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TACHAN (Henri)

On s’étonne que cet auteur-compositeur-interprète, l’un des plus doués de sa génération, n’ait pas la place qui lui revienne dans les bilans de la chanson française des années 60, 70 et 80. Henri Tachan a raté le coche sans que l’on sache bien pourquoi et comment. On comprend mieux les raisons pour lesquelles des Fanon, Vasca, Esposito, Bertin, voire une Anne Sylvestre se trouvent marginalisés. Ces derniers sont cependant reconnus eu égard leur singularité et leur apport spécifique à la chanson. Ce qui est moins le cas de Tachan. On l’a comparé à Brel à ses débuts. Henri Tachan ne se serait pas suffisamment démarqué du “Grand Jacques” ? On peut en douter en réécoutant le répertoire de Tachan, même celui des années soixante : il y a un “ton Tachan” qui ne doit rien à personne. Alors un manque de rigueur quelquefois dans l’expression ? Des moyens poétiques pas toujours à la hauteur de cette même expression ? Ou plus simplement un essoufflement du point de vue de l’inspiration, sur le long terme ? Ici relativisons. On le relève aussi chez quelques uns des meilleurs.

La carrière du chanteur s’articule autour de deux temps forts. Le premier comprend les trois premiers 30 cm d’Henri Tachan (sortis dans la seconde partie des années soixante). Les espoirs mis dans les deux premiers disques (Bosco, Dans les wagons de première classe : “Dans les wagons de première classe du métropolitain / Y’a pas de cris, y’a pas de crasse / Pas de pince-cul prolétarien “, Dans les grands magasins : “On y vendra bientôt / Mignonnes guillotines / Chambres à gaz et fourneaux / Et petites usines / Pour refaire en vitrine / Ravensbruck ou Dachau “, La censure, (ici la réponse du berger à la bergère puisque Tachan fut le chanteur le plus censuré de la période gaulliste après Léo Ferré) se trouvent confirmés lors de la sortie du troisième album, certainement le meilleur de Tachan. Y figurent Qui trop embrasse mal étreint, On boit pour se souvenir, Lorsque je serai vieux, C’est drôle un mort (toutes écrites sur des musiques de Jean-Pierre Roseau). Et puis quatre chansons illustratrices, chacune dans son genre, du talent d’Henri Tachan. Quelque part à Paris : un couple d’amoureux, le ciel étoilé, un limonaire ; la vie que passe ; sauf que les “gens de Paris” ne voient rien, n’entendent rien, eux qui “Au fond de leurs lits / Crèvent petit à petit / En ce samedi d’été, à Paris “. La table habituelle fait figure de “chanson emblématique” du premier Tachan. Elle gagnait à être “vue” et entendue en public. Car on voit le maître d’hôtel, la riche cliente, et le louffiat qui aime cette dernière en secret. Un tableau remarquablement composé avec ce qu’il faut de musique tzigane pour planter le décors. Un morceau de bravoure que d’aucuns trouveront certainement démodé. Les deux autres chansons ne passèrent pas sur les ondes des radios. La première, Après les drapeaux, pour cause de guerre d’Algérie. La seconde, Le sixième sens, ajoute un sens aux cinq déjà connus. Ce qui nous vaut six brillantes variations sur le thème “la mort, les bourreaux et leurs œuvres” : Tachan comme on l’aime, la colère en bandoulière !

Henri Tachan aborde plus difficilement la fin de la décennie 60 et celle du début de la suivante (la stratégie discographique de la firme Barclay à son égard n’y étant pas étrangère), puis il revient en force en 1974 avec un nouvel album. L’auteur de La censure semble s’être quelque peu assagi : la révolte parait moins viscérale, quoique... Maintenant Tachan écrit toutes les musiques de ses chansons (à signaler l’excellent travail de Jean Musy, l’orchestrateur). Ce ton apaisé est celui de Un piano, Le retour ou Le lit. Et une chanson comme Mozart, Beethoven, Schubert et Rossini témoigne de la passion de l’interprète pour la musique classique. On peut cependant préférer les titres les plus caustiques (et non moins virulents) du disque : Le grand méchant loup, La chasse et Pas d’enfant. C’est l’occasion de souligner une constance chez Tachan, celle d’une opposition entre le monde de l’enfance et celui des adultes (à l’instar d’un Prévert, mais avec d’autres moyens). Pourtant le même Tachan, qui a consacré plusieurs chansons à l’innocence et au merveilleux de l’univers enfantin, clame dans le troisième titre : “Je ne veux pas d’enfant ! “ : une profession de foi qu’il justifie par l’énumération des nombreuses raisons pour lesquelles il “déserte les rangs du troupeau génital “. Trois chansons qui situent Tachan dans l’esprit du “Charlie-Hebdo” de l’époque : le chanteur sera d’ailleurs adoubé par l’équipe du journal.

