SOUCHON (Alain)

Durant les années soixante-dix Alain Souchon trimbalait déjà sa dégaine de vieil adolescent dans des chansons qui portent indiscutablement la griffe de l’auteur : telles Allô maman bobo (pour l’aspect sensible, fragile, “mal dans sa peau”), Poulaillers’ song (une charge antixénophobe traitée par le biais de la fable et de l’humour), Bidon (qui campe sur ces deux rives), et Y’a d’la rumba dans l’air, Le bagdad de ian bihoue. Les années quatre-vingt creusent le même sillon (depuis Rame jusqu'à Ultra moderne solitude en passant par Manivelle, Saute en l’air, Somerset Maugham, Quand j’serai KO). La décennie quatre-vingt-dix s’avère encore meilleure avec seulement deux albums. Le premier, “C’est déjà ça”, contient le plus gros succès de Souchon, Foule sentimentale, mais aussi Sous les jupes des filles (“elles dans l’suave / la faiblesse des hommes elles savent / que la seule chose qui tourne sur terre / c’est leurs robes légères “), et Chanter c’est lancer des balles. Le second, outre la chanson-titre, comporte la délicieuse Le baiser (“La mer du Nord en hiver / Sortait ses éléphants gris vert / des Adamo passaient bien couverts “), Tailler la zone, Rive gauche, et la très souchienne Caterpilar (“Les filles dans nos cœurs / Font des travaux d’aménagement / Souvent au marteau piqueur / Et sans ménagement “).

Petit à petit Alain Souchon aura imposé un style, un univers, une couleur musicale (ici le plus souvent avec l’aide son vieux complice Laurent Voulzy) qui ne doivent rien à personne. Il ne parait pas certain qu’en d’autres temps (plus virils, dirions-nous) des chansons exprimant la fragilité masculine, présente dans plusieurs chansons du répertoire de Souchon, auraient reçu un tel accueil. Une question cependant mérite d’être posée au sujet du titre Foule sentimentale. Elle dépasse le cas proprement dit d’Alain Souchon si l’on prend en compte le statut de cette chanson dans le paysage français de ces années-là. Il s’agit de l’un des plus gros succès de la décennie 90 et d’une excellente chanson. Ce qui, dans le contexte particulier de cette fin de siècle, ne va pas vraiment de soi. A s’étonner, même, qu’un titre de cette qualité soit devenu un tube. Question donc : écoute-t-on encore les paroles des chansons ? Car Foule sentimentale traite des “désirs qui nous affligent “ et de l’aliénation par la marchandise. Et l’on ajoutera que Souchon en rend compte avec finesse et élégance. Alors, en définitive, le public n’y aurait entendu goutte ? A moins que les paroles n’aient plus d’importance ? Questions déprimantes, il va de soi. A moins qu’il y ait public et public...