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JAUBERT (Maurice)

Ce compositeur classique, mort en 1940 à l’âge de 40 ans, est davantage connu pour ses musiques de scène (La chanson de Tessa, sur un texte de Giraudoux) et de films (“14 juillet” de René Clair, avec la célèbre A Paris dans chaque faubourg), en particulier ceux réalisés par Carné et Duvivier. Pour beaucoup cependant Maurice Jaubert reste l’inoubliable compositeur des chansons du film “L’Atalante” de Jean Vigo (mais pas du Chaland qui passe : cette dernière chanson ayant été imposée à Vigo par ses producteurs).


JEAMMAIRE (Zizi)

Même quand elle délaisse la danse pour la chanson (Mon truc en plume), Zizi Jeammaire nous rappelle à travers ce clin d’oeil (de messieurs Dimey et Constantin) qu’elle reste indéfectiblement une danseuse de revue. Elle a chanté également Queneau (La croqueuse de diamants) et Gainsbourg (Blody Jack).


Jeanne (Georges Brassens)

Le plus bel hommage rendu à une femme dont nul n’ignore ce qu’elle fut et représenta pour le pensionnaire de l’impasse Florimont. La “Jeanne” de Brassens est aujourd’hui une figure allégorique de la générosité, plus particulièrement celle des pauvres : “Elle est pauvre et sa table est souvent mal servie / Mais le peu qu’on y trouve assouvit pour la vie / Par la façon qu’elle le donne “. Mais il fallait une chanson de ce tonneau là pour lui donner pareille dimension.


Je crois que ça va pas être possible (Magyd Cherfi - Zebda)

Une “chanson” dont le titre devient proverbial prouve que le thème de l’exclusion, quand il est traité sur ce mode là, avec une dose d’humour bien distillée, touche davantage ses cibles (la boite de nuit, la recherche d’un logement, le prêt bancaire) qu’un discours non moins bien intentionné mais plus compassé. On laissera “faciès” à la police pour ne conserver ici que “figure” : “Et à toutes ces tâches qui vous jugent à la figure / Je leur ferai une justice avec mes chaussures “.


Jeu de massacre (Henri-Georges Clouzot - Maurice Yvain)

L’éternelle histoire du jeu de massacre racontée par un Clouzot qui n’avait pas encore embrassé le cinéma : il s’agit ici des “pauvres gens “, des “petits “, des “ratés “, des “sans pain “, des “sans talent “, des “sans-lit “, des “sans-toit “, des “sans-rien “ qui, pour se venger de cette vie qu’ils subissent, et parce qu’ils “sont trop veules pour taper sur les puissants “, s’en vont faire “hop la boum “ sur les pantins du jeu de massacre. Dans un climat expressionniste, la voix de Marianne Oswald nous transmet le précieux témoignage d’un art approprié à l’univers du cabaret.


J’habite à Drancy (Pierre Philippe - Philippe Dubosson)

Il existe très peu de chansons capables, derrière la pertinence du propos ou la justesse du trait, de provoquer une émotion comparable à celle que procure l’écoute de J’habite à Drancy. Pierre Philippe nous entretient de Drancy et chacun sait de quoi il en retourne. Pourtant, par delà les fantômes que convoque la chanson (“Dors toi le vieil antiquaire adossé au frigo / Toi tailleur du sentier que la terreur habite / Dors toi le Polonais et toi le Parigot / Et toi le doux poète Max si tu peux reposer “), J’habite à Drancy traite plus généralement de la condition humaine : de celle qui a conduit la barbarie nazie et la police vichyste à déporter les dizaines de milliers de Juifs détenus à Drancy, et de cette autre barbarie, plus douce celle-là, qui “bouffe la jeunesse” des populations “concentrées” dans des cités HLM à Drancy (ou ailleurs). “Moi j’habite à Drancy / A la cité de la Muette / On peut dire que j’ai de la chance “. Quelle chance en effet ! A cette réussite (même si ce mot parait insuffisant pour évoquer l’une des plus grandes chansons de ce siècle) il faut associer le compositeur Philippe Dubosson, l’arrangeur Matthieu Gonet, et bien entendu l’interprète Jean Guidoni.