Henri Tachan maintient ce cap tout au long des années 70. On y retrouve ses thèmes de prédilection : la tendresse et l’amour (Féline, Ma femme, La tendresse), l’enfance (La marche funèbre des enfants morts dans l’année, Pas Tintin), le cinéma (Ce film, Greta), sans oublier les habituelles “têtes de turc” de Tachan : l’armée (Dans les orchestres militaires), la tauromachie (Manolète), la ruralité (Un village), le sexisme (On est tous des corses, Les z’hommes : “Et au nom de ce bout d’bidoche / Qui leur pandouille sous la brioche / Ils font des guerres, ils font des mioches / Les z’hommes... “). Ensuite, tout en restant dans ce registre les deux décennie suivantes, Tachan n’écrira plus, à de rares exceptions près, de chansons susceptibles de figurer dans cet inventaire.


Ta Katie t’as quitté (Boby Lapointe)

Un réveil qui “prodigue des conseils “ à Igor (“un russe blanc qui est noir “) pendant son sommeil (“T’es cocu qu’attends-tu/ / Cuite-toi t’es cocu “) cela n’existe que dans une chanson de Boby Lapointe. Celle-ci y trouve son rythme et sa prosodie : “Ta Katie t’as quitté, tic tac tic tac / Ta Katie t’as quitté, tic tac tic tac “. En réécoutant ce petit chef d’oeuvre précis comme un mécanisme d’horlogerie on regrette que l’heure de Boby Lapointe n’ait pas sonné plus tôt.


TÉLÉPHONE

Durant dix ans (de 1976 à 1986) le groupe Téléphone a été la formation “rock” la plus populaire de l’hexagone. Chantant des textes dans lesquels se retrouvait leur public d’adolescents sur une rythmique rock plutôt basique (Argent trop cher, Un autre monde, Le jour s’est levé), Téléphone a eu la même durée d’existence que les Beatles. La comparaison s’arrête ici. Seul membre du groupe à véritablement tirer son épingle du jeu après la dissolution du groupe, le chanteur Jean-Louis Aubert semble toujours capitaliser l’intérêt que l’on portait à Téléphone.


Le temps des colonies (Pierre Delanoë & Michel Sardou - Jacques Revaux)

Serait-ce une évocation nostalgique du “bon vieux temps des colonies” (comme cela a été avancé en 1976, lors de la sortie du disque) ? Michel Sardou a prétendu le contraire en arguant d’un “second degré”. Il est vrai que le ton goguenard adopté par le chanteur pourrait passer pour de la mise à distance. Mais n’est ce pas là que la chanson devient insidieuse ? Si l’on accepte le second degré des couplets, le refrain lui (“Y’a pas d’café pas d’coton pas d’essence / En France / Mais des idées ça on en a / Nous on pense “) creuse allègrement le sillon tracé par J’habite en France. Même si l’on se gausse gentiment des colons, Le temps des colonies, ceci posé, n’est pas exempte de relents racistes.


TÊTES RAIDES (les)

Entre rock et baloche, le groupe les Têtes Raides fait entendre sa différence sur la scène alternative : humour, poésie et préoccupations sociales caractérisent ce répertoire bien servi par la partie vocale (en particulier la voix grave de Christian Olivier, l’un des membres fondateur du groupe).


THIÉFAINE (Hubert-Félix)

