SYLVESTRE (Anne)

Appelée dans ses débuts “un Brassens en jupon” (pour reprendre un cliché qui perdurera une dizaine d’années), Anne Sylvestre partage avec l’oncle Georges un goût pour la chanson dite “traditionnelle”, une langue parfois archaïque, et elle s’accompagne à la guitare. Durant cette première moitié des sexties la chanteuse ne ressemble cependant qu’à elle-même. Qui, sinon Anne Sylvestre, pouvait écrire Mon mari est parti (un art tout en nuance, ou comment dire les choses sans les dire : “Mon mari est parti, je n’ai de ses nouvelles / Que par le vent du soir / Je ne comprends pas bien toutes ces péronnelles / Qui me parlent d’espoir “) ou La femme du vent (“Fille folle amante du vent / Boucle ton corset / Baisse bien la tête / Méfie toi qui aime le vent / Engendre la tempête “). Citons également Tiens toi droit, Le château de mes ancêtres, Lazare et Cécile, et T’en souviens-tu la Seine (une chanson qui en raison de ses qualités mélodiques aurait dû rencontrer un plus large public). Ensuite Mes sabots de bois prend de la distance avec l’image de la bergerette des premiers disques (“Mes sabots étaient bien commode / Mais ça n’était pas très à la mode “). La méconnue Merci oh merci date de cette même année 1967. Ici se terminent les “années Philips”.

Les “années Meys” représentent une transition. On en extrait Antoinette a peur du loup et Des fleurs pour Gabrielle (“On a pas arrêté la meule / Où d’autres se feront broyer / Et vous ne serez pas la seule / Ça ne peut vous consoler “) sur le suicide de Gabrielle Russier. En 1974 Anne Sylvestre crée sa propre maison de disque. Désormais tous ses albums porteront le label “Sylvestre”. Les trois disques inaugurant cette nouvelle série figurent parmi les plus réussis de la chanteuse. Dans le premier, Me v’la (“Avec mon orchestre / Au grand complet / Mais toujours Sylvestre / S’il vous plaît / Un peu folk-song / Mais du moins j’espère / Dans la langue de mes pères / Me v’la me v’la “) sonne comme un manifeste. Sur le second se trouve gravée l’une des chansons les plus “représentative” d’Anne Sylvestre : Une sorcière comme les autres (“Regardez moi je suis vraie / Je vous prie ne m’inventez pas / Vous l’avez tant fait déjà”).

Le cru suivant, celui de 1977, surpasse encore les deux précédents. Comment je m’appelle donne le ton (“Quand alors j’aimai quand je fus sourire / Quand je fus envol quand je fus lilas / J’appris que j’étais ventre et même pire / Que j’étais personne et que j’étais pas “) : une chanson significative de l’art subtil, tout en finesse et nuances (ce qui n’exclut pas le coup de griffe) d’Anne Sylvestre. Clémence en vacances brosse le portrait d’une “vieille dame indigne” qui décide de ne plus rien faire et s’en porte à merveille. Les gens qui doutent ou la tendresse de l’interprète pour les gens “qui passent / moitié dans leur godasse / Et moitié à coté “ au risque de “passer pour des cons “. Et puis Petit bonhomme, une savoureuse saynète féministe. Nous avons tous plus ou moins connu ce personnage qui, au début, “tout gentil “, n’hésite pas à refaire le lit et à descendre “les poubelles en repartant “. Ceci ne durant qu’un temps. Bonhomme finissant par prendre “ses” femmes (la sienne, sa maîtresse, sa mère, et consort) pour des bonnes, puis, dans l’ordre, de “conne “, de “boudin “, de “gorgonne “ et de “bobonne “. Petit bonhomme se retrouvant en définitive tout seul.

Il paraissait difficile à Anne Sylvestre de rester sur de tels sommets. Cependant les albums qui suivent continuent d’affirmer une exigence qui ne se dément pas. En particulier le disque sorti en 1985 comporte Écrire pour mourir, l’une des chansons emblématiques d’Anne Sylvestre (“Écrire et ne jamais pleurer / Rien que des larmes de stylo / Qui viennent se changer en mots / Pour me tenir le cœur au chaud “). Dans cet album “de la maturité” la chanteuse demande à son public de ne pas se complaire dans la nostalgie de leurs débuts respectifs (Vous m’avez tant aimée : “Vous m’avez tant aimée / Quand j’étais bergerette / Et vous voudriez retrouver / Toujours les mêmes chansonnettes / Et vos vingt ans qui y sont restés “). Pour conclure on dira qu’Anne Sylvestre n’a pas véritablement la place qui devrait lui revenir dans le monde de la chanson. Pourtant dés 1966 un ouvrage lui était consacré dans la prestigieuse collection “Poètes d’aujourd’hui” de Seghers : la chanteuse étant la première femme à figurer derrière sept auteurs masculins.