuit (le premier sur une mélodie de Wal-Berg, et les trois suivant sur des musiques de Joseph Kosma, compositeur indissolublement lié depuis à Jacques Prévert). Défendu au disque et sur la scène par des interprètes s’adressant plutôt à un public “intello”, le nom de Jacques Prévert se trouve à la fin de ces années trente davantage associé aux films de Marcel Carné dont il écrit le scénario et les dialogues. Prévert, on le répète, attendra 1949 pour voir paraître son premier recueil de poèmes !

Les chansons de Prévert (le plus souvent sur des musiques de Kosma) vont être popularisées dans l’après guerre par de grands interprètes : Mouloudji, Cora Vaucaire, Germaine Montero, Catherine Sauvage, Juliette Gréco, Les Frères Jacques, Yves Montand (qui contribua à faire connaître Les feuilles mortes dans le monde entier). La chanson, dans l’après-guerre ? La rime vient naturellement : c’est Jacques Prévert !