On doit reconnaître que la carrière de Hubert-Félix Thiéfaine sort plus que d’autres des sentiers battus. Parce qu’être reconnu par un public de plus en plus nombreux sans l’aide des médias influents (ou les plus susceptibles de faire ou défaire une carrière) à de quoi surprendre en ce début de XXIe siècle. Les trois premiers albums de Thiéfaine ne permettaient pas pourtant d’anticiper les Bercy et Zenith qui viendront plus tard asseoir la réputation du chanteur jurassien. Le premier (qui comprend l’inusable La fille du coupeur de joints), s’il donne déjà une idée précise de l’univers très personnel de Thiéfaine, porte encore la marque d’influences diverses. Le second, “Autorisation de délirer”, plus abouti, plus maîtrisé, plus singulier (avec sur le plan musical une influence dylanienne bien assimilée), outre la désopilante Vierge au Dodge 51, ou encore La queue, Autorisation de délirer et L’homme politique, le roll-mops et la cave à mazout, comporte l’étonnant Alligators 427 : une évocation nihiliste de notre monde (“J’entends siffler le vent au-dessus des calvaires / et je vois des vampires sortir de leurs cercueils / pour saluer les anges nucléaires / moi je vous dis : bravo et vive la mort ! “). L’esprit de parodie et de dérision, déjà très présent dans les deux premiers albums, prend encore plus le dessus avec “De l’amour, de l’art ou du cochon”, le troisième album de Thiéfaine. L’absence dans les enregistrements publics à venir de chansons figurant sur ce disque laisse supposer que Thiéfaine pouvait difficilement aller plus loin dans ce registre sous peine de se saborder.

D’ailleurs le disque suivant, “Dernières balises”, repart sur d’autres bases. Thiéfaine y privilégie un son plus rock n’ roll. Plus déterminant encore, des chansons comme Mathématiques souterraines et Exil sur planète fantôme inaugurent une veine qui va, d’album et album, constituer cette “Thiéfaine touch” : des chansons reprises en chœur par le public durant les concerts du chanteur (soit Loreilei Sébasto cha et Les dingues et les paumés pour “Soleil cherche futur”, Sweet anamine phalloïde queen pour “Météo für Nada”, Pulquemescal y tequila pour “Eros über alles”). Durant cette période Thiéfaine met principalement l’accent musical sur un rock basique. Les deux derniers disques des années quatre-vingt-dix, “La tentation du bonheur” et “Le bonheur de la tentation” élargissent la palette de Thiéfaine vers la ballade (Tina dong-dong song, Critique du chapitre 3) et le monologue ferréen (l’excellent Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable : “J’me sens coupable d’avoir une gueule à être dénoncé “). Un autre Thiéfaine, plus grave, moins porté sur la dérision, semble ici prendre le pas.

Ceci ne donne que les grandes lignes du répertoire d’un chanteur pour le moins complexe, prenant des distances avec les médias qui le lui rendent bien (même si les références à la drogue chez Thiéfaine, qui expliqueraient cette mise à l’écart, n’ont pas la place et l’importance que l’on a prétendu). Dylan, pour la musique, Ferré, coté textes, sont présents, voire revendiqués. Cependant Thiéfaine a su intégrer l’une et l’autre de ces influences dans un univers qui n’appartient qu’à lui. Et où le regard plus ou moins nihiliste que le chanteur porte sur le monde n’efface pas pour autant les blessures de l’enfance : celles-ci semblant perdurer longtemps après, y compris à travers le masque du gugusse.


TISSERAND (Pierre)

Serge Reggiani en reprenant L’homme fossile dans son troisième disque attire l’attention sur son auteur, Pierre Tisserand (qui avait sorti en 1966 un premier 45 t comportant cette chanson, passé inaperçu). Dans l’album que Tisserand sort en 1969 Le mutant marche sur les brisées de L’homme fossile. Avec la grave David et la sarcastique Heureusement qu’il y a des toros ce disque met en valeur deux autres aspects du talent de Pierre Tisserand. Ensuite une autre veine (celle de Dis madame s’il vous plaît, un succès), plus convenue, donne de moins beaux fruits. Ce qui n’est pas le cas des deux chansons du film “Avoir 20 ans dans les Aurès” : Ne mets pas les pieds dans cette merde et Nous aussi nous marchions : “Que faisaient en ce temps là les rythmeurs condottiere / Qui crient “Paix au Vietnam !” à l’abri de leurs frontières “ (l’un des rares témoignages en chanson de la guerre d’Algérie). Cela vaut aussi pour C’est bien fait : une réjouissante lecture des contes de Perrault (dans le style “Charlie-Hebdo”).


Ton style (Léo Ferré)

On pourrait décortiquer Ton style, dire tout le bien que l’on pense de cette formidable alchimie du texte et de la musique (sans parler de la géniale orchestration de Ferré !). Mais serait-ce suffisant ? Ton style appartient à cette race de chansons qui vous prennent aux tripes, et vous bouleversent encore à la énième écoute. L’art et l’émotion dispensés ainsi, c’est rare, très rare ! (“A tant vouloir connaître on ne connaît plus rien / Ce qui me plaît chez toi c’est ce que j’imagine / A la pointe d’un geste au secours de ma main / A ta bouche inventée au delà de l’indigne / Dans ces rues de la nuit avec mes yeux masqués / Quand tu ne reconnais de moi qu’un certain style / Quand je fais de moi-même un autre imaginé / Tous ces trucs imprudents tout cela c’est ton style “).


