ESCUDERO (Leny)

En s’imposant, tout comme Nougaro (révélé également par le disque cette même année 1962), auprès d’un public qui privilégiait les vedettes yè yè apparues depuis le début de la décennie, Leny Escudero apportait quelque chose qui ressemblait à de la fraîcheur dans le monde de la chanson. Les siennes (Pour une amourette, Balade à Sylvie, Parce que tu lui ressembles, Rupture à cinq temps), des chansons d’amour généralement, évoquent les déceptions et la fuite des jours. Les mélodies collent au texte (tout comme les orchestrations), et la voix (rauque) défend le tout avec une chaleur communicative. A Malypense apporte la confirmation de ce talent singulier, puis Leny Escudero disparaît de la scène nationale pour parcourir le vaste monde.

A son retour il ne recueille qu’un succès d’estime. Celui-ci lui restera mais le grand public n’en saura rien. L’auteur de Pour une amourette va réaliser une dizaine d’albums dans une indifférence presque générale. Certes le répertoire de Leny Escudero n’est plus le même : ses nouvelles chansons tranchent avec la “petite musique nostalgique” des débuts qui avait fait son succès. On reconnaît que le “second Escudero” n’a rien de consensuel (la qualité mélodique restant intacte). La question qui souvent le taraude - quelle place peut-on avoir dans ce monde quand on a conservé son âme d’enfant ? - n’est pas de celles qui alimentent le hit parade. Ce thème, celui de Je veux toujours rester petite, est modulé dans le monologue du Cancre (“Bouches fermées, les bras croisés, les yeux levés. Écoutez bien têtes incultes le bon savoir, le vrai savoir. Et vous serez de bons adultes “) ou l’utopie de La planète des fous (“Un enfant aux mains nues sans espoir d’héritage / Qui ne serait pas moi qui suis déjà venu / Qui me prendrait la main quand je ferais naufrage / Me crierait “vis encore je ne t’ai pas connu” “). Cette thématique doit être associée à la tendresse d’Escudero pour les fous (mais qu’est ce qu’un fou pour lui, sinon un enfant qui n’a pas su devenir adulte) : la folie de son Van Gogh, par exemple (“Van Gogh, Van Gogh mon frère / Quand t’as lu ton premier sermon / Tu n’as pas pensé au pardon / Mais tu as pensé à la croix / Qu’on porte la dernière fois / Quand sur tes bras et sur ton dos / Viendront s’abattre les corbeaux “).

Leny Escudero chante également les nomades et les proscrits : Le bohémien (“Il marche dés le premier jour / Parce qu’un arrêt le condamne / S’il s’arrête aujourd’hui c’est pour / Rendre l’âme “), Le siècle des réfugiés (“Ils sont souvent les en-dehors / Ceux qui n’écriront pas l’histoire / Et devant eux c’est la nuit noire / Et derrière eux marche la mort“), Fils d’assassin (“De toute façon vous avez tracé mon chemin / Je suis né fils d’assassin / Il est quoi le fils de physicien / Qui a inventé la bombe à neutrons / La mitrailleuse, le canon “). C’est aussi dire que Leny Escudero chante les inadaptés, les vaincus, les désespérés, les innocents, les oubliés. On n’oublie pas cependant de rire chez Escudero, mais pas d’un rire convenu ou graveleux : le sien est grinçant (La grande farce), ou alors il s’agit du rire d’un enfant écoutant Le vieux Jonathan (qui a perdu un bras à la guerre de 14 / 18) raconter ses souvenirs : “Et les sentiments qui font mal en d’dans / On a rigolé on a rigolé / Quand l’vieux Jonathan nous l’a raconté / Une larme au bord / De ses grands yeux bleus / Mais c’était encore / Pour qu’on rigole mieux”. Ce “siècle des réfugiés”, pour reprendre le titre de l’une des plus belles chansons de Leny Escudero, n’a pas su faire la place qui lui revient à l’un des auteurs-compositeurs-interprètes les plus attachants de ces quarante dernières années. La postérité parfois prend des allures de garce.