M


MACIAS (Enrico)

Ce sont d’abord ceux que l’on appelle les “rapatriés d’Algérie” ou les “pieds noirs” qui font le succès d’Enrico Macias dans le milieu des années 60 (L’île du Rhône, Les filles de mon pays, El Porompompero, Mon cœur d’attache et surtout Enfants de tous pays) : la couleur locale méditerranéenne (renforcée par une musique de type andalo-arabe) se marie à un coté “si tous les gars du monde” de bon aloi. Sans doute un peu trop à l’étroit dans ce costume, Enrico Macias élargit dans un second temps son répertoire (et son public) avec des chansons qui s’inscrivent dans une tradition plus hexagonale (Paris tu m’as pris dans tes bras), ou célèbrent les “français moyens” (Les gens du Nord, Les millionnaires du dimanche). Sans renouveler cette série de succès (à l’exception de Malheur à celui qui blesse un enfant), Enrico Macias reste une valeur sûre de la chanson française (et qui s’exporte !). Le public qui le suit depuis ses débuts lui reste fidèle malgré (ou à cause) l’humanisme plan plan du chanteur.


MAC NEIL (David)

Cet auteur-compositeur-interprète (il a écrit pour Julien Clerc (Mélissa), Robert Charlebois, Jacques Dutronc, Alain Souchon, Yves Montand (ce dernier reprendra Hollywood et consacrera un album à David Mac Neil en 1984). La touche Mac Neil apparaît davantage dans les nombreux albums sortis par le chanteur depuis 1972 (Hollywood le faisant connaître : “Sa mère dansait dans les bars imitant Jean Harlow / Son père lançait des poignards au cirque de Buffalo “), qui n’ont pas bénéficié d’une grande audience malgré leurs qualités.


MAC ORLAN (Pierre)

Entre Pierre Mac Orlan et la chanson il s’agit d’une vieille histoire. Les siennes, de chansons, n’en finissent pas de rajeunir les “souvenirs anciens” de l’écrivain. La frontière parait souvent floue chez lui entre ses poèmes et les dites chansons. On retrouve chez elles l’atmosphère des romans de Mac Orlan : cet univers peuplé d’aventuriers, de filles de joie, de bastringues, de marins de passage, de ports interlopes. Pierre Mac Orlan a eu la chance d’être mis en musique par quelques uns des meilleurs compositeurs de la chanson du moment (Philippe-Gérard, Georges Van Parys, Lino Léonardi, et le trop rare V. Marceau), mais plus encore d’être chanté par trois grandes interprètes féminines (Juliette Gréco, Germaine Montero, Monique Morelli) qui chacune lui consacrèrent un disque. Georges Brassens est l’auteur de cette jolie formule sur Mac Orlan : “Il donnait des souvenirs à ceux qui n’en ont pas”.


Madame rêve (Pierre Grillet - Alain Bashung)

La surprise de l’album “Osez Joséphine” (c’en était une, et de taille !) s’appelle Madame rêve. Sur de somptueux accords de cordes le texte distille un érotisme subtil (“Rêve d’archipels / De vagues perpétuelles / Sismiques et sensuelles / D