Toulouse (Claude Nougaro - Claude Nougaro & Christian Chevallier)

Et dire que que la chanson la plus emblématique de Claude Nougaro ne s’est pas imposée d’emblée ! Peut-être apparaissait-elle “décalée” en 1967 dans le répertoire du chanteur. Aujourd’hui l’hommage de Nougaro à sa ville natale prend des allures de célébration. Il ne s’agit pourtant pas de bouter son plaisir. Sur une musique d’une rare ampleur les cuivres n’en finissent pas de rameuter les souvenirs. Et nous voilà une fois de plus embarqué pour Toulouse : “Je revois ton pavé ô ma cité gasconne / ton trottoir éventré sur les tuyaux du gaz / est-ce l’Espagne en toi qui pousse un peu sa corne / ou serait-ce dans tes tripes une bulle de jazz ? “.


Le Tourbillon (Cyrus Bassiak - Georges Delerue)

Tant de fraîcheur et de spontanéité donnent le tournis ! On en oublierait que cette chanson évoque - à jamais, pourrait-on dire - Jeanne Moreau dans le film “Jules et Jim”. Quelques couplets bien troussés (“On s’est connus, on s’est reconnus / On s’est perdus de vue, on s’est r’perdus de vue / On s’est retrouvés, on s’est réchauffés / Puis on s’est séparés “) et deux trois accords de guitare suffisent pour camper un monde.


TRANCHANT (Jean)

Et si l’inventeur de la “chanson moderne” (selon les critère des années trente) s’appelait Jean Tranchant ? Un nom vient naturellement à l’esprit en écoutant plusieurs des chansons écrites et composées par l’auteur de Ici l’on pêche, celui de Charles Trenet. Et puis l’on constate que certains de ses enregistrements sont antérieurs à ceux du “fou chantant” : Il y a toujours quelqu’un, Toinon Toinette et Le soleil s’en fout ont été respectivement enregistrées en 1934, 1935 et 1936 (Le ciel est un oiseau bleu et Minuit à Paris datent, pour l’enregistrement, de 1938 mais figurent dans le tour de chant de Jean Tranchant dés 1935). Même si Trenet il est vrai casse davantage la baraque que Tranchant, celui-ci l’a précédé dans un genre dont on crédite très généralement le premier d’initiateur ou d’inventeur. Un dernier exemple : la césure au milieu d’une chanson séparant une interprétation “classique” d’autre autre de type “jazz”, considérée comme l’une des marques de fabrique du premier Trenet, remonte à ces Prénoms effacés gravés par Tranchant en juin 1936.

Alors, ceci précisé, qu’a-t-il manqué à Jean Tranchant pour être reconnu à l’égal de Mireille ou de Jean Sablon, ses contemporains, pour ce citer qu’eux ? La voix ? Elle manque parfois de relief : le timbre de voix “distingué” de Tranchant ne pouvait qu’éloigner cet interprète d’un public populaire. On ajoutera que ce public n’était pas encore prêt à entendre des chansons écrites d’une plume souvent raffinée. Cela pour les textes, parce que la modernité évoquée plus haut renvoie prioritairement à la musique : Jean Tranchant, du moins dans un premier temps, prendra comme accompagnateurs Django Reinhardt, Stéphane Grapelly, et leurs amis.

Avant d’interpréter lui-même ses chansons, Tranchant avait écrit de nombreux titres pour des interprètes souvent féminines. La barque d’Yves (écrite pour Lucienne Boyer) fait connaître l’auteur-compositeur. On retient surtout de cette chanteuse Moi j’crache dans l’eau (“Quand je serai lasse de vivre / De cette existence de chien / J’irai sur le pont qui délivre / Moi je me foutrai à l’eau / Sur les poissons qui nagent / Pour faire des ronds rigolos / Et puis... bon voyage ! “). C’est dans ce climat qu’il faut citer les quatre chansons que Jean Tranchant confie à Marianne Oswald (Appel, La complainte de Kesoubah, Sans repentir, Le grand étang). On regrette que l’interprète Tranchant n’ait pas plus souvent cherché son inspiration dans ce registre dont la causticité le dispute à la noirceur (on en excepte Les cailloux de la route et Quartier libre qui ne sont pas sans rappeler sur le plan musical l’univers de Kurt Weill). Ceci n’empêchant nullement d’apprécier par exemple la délicieuse Les baisers prisonniers ou encore Les prénoms effacés. Le répertoire du Jean Tranchant des années d’Occupation reste encore dans cette veine avec les jardins nous attendent. On peut en revanche faire des réserves et plus sur les chansons de l’opérette “Feu du ciel”. Nous sommes loin ici du Tranchant des années 1933, 1934, 1935 (surtout de celui chanté par Marianne Oswald). Jean Tranchant sera d’ailleurs inquiété à la Libération, et sa carrière s’arrêtera là. Cependant s’il faut citer un nom parmi les interprètes (et auteurs-compositeurs) des années trente qu’il faudrait reconsidérer, celui de Jean Tranchant s’impose plus que nul autre (avec Gilles et Julien ou encore Suzy Solidor pour d’autres raisons).