JONAS (Jehan)

Jehan Jonas fait partie des “grands oubliés” de la chanson française du XXe siècle. Celui qui se décrit dans L’étiquette comme “Un chanteur très littéraire / C’est une erreur que fit ma mère “ a trop tôt tiré sa révérence (décédé à l’âge de 37 ans). Révélé en 1966 par Comme dirait Zazie (cette chanson brocarde l’époque dans la lignée des Temps difficiles de Léo Ferré, l’une des références de Jonas). C’est d’ailleurs dans ce registre caustique, impertinent et frondeur que Jehan Jonas donne la pleine mesure de son talent : en particulier dans Flic de Paris (“Tu m’diras que tu fais ton boulot / Que t’es pas pagné pour le cerveau / Heureusement qu’on t’paye pas pour ça / Parce que sinon tu boufferais pas “), Saint Antoine (où Jonas s’en prend aux idoles de la chanson), J’achète (“Le taxi de grand père / Quand il fut décoré / Dans une drôle de guerre / Où il a trop marné “). Dans un autre genre, un titre comme Le cou si fragile prouve, si besoin était, que la chanson en 1967 (date du second album du chanteur) n’hésitait pas à traiter de sujets aujourd’hui considérés comme “tabous” ou “incorrects” : “Elle avait un cou d’innocence / J’aurais pas dû serrer si fort / Maintenant l’aile de la mort fait comme un trou dans le silence “. Le talent poétique de Jonas est reconnu certes, mais la musique ? Le bât blesse plutôt du coté des orchestrations (et pourtant il s’agit de Michel Colombier !). Ces réserves ne valent pas pour Merci ma mère, où le minimalisme de l’arrangement musical va de soi dans une chanson qui n’est pas sans évoquer Jean Rictus.


JONASZ (Michel)

Michel Jonasz (après l’expérience collective du King Set, qui connut le succès avec le titre Apesanteur) se révèle comme l’un des meilleurs mélodistes des années soixante-dix (Les vacances au bord de mer, Dites moi, Changez tout, J’veux pas qu’tu t’en ailles, en ajoutant Super Nana de Jean-Claude Vannier). Jonasz possède un timbre de voix bien particulier que son répertoire, par la suite, va mettre encore plus en valeur dans les registres tzigane et blues. Le second va l’emporter (Joueurs de blues) jusqu’à devenir à partir du milieu des années 80 la marque de fabrique de l’interprète (Mister swing, Groove baby groove, C’est ça le blues). Un disque, plus que tout autre, a marqué la carrière de Michel Jonasz : “Uni vers l’uni”, sorti en 1985. Il est vrai que sur cet album figure l’emblématique et contagieuse La boite de jazz : du swing, du swing, et encore du swing ! Jonasz en a plein la voix dans cette chanson qui ferait se trémousser un paralytique.


JOUANNEST (Gérard)

En 1958 Gérard Jouannest remplace François Rauber comme pianiste auprès de Jacques Brel. Ce compositeur va collaborer avec le grand Jacques à la hauteur d’une trentaine de titres. Jouannest compose également pour Henri Tachan (dont Quelque part à Paris) ces mêmes années. Après les adieux de Brel à la scène Jouannest devient le pianiste de Juliette Greco, puis son compositeur de prédilection (et mari de surcroît) : sur des textes de Maurice Fanon (Mon fils chante), Henri Gougaud, Jean-Claude Carrière, Roda-Gil, etc.


Les Joyeux bouchers (Boris Vian - Jimmy Walter)

Nous retrouvons ici la principale tête de turc de Boris Vian : à savoir la boucherie. Mais la boucherie rayon Verdun (et non celle que l’on exerçait en ce temps là du coté de La Villette ou de Vaugirard : “Faut qu’ça saigne ! “). Messieurs Vian et Walter ont donc écrit un tango pour arrêter la boucherie. Il s’agit d’un tango contre toutes les guerres d’hier, d’aujourd’hui et de demain. D’un tango pour en finir avec toutes les armées du monde. Il paraîtrait que les militaires ne dansent pas le tango ? Que guinchent-ils alors ? La danse macabre... Dans mes bras, beau militaire !


JULIEN (Pauline)

Pauline Julien durant les années 60 chante Brecht et Vian, mais également les auteurs québécois : Raymond Lévesque (Dans la tête des hommes, Bozo les culottes), Gilles Vignault (Jack Monoloy), Georges Dor (La Manic), Gilbert Langevin (Le temps des vivants). La Catherine Sauvage québécoise (l’une et l’autre défendent plusieurs auteurs communs, et un certain style d’interprétation sur scène) s’engage en faveur de l’indépendance du Québec dans les années 70 (Lettre de Ti-cul Lachance à son premier sous ministre), avant de privilégier la cause féministe. Une grande dame de la chanson québécoise.


JULIETTE

Le premier disque de Juliette (‘”Que tal ?”, sorti en 1991) tranche délibérément sur les productions de l’époque. Il n’aurait sans doute pas vu le jour si, auparavant, Juliette ne s’était fait connaître sur la scène auprès d’un public restreint, mais autant fervent qu’exigeant. Cet album, enregistré en public, donne la mesure du talent de Juliette, de son abattage, de sa faconde et de sa gouaille, de sa capacité aussi à revisiter un répertoire “daté” ou des titres créés par d’autres interprètes. En tout état de cause Juliette parait décalée dans la chanson du début des années 90. Quitte à l’inscrire dans une filiation, le nom de Théresa, l’immortelle créatrice de La femme à barbe, pourrait être cité. Ceci pour le personnage car Juliette, qui également écrit et compose, dispose déjà d’un répertoire personnel de qualité : à l’instar des Sur l’oreiller, Poisons, Que tal ?, ou La chanson d’Abhu-Newes.

