BARBARA
Barbara s’est d’abord fait connaître dans la seconde partie des années 50 comme interprète, de Brassens et de Brel en particulier. A savoir le répertoire le plus exigeant mis au service d’un art singulier, complètement passé de mode, celui d’une diseuse (il suffit d’écouter La femme d’Hector par Barbara pour s’en faire quelque idée). Cette filiation - on pense à Yvette Guilbert - Barbara ne l’abandonnera jamais complètement (du moins tant que sa voix le lui permettra). C’est dire aussi que cette expression trouvait naturellement sa place dans l’univers du cabaret. Barbara va accéder à nouveau statut après un premier 45 t de chansons dont elle est l’auteure (où figure Dis quand reviendras-tu, son premier grand succès), et davantage encore avec la parution l’année suivante (1963) d’un 33 t entièrement consacré aux chansons de Barbara. On y trouve l’un des titres emblématiques de la chanteuse, ce Nantes que beaucoup d’auditeurs, sans jamais avoir mis les pieds dans cette ville, associèrent à une pluie persistante. C’est le privilège en quelque sorte des grandes chansons que de susciter pareil mythe. Ceci renforcé par l’élément biographique connu après la mort de Barbara. Et qui donne à quelques uns des vers de Nantes (“Il voulait avant de mourir / Se réchauffer à mon sourire / Mais il mourut la nuit même / Sans un adieu, sans un je t’aime “) une résonance troublante.
Dans les années soixante (durant lesquelles sortent quatre 30 cm, les meilleurs de la chanteuse), Barbara rejoint le club très fermé des “grandes dames de la chanson”. Il y a d’abord sa voix, unique, qui peut le cas échéant se fondre dans le tissus orchestral, tel un saxophone (Pierre). Ensuite la palette musicale de Barbara s’avère plus diversifiée, plus étendue que ne le laissait entendre son premier 33 t. La chanteuse excelle dans le genre “fausse comptine” (Dans le bois de Saint Amant) et fait valoir son bagage “classique” (Une petite cantate, Du bout des lèvres). Pourtant ce qui fait la spécificité de Barbara, plus encore, doit être recherché du coté des thématiques de ses chansons. A travers sa manière de revisiter le répertoire amoureux (Le bel âge, A chaque fois, Amoureuse) ou d’évoquer la “difficulté de vivre” (Le soleil noir : “Je veux bien essayer / Et je veux bien y croire / Mais je suis fatiguée / Et le soleil est noir “), A mourir pour mourir. Dans ce registre Le mal de vivre renvoie à une dialectique du vivre / mal vivre selon Barbara : “Le mal de vivre / Qu’il faut bien vivre / Vaille que vivre “. Avant de retrouver “la joie de vivre “ illustrée à la fin de la chanson par une contagieuse valse musette. L’humour (Si la photo est bonne, Gueule d’amour), la satire (Y’aura du monde, Les rapaces) ou une certaine tendresse dans le sourire (Mes hommes) ne sont pas pour autant absents de l’univers de Barbara. Göttingen traite d’un sujet plus grave (“Ô faites que jamais ne revienne / Le temps du sang et de la haine “) comme Barbara sait le faire dans le domaine de l’intimité : avec pudeur et délicatesse. Sans oublier l’intemporelle Dame brune, et Ma plus belle histoire d’amour que Barbara chantera toute sa vie.
L’album qui ouvre la décennie 70 pourrait compléter la liste précédente : avec A peine, Quand ceux qui s’en vont, Hop là, Drouot. Il comporte le plus grand succès de Barbara, L’aigle noir (dont la réussite doit beaucoup à l’arrangeur Michel Colombier). En revanche les deux disques suivants, plus inégaux, déçoivent : La solitude, Vienne, Remusat, voire Perlimpinpin ne peuvent être comparées, question qualité, avec les chansons des années 60 citées plus haut. Même un ton au dessus le dernier disque de cette décennie (Fragson, Mille chevaux d’écumes, Seule), sorti en 1974, ne déroge pas à ce constat. Un an plus tôt Barbara sortait un album qui, dans la carrière de la chanteuse, possède un caractère “expérimental”. L’orchestration, confiée au tout jeune William Sheller, étonne et parfois détonne. Cependant la surprise vient des textes (François Wertheimer étant l’auteur de toutes les musiques), d’une écriture raffinée, à la limite de préciosité quelquefois. Un disque éminemment singulier : avec Marienbad, L’enfant laboureur, Le minotaure, pour ne citer que ces trois chansons.
Il faut attendre l’année 1981 pour retrouver Barbara avec le disque “Pantin 81” enregistré en public. L’important n’est pas tant les nouvelles chansons, réduites à deux unités (Pantin et la mitterrandienne Regarde) que dans le dispositif qui se met alors en place. Et que les enregistrements publics suivants (“Châtelet 87”, “Mogador 90”, “Châtelet 93”) accentueront. A savoir l’histoire d’amour entre la chanteuse et son public. Barbara entre en religion (celle du public) lorsqu’elle se retrouve sur scène. Ces grands concerts s’apparentent d’ailleurs à des messes. Le public venant communier avec la chanteuse dans une même ferveur. En accompagnant (Pantin l’inaugure) le chant de Barbara, et même sans elle. Et en réclamant les anciennes chansons : les nouvelles, les Lily passion, L’île aux mimosas, Gauguin, Le piano noir, Le jour se lève encore, Sables mouvants supportant difficilement la comparaison (exceptée Sid’amour à mort qui, en raison de l’engagement de Barbara au coté des malades du Sida, prend une autre dimension).
L’évolution de Barbara est symptomatique de celle de la chanson des décennies 80 et 90. La “petite soeur” des Brel, Brassens, Ferré inaugure au début des années 80 un nouveau type de relation avec le public (qui a commencé : la poule ou l’oeuf, Barbara ou le public ?) qui fera florès parmi les interprètes les plus en vue de cette fin de siècle (de Renaud à Thiéfaine, en passant par Daho, Cabrel, Souchon, voire Lavilliers et Higelin).