TRENET (Charles)

Fin 1937, 1938, 1939... Ce sont les “années Trenet”. Le fou chantant s’impose au disque comme à la scène. Charles Trenet écrit et interprète (entre autres) : Vous oubliez votre cheval, Le grand café, Je chante, Fleur bleue, Y’a d’la joie, J’ai ta main, Boum !, Ménilmontant, Le soleil et la lune, La route enchantée, Mam’zelle Clio, qui toutes aujourd’hui font partie du patrimoine de la chanson française. Comment (en mettant de coté les menaces de guerre) ne pas envier le jeune homme ou la jeune fille découvrant Trenet dans la seconde moitié des années trente ? Parce que la modernité ces années là s’appelle d’abord Charles Trenet. Il apporte son grain de folie et du sang neuf à une chanson que l’on ne pourrait pas pour autant qualifier d’exangue, mais qui paraîtra vieillotte et démodée dans les lendemains de la Libération. Celle de Trenet swingue (à l’instar de En quittant la ville, la plus “jazz” de la série). Modernité de la musique donc, et modernité du texte : “Pigeon vole / Le lit vole / Chemise vole / Tout tourne et vole autour / De notre amour “. Cette époque se clôt en 1940 avec Papa pique et maman coud et le contagieux Pic... pic : une des réussites de Trenet dans le genre euphorisant (mais qui le sut alors ? car la débâcle, juste après la sortie de ce 78 tour...).

Pendant la période de l’Occupation, Trenet trouve plus difficilement ses marques. L’univers de ses chansons devient plutôt décalé dans une France où les “interprètes heureux” s’accommodent de la France de Vichy. On citera Maurice Chevalier chantant Ça sent si bon la France (et cautionnant ainsi l’idéologie vichyssoise) et non Charles Trenet. Pourtant, dans ce climat délétère, une chanson comme Un rien me fait chanter (“Un rien me fait trouver belle la vie “) parait plutôt déplacée. Indécrottablement optimiste, Trenet se fait le propagandiste plus naïf que conscient d’une France qui préfère vaquer à ses occupations comme si de rien n’était. La consternante Marche des jeunes (écrite en 1942 : “Qu’elle est jolie la France entière (...) Ah qu’ils sont beaux les jours en fleur / De la jeunesse qui se penche / Sur notre terre avec ardeur “) ressemble trop à un chromo pétainiste pour ne pas être prise au sérieux. Précisons : Trenet n’a jamais collaboré au sens strict du mot. Il ne s’agit pas de lui faire un procès d’intention sur son attitude durant l’Occupation mais de le confronter à son œuvre. Ses limites sont celles de l’univers de nombreuses de ses chansons. Trenet nous donne à entendre un monde sans véritable conflit : où la joie, le bonheur et la fantaisie vont de soi. Nous ne sommes pas loin d’un certain cinéma hollywoodien ou de l’univers de la comédie musicale. Quand on en rajoute, question optimisme, durant l’une des périodes les plus noires de l’histoire de ce pays, les chansons deviennent des viatiques permettant de mieux supporter l’insupportable. Trenet était apolitique certes. De cet apolitisme qui vous fait poser tel jour au côté du Maréchal Pétain et le lendemain avec le Général de Gaulle. Et même, si nous en croyons Douce France (ou d’autres chansons à la gloire de l’hexagone) entre l’un et l’autre. Il ne manque que Maurice Thorez sur la photo (l’intéressé étant il est vrai retenu en Union Soviétique).

