RENAUD

Enfant de mai 68 et du “Café de la Gare”, Renaud s’est retrouvé au carrefour de diverses influences musicales : le rock (pour l’époque), le folk (une dette envers Dylan et Auffray), et le baloche (entre Bruant et la chanson réaliste). C’est cet espèce de cocktail molotov que l’on entend dans le premier album de Renaud (qui comporte Amoureux de Paname, Hexagone, Gueule d’aminche). Il suffit d’y ajouter une tranche de zone, un doigt de verlan, une plaque de mob et une bande de loubards pour se projeter dans l’univers des deux albums suivants : Laisse béton, Je suis une bande de jeunes, Ma gonzesse, Chanson pour Pierrot, étant les titres les plus significatifs. Durant les sinistres années quatre-vingt les chansons de Renaud recueillent un très large écho. On peut cependant préférer aux Dans mon HLM, Morgane de toi, En cloque, Des que le vent soufflera, et autre Mistral gagnant, qui font la notoriété de Renaud, les Banlieue rouge et Rouge-gorge (“Prolo ordinaire / Peuple de Paris / Rouge-gorge est fier / D’être né ici “), plus confidentielles.

En terme d’image, au fil des années, le Renaud contestataire, banlieusard, voyou à l’occasion, cède volontiers la place à l’époux comblé, au père de famille exemplaire, ou au défenseur des causes humanitaires. On se souvient peut-être que Gérard Lebovici, l’éditeur et l’ami de Guy Debord, qui dans un premier temps saluait le chanteur qui avait “conquis l’audience de la jeunesse sauvage”, celui pour qui s’était levé “un admirable public”, répondit, à un faire-part de naissance que venait de lui adresser Renaud, entre autres considérations peu amènes par : “Je ne m’étonne pas que vous n’ayez plus le goût et le style dont vous avez fait preuve naguère dans vos chansons”.

Cela donne la mesure de la déception de quelques uns de ceux qui sans doute prirent Renaud pour ce qu’il n’était pas. Fausse querelle alors ? Renaud n’a “abusé” que le public qui confond à la virgule près le contenu des chansons avec la personne qui les écrit et les interprète. Ensuite il est vrai que les palinodies du “chanteur énervant” sur le mode “Tonton je t’aime, tonton je ne t’aime plus” n’ont pas été sans provoquer de notables défections dans les rangs des renaudiens de longue date.

La suite appartient en partie au siècle suivant avec l’épisode alcoolique, le “retour gagnant” du chanteur, une forte présence médiatique, etc. La fameuse couverture de Paris-Match ne changera fondamentalement rien à l’affaire : Renaud ayant réussi à concilier dans le genre chanson les aspects contestataire et... people. Chacun conviendra que ceci ne constitue pas véritablement une gageure à l’avènement du XXIe siècle.