SARDOU (Michel)

L’aspect indiscutablement “réactionnaire” d’une partie du répertoire de Michel Sardou ne saurait à lui seul expliquer la place, l’audience et le statut de ce chanteur durant les trente dernières années de ce siècle. D’ailleurs quelques uns de ses principaux succès (La maladie d’amour, Je vais t’aimer, Les vieux mariés, En chantant, La java de Broadway, Les lacs de Connemara) ne ressortent pas véritablement de cette catégorie. Michel Sardou, à l’instar d’un Serge Lama, dispose d’un organe vocal puissant que son répertoire met le plus souvent en valeur. Pour pareille voix les compositions de Jacques Revaux (compositeur de la plupart des chansons de Sardou) semblaient destinées. Et l’on ne peut nier l’efficacité mélodique de Revaux même si ce compositeur flirte parfois avec l’emphase ou la grandiloquence (ceci redoublé par des orchestrations où les cuivres ne font nullement dans la nuance).

En pleine guerre du Vietnam (et après le retrait français du commandement intégré de l’OTAN), la première chanson de Michel Sardou à connaître le succès, Les ricains (1967), prend autant position contre de Gaulle et la doxa de gauche qu’elle témoigne d’un tropisme américain (compatible chez Sardou avec son équivalent nationaliste). Deux chansons vont en 1970 imposer Sardou : Les bals populaires et J’habite en France. La première n’est pas sans cultiver une posture “virile” que l’on retrouvera souvent par la suite (plutôt sur le versant sexiste d’ailleurs : Bonsoir Clara, Je veux l’aimer pour un soir, Les villes de solitude) tandis que la seconde introduit une veine xénophobe ou chauvine (même traitée ici sur le mode humoristique). Dans ce registre (sur le versant nationaliste) une chanson comme Le France a été en son temps saluée par le P.C.F. et la C.G.T.. Et l’on ne saurait oublier pour clore cette liste Le temps des colonies. Même en traitant de sujet moins “sensibles”, tel l’internat (Le surveillant général) ou le service militaire (Le rire du sergent), Sardou laisse planer une ambiguïté de type homophobe (comme on ne disait pas encore à l’époque). Ce qui n’est pas le cas de J’accuse (“J’accuse les hommes de croire à des hypocrites / Moitié pédés moitié hermaphrodites “). Ni dans un autre domaine de l’insupportable Je suis pour, un vigoureux plaidoyer en faveur de la peine de mort. Cette chanson d’ailleurs provoqua de violents incidents lors des concerts de Sardou en 1976. Le chanteur va alors s’efforcer de calmer le jeu (il ira jusqu’à envisager publiquement voter pour Mitterrand !) en sortant ensuite deux albums moins engagés sur sa droite, plus apaisés (les chansons La java de Broadway, Dix ans plus tôt, En chantant sont des succès).

Durant les années 80 le répertoire de Michel Sardou devient plus consensuel : Les lacs de Connemara, Chanteur de jazz, Musulmanes, Les deux écoles (cette dernière chanson renvoyant dos à dos les deux écoles : la dite “libre” et celle de la nation). On y entend même un hommage (paradoxal certes) à Lénine ! (Vladimir Ilitch). Moins présent dans la décennie 90 sur le plan discographique, Sardou attire cependant toujours un important public lors de ses concerts. On relève ces années-là (et même après) la volonté du chanteur de modifier un tant soit peu l’image de marque qui a longtemps été la sienne. Pierre Delanoé était décédé quand Michel Sardou traita son ancien collaborateur (tout deux ont écrit ensemble 60 chansons) de “réactionnaire”, en le rendant en quelque sorte responsable du contenu de plusieurs titres controversés des années 70 signés en commun. Pierre Delanoé, le parolier caméléon de la chanson, écrivait sur mesure : avec Gilbert Bécaud cela donnait L’orange, Hugues Auffray L’épervier, Michel Fugain Une belle histoire, Michel Polnareff Le bal des Lazes, Joe Dassin Les Champs Élysées, Claude François C’est de l’air c’est du vent, et avec Michel Sardou nous avions Le France, J’accuse, Le temps des colonies. Il ne serait pas un peu faux cul Michel Sardou ?