SALVADOR (Henri)

La carrière d’Henri Salvador ne saurait être résumée en un seul trait. On y repère certes deux grandes tendances, mais encore faut-il bien savoir distinguer ou trier à l’intérieur de chacune d’elles. Un Salvador se cache derrière un autre, et réciproquement. Sans être certain qu’il s’agisse du “bon” Salvador.

Partons du Salvador, chanteur de charme (sans que cette appellation soit ici péjorative), puisque celui-ci se taille la part du lion dans les années 40 et 50 : des chansons comme Maladie d’amour, Si jolie, L’abeille et le papillon, Le petit indien, Il n’y a plus d’amandes, A Cannes cet été, l’illustrent. La palme revenant à Le loup la biche et le chevalier, le plus gros succès de cette liste. La voix de l’interprète (un grain proche du velours) sert à merveille ce répertoire dont toutes les chansons citées sont des compositions d’Henri Salvador (en y ajoutant, pour compléter cette première liste, A Saint-Germain-des-Près et La chanson du scaphandrier : ceci pour préciser que Salvador fut l’un des premiers interprètes de Léo Ferré).

Moins présent durant les années soixante (ou après), ce Salvador “charme” élargit cependant sa palette avec Le lion est mort ce soir (autre gros succès) et Count Basie. Mais les deux chansons les plus marquantes de cette seconde période, Syracuse (texte de Bernard Dimey) et Cherche la rose (d’Henri Rouzaud) cultivent plus volontiers une fibre poétique : Syracuse appartenant à cette catégorie de chansons qui, au fil des années, prennent place dans un “panthéon de la chanson” (ce que l’on ne soupçonnait pas en 1962, date de sa création).

Le second Salvador, le chanteur comique (surtout dans le registre parodique) vient de loin. Déjà du temps où Henri Salvador, le guitariste, jouait (et chantait) dans l’orchestre de Ray Ventura, ses dons comiques étaient reconnus. Ce Salvador là a toujours cohabité avec le premier (dit de charme), mais s’est affirmé durant la seconde partie des années cinquante au plus fort de sa collaboration avec Boris Vian. Les deux compères privilégiant le registre parodique, soit dans la chanson créole (Je ne veux pas travailler, Ça pince) ou rock (les Va t’faire cuire un œuf man ! et Rock and roll mops d’un 45 tour signé Henry Cording : aujourd’hui considéré comme étant le premier disque de rock n’ roll en France). On ne saurait oublier l’inénarrable Blues du dentiste et la plus célèbre Faut rigoler. A partir des années soixante, la dimension comique devient dominante dans le répertoire d’Henri Salvador (sans pour autant se situer au niveau des titres précédent, Vian étant disparu en 1959). Là aussi le registre parodique prend le dessus (à l’exception de Le travail c’est la santé, autre succès) avec Papa Liszt en twist, Twist SNCF, Mais non mais non, Monsieur boum boum. Puis Salvador, fort du succès de Minnie petite souris et surtout Zorro est arrivé (le succès de l’été 1964) privilégie alors la chanson-gag (Juanita Banana, J’aime tes genoux) ou un répertoire enfantin (versant Disneyland). Ce dernier filon, assurément pas le meilleur, s’imposant dans un contexte où Salvador prenait ses distances avec le music-hall.

Henri Salvador boucle en quelque sorte la boucle avec un album en 2000 faisant l’unanimité, versants critique et public (“Chambre avec vue”) et le titre Jardin d’hiver : une excellente façon de donner congé à un siècle dans lequel le parcours atypique de Monsieur Henri Salvador devait être salué.