PERRET (Pierre)

On oublie parfois qu’avant Le Tord boyau Pierre Perret chantait depuis six à sept ans. Ce chanteur ne s’imposa pas d’emblée. Dans son premier 45 tour, sorti en 1957, les radios programmèrent cependant Moi j’attends Adèle. Puis Pierre Perret enregistre trois autres 45 tours qui passent inaperçus. Que peut-on retenir de ce premier Perret ? D’abord une voix pas tout à fait assurée, ensuite un accompagnement musical qui laisse à désirer (ne mettant pas suffisamment en valeur les mélodies), enfin l’influence de Brassens. D’un tout autre intérêt relève le dernier disque publié chez Barclay (un 33 tour) au début des années soixante. La voix se place, les musiques collent davantage aux textes, et on y entend plus Perret que Brassens (en particulier Le bonheur conjugal : la première dans un genre qui fera bientôt le succès du chanteur). L’introduction de l’argot, dans deux chansons que l’on découvrira plus tard, s’avère encore plus significative : Ma gosse et La bérésina (“L’était mal baraqué pour tomber les gonzesses / La trombine de traviole, une perruque en peau de fesse ).

Le disque suivant, où figure Le Tord boyau, rend le nom de Pierre Perret familier. Ce dernier va alors représenter un courant à lui tout seul dans la chanson des années 60 en imposant peu à peu l’univers singulier de ses chansons. C’est d’abord une langue qui n’a pas d’équivalent (que d’aucuns qualifièrent de vulgaire !), dont l’inventivité donne naissance à ces petits chefs d’oeuvre que sont Marcel, Pépé la jactance (le truand de Gennevilliers, celui qui vous “déculotte ses souvenirs sur un air d’accordéon à faire chialer), Elle m’a dit, L’homme facile, Les seins, Les baisers, Noël avant terme. Et encore les méconnues J’peux pas (hilarante !) et Gislaine de la Bourboule. Dans cette galerie de portraits à la Perret, la petite Gislaine de la Bourboule mérite un traitement de faveur. Il s’agit d’un personnage de B.D. situé entre Marie-Chantal et Zazie. Et l’orchestration en rajoute dans le genre désuet, bal popu et saxo ringard. Histoire de préciser que les arrangements musicaux de Jean Claudric collent parfaitement à l’univers de Pierre Perret. De la “belle ouvrage” pas suffisamment reconnue. Car Perret ne serait pas devenu le Perret que l’on reconnaît entre tous sans cette couleur musicale. Et ne fait pas populaire, musicalement parlant, qui veut (Cuisses de mouche, par exemple)

Des chansons de la pointure de Marcel ou Pépé la jactance se situent à la jonction des deux univers repérés chez Pierre Perret : d’un coté le versant “affreux jojo” ou trivial (avec quelque chose de l’esprit “Hara-kiri”, Reiser plus particulièrement, où se retrouvent les principaux succès de la seconde moitié des années 60 : La corrida, Les jolies colonies de vacances, Tonton Cristobal, Les postières, Qu’est ce qu’elle est belle) ; de l’autre le versant “Tendre Pierrot” (pour reprendre le titre d’un album composé de chansons regroupées dans cette catégorie). Tout avait ici commencé avec Blanche. Cette chanson permettait de redistribuer les cartes. Perret n’est pas que grossier, entendit-on. D’autres chansons, dans ce même registre, avait pourtant précédé Blanche. Mais qui s’en était soucié ? Citons ici dans cette veine “tendre” Mimi la douce, Je ne sais plus sur quel pied danser, Leila, L’amour et la tendresse, Quand je suis malheureux.