Cela n’empêche pas d’écrire de bonnes chansons. Que reste-t-il de nos amours l’illustre particulièrement dans un registre que l’on pourrait appeler plus classique (en le comparant au Trenet de l’avant-guerre). De ce classicisme pour le moins qui fera le succès mérité de La mer ou L’âme des poètes (“Longtemps, longtemps, longtemps / Après que les poètes ont disparu / Leurs chansons courent encore dans les rues “). Charles Trenet se range d’une certaine façon. Le coté folingue s’atténue pour laisser la place, dans le meilleur des cas, aux jeux de mots “laids” de Débit de l’eau débit de lait (écrite avec Francis Blanche, et qui annonce Boby Lapointe) et pour le pire à cet “optimisme béat” présent dans de nombreuses chansons de l’après guerre.

Le dernier “bon cru” remonte à 1955. Des chansons de la qualité de A la porte du garage, Route nationale 7, Moi j’aime le music-hall, Où sont-ils donc ?, sont à créditer dans une carrière ou les (bonnes surprises) devenaient rares (sinon celle, délicieuse, de Une noix). Ensuite Le jardin extraordinaire et Le piano de la plage feront encore illusion. Puis viendra le déclin. En 1959 Trenet tente de se renouveler dans le “registre Bécaud” avec Giovanni (une curiosité absolue !). Durant la décennie suivante, celle des yé yé, Trenet touche le fond. Il passe pour un ringard auprès d’un public inculte et sans mémoire. Un critique, parlant du “chou fantant”, fera autant preuve de cruauté qu’il rendra hommage à l’auteur de Débit de l’eau débit de lait. Signalons encore (pour le mieux) Il y avait et Fidèle (en oubliant Prenez le temps de chanter : paroles de Charles Trenet et Guy Lux !). Le reste, la résurrection de Trenet vingt ans plus tard, son adoubement par Jack Lang, et l’étonnante opération de marketing accompagnant la sortie d’un disque (“Le cor”), appartient davantage à l’histoire du ravalement des monuments historiques qu’à celle de la chanson.

Pourtant il sera beaucoup pardonné à Charles Trenet pour avoir écrit La folle complainte, son chef d’oeuvre. Une chanson étrange, singulière, émouvante, qui résiste à l’interprétation. Il y a comme une marge entre son climat insolite et sa dimension tragique où vient se loger une poésie qui flirte avec le surréalisme et laisse le soin à chacun de cultiver sa “folle complainte”. Il y est même question - Philippe Grimbert, l’auteur d’une “Psychanalyse de la chanson”, nous le confirme - de masturbation. Entre autres apports essentiels à la chanson française de son siècle, ajoutons celui-là : Trenet aura été le premier auteur de renom à évoquer l’onanisme dans une chanson (en sortant bien entendu des domaines clandestin, confidentiel ou spécialisé).


TROIS MÉNESTRELS (les)

Ce trio d’interprètes apparu vers le milieu des années cinquante reprend dans une formule “rive gauche” un répertoire généralement de qualité. L’alternance dans leur tour de chant de parties chantées et parlées n’est pas sans dégager ce parfum d’intellectualité faisant la spécificité et l’originalité de ce trio. On retient leurs interprétations de Tiens v’la un marin, Les nomades, Les poètes, et de plusieurs chansons de Bécaud (Le mur, et une belle version de La balade des baladins).


TROUBADOURS (les)

Les Troubadours, d’abord comme quatuor, puis en trio, mais toujours vocalement parfaits, auraient pu dans le genre folk-pop devenir l’équivalent français de Peter, Paul and Marie avec un répertoire plus exigeant. Il connurent dans les années 60 le succès avec Le vent et la jeunesse. On leur doit une belle version de la chanson du film “Qui êtes vous Polly Magoo” : La ballade de Polly Magoo sur un texte de William Klein et une musique de Michel Legrand.


Tueuses (Pierre Philippe - Didier Goret)

L’une des “rimes féminines” concoctées en 1996 par Pierre Philippe pour l’album éponyme de Juliette. Ce réjouissant jeu de massacre (“Haïr les bourgeoises exsangues / Leur arracher les yeux la langue / Pour que leur passe le goût du pain / Comme l’auraient fait les sœurs Papin “) qui convoque également Violette Nozières, Marie Besnard, Mary Read, Ulrike Meinhoff, la Bathory, Bonnie Parker pour le même exercice, voit la barque de l’imagination se fracasser contre l’écueil du réel : “Mais s’endormir devant la tâche / L’âme en fureur et la main lâche / Comme n’importe lequel d’entre vous “. On salue l’interprétation “frénétique” de Juliette.