Juliette devait fatalement rencontrer Pierre Philippe. Une telle personnalité et certains traits de son répertoire ne pouvaient que séduire et inspirer ce grand parolier. N’avait-elle pas d’ailleurs repris Lames (crée dix ans plus tôt par Jean Guidoni sur un texte de Pierre Philippe) sur son premier disque. De là ces deux albums essentiels, “Irrésistible” et “Rimes féminines”, où Pierre Philippe signe la plupart des textes du premier, et la totalité de ceux du second. La chanson-titre du premier, Irrésistible, joue sur le physique de l’interprète : “Quitte quelque part à te choquer / Je parlerai de mon physique “). On ne résiste pas à citer les derniers vers de la chanson : “Ce qu’il te faut / C’est un cageot / Une chèvre ou / Son légionnaire / Un simple trou / Ou bien ta mère “. Citons également pour la bonne bouche : La barque des innocents et Monocle et col dur. Trois chansons cependant attirent davantage l’attention : Petits métiers, Manèges et Monsieur Vénus. La première recense avec la saveur voulue ces petits métiers aujourd’hui disparus, qui “arpentaient les rues et campaient sur les places “, tels “la remailleuse de bas “, “l’écorcheur de lapins “, voire “l’avorteuse de choux “, “l’encaisseur de gnons “, et même “la torcheuse de culs”, “le dépendeur d’andouille”, “l’équarisseur d’enfants “. Une truculence renforcée par la musique, dans le genre orgue de barbarie, et l’interprétation de Juliette, irrésistible. Manèges décrit sur une ritournelle de fête foraine un manège tournant indéfiniment : où l’on croit y voir des figures sortant du merveilleux ou de l’épouvante (“Des passants irradiés comme à Hiroshima “). Ce tableau d’une humanité tournant en rond bascule dans le fantastique, puis l’angoisse et la déréliction. Une gageure portée par la voix de Juliette.

L’album suivant, “Rimes féminines”, entièrement écrit par Pierre Philippe, explore le continent féminin en autant de variations que de chansons : la femme qui malgré les apparences, celles que l’on prête au bonheur, s’efforce “d’oublier l’armoire à pharmacie / où dort de quoi mettre un terme à ce grand bonheur “ de Heureuse ; “l’authentique teigne / Teigne comme l’était Rubinstein “, perverse et arriviste de La petite fille au piano ; la rabelaisienne Géante ; “Les gaietés de l’escadron” au féminin de Revue de détail ; l’attrape-chaland de Consorama ; et Tueuses, le sommet du disque. La chanson-titre, Rimes féminines, donne d’emblée le ton : le ban des femmes qui ont laissé des traces dans “l’histoire des hommes” se trouve convoqué, depuis “cette bonne dame de George Sand “ jusqu’à “l’empoisonneuse Borgia Lucrèce “ en passant par Clara Zetkin, Camille Claudel, les sœurs Brontë, etc., etc., etc.

Deux disques enregistrés en public encadrent “Rimes féminines”. Les reprises par Juliette de Un monsieur me suivait et Tout fout le camp montrent à quel point la chanteuse s'approprie des chansons pourtant créées par de grandes interprètes. Dans un autre registre, plus intimiste, Le petit nom (sur un poème de Norge) et Papier buvard (de Desnos), Juliette excelle pareillement. Le dernier album de cette décennie (“Assassins sans couteaux”) représente une déception, même relative. Juliette, indépendamment des textes qu’elle signe (dont Assassins sans couteaux), a fait appel à deux nouveaux auteurs : Franck Giroud et Bernard Joyet. Les textes du premier, malgré d’indéniables qualités poétiques, ne peuvent rivaliser avec ceux de Pierre Philippe. Le second apporte une dimension humoristique (de celles que la scène met en valeur) certes absente des deux précédents albums studio. C’est pourtant sur de telles bases que Juliette, ensuite, via “Le festin de Juliette”, se fera un peu plus tard connaître du grand public avec l’album “Mutatis Mutandis” (d’ailleurs, dans “Assassins sans couteaux”, C’est l’hiver annonce Les garçons de mon quartier). Mais ceci est une autre histoire que l’on racontera dans un siècle.


JUVET (Patrick)

Ce “chanteur à minettes” connaît une double réussite en 1972 : il écrit Le lundi au soleil pour Claude François, et sa chanson La musica élargit sensiblement son audience. Juvet se reconvertit ensuite avec succès dans le disco (Où sont les femmes). Puis les “minettes” se reporteront sur d’autres produits, plus “tendance”.