Une évolution se dessine au détour des années 70. L’affreux jojo met de l’eau dans son vitriol et la langue y perd en verdeur. Les différences s’atténuent entre les deux Perret (le trivial et le tendre). Plusieurs chansons, parmi celles écrites dans la première moitié des années 70, caressent un peu trop le “français moyen” dans le sens du poil : par exemple C’est au mois d’août, Ne partez pas en vacances, voire Le plombier. On ne rangera pas dans cette catégorie la truculente Le zizi, sans doute le plus grand succès de la carrière du chanteur. Ce qui n’empêche pas Pierre Perret d’écrire durant la même période deux incontestables réussites : Ma femme et Le temps des puces. On pourrait dire, au sujet de cette dernière chanson, que la nostalgie est bonne chez Perret : elle se donne sans affectation. Ma femme illustre “l’autre Perret” plus que jamais. Il y a comme une parenté entre ces vers là et ceux écrits par André Breton dans le poème L’union libre. Certainement l’une des meilleures chansons de Pierre Perret : “Oh toi ma femme aux paupières de cèdre bleu / Aux longs doigts de corail dans mes cheveux de laine / Aux longs doigts qui s’attardent aux bouches des fontaines . Ne quittons pas la poésie sans aborder un domaine où l’on attendait pas Pierre Perret. Avec modestie, mais non sans conviction Perret nous propose son adaptation de Marie (un poème extrait du recueil “Alcool”) : on y entend comme en sourdine la voix d’Apollinaire.

Vers le milieu des années 70, un Perret nouveau va progressivement prendre la place de l’ancien. C’est un Perret qui ne se renie pas, mais dont le registre plus étendu s’avère parfois attendu. S’il parait à première vue plus assagi, Pierre Perret porte davantage son regard sur des sujets sociaux, en relation avec l’état de la société ou le monde en devenir. L’occasion lui est donnée de prendre parti (et comment ne pas partager ses partis pris !) en prenant appui sur une langue plus classique. Ses chansons semblent d’ailleurs plus “écrites” et plus “travaillées” que jadis. Il leur manque cependant la verdeur du “premier Perret”. Il ne faudrait pourtant pas faire la fine bouche pour évoquer l’album sorti en 1977, l’un des meilleurs de sa carrière du chanteur. Citons la tendre et mélancolique Le Café du canal (“Ici on peut apporter ses baisers ), la savoureuse Adam et Eve, et Les enfants foutez leur la paix (un manifeste à la Perret). En gardant pour la fin l’excellente Le petit potier et Lily. On ne présente plus cette dernière chanson qui est devenue au fil des ans l’un des titres-étendard de l’ami Pierrot. Toute périphrase s’avère inutile : chacun sait qu’il s’agit d’une chanson contre le racisme. Et preuve est faite que l’on peut être efficace dans ce domaine sans céder à la facilité et à la démagogie ou chanter des slogans. Pierre Perret clôt les seventies avec un disque plus inégal mais qui comporte un autre titre emblématique de l’auteur : Mon p’tit loup. Une chanson sur le vaste monde quand il offre, d’un continent à l’autre, ce que la nature et les hommes ont produit de plus beau : les plaisirs de l’existence et la promesse d’une autre humanité pour “oublier les petits cons qui t’ont fait ça .

Autre bon cru, l’album sorti en 1981. C’est l’printemps évidemment, mais aussi Y’a cinquante gosses dans l’escalier. Ceux d’une HLM de Gennevilliers (où Perret qui y a vécu sait de quoi il parle). Deux chansons féministes (ou plutôt “Féminophiles”) figurent sur ce disque. Pierre Perret trouve les mots justes pour évoquer ces Femmes seules, ou celles (Elle attend son petit) dont “le mec est parti / Le courageux papa . Dans une décennie ensuite plus en demi teinte relevons Salut ami d’Aubervilliers, La veuve, Cœur cabossé. Les années 90 démarrent très fort avec Bercy-Madeleine : un éblouissant exercice de style qui recense en trois minutes la quasi totalité des stations du métro parisien. Sur le même disque, dans un tout autre genre, citons La petite kurde. Sans passer sous silence Pamela (un retour bienvenu à des sources plus anciennes) et Rebecca. A l’autre extrémité de la décennie, l’album “La bête est revenue” observe notre monde sans aménité : de la fureur religieuse (Au nom de dieu) à la destruction des bases biologiques de la vie (Vert de colère) en passant par le pétainisme (Le temps des tabliers bleus) et une mise en garde contre “le retour de la bête immonde (La bête est revenue, qui déplut fort à M. Le Pen). Il s’agit d’un Perret classique, bien éloigné de “l’affreux jojo” des débuts (l’orchestration y participe). Il faut attendre le dernier titre de l’album (Demain dés l’aube, sur un poème de Victor Hugo) pour découvrir un Perret inattendu. On ne l’avait jamais entendu chanter ainsi. Avec un piano et un violon des plus inspirés. Et une voix qui se brise. L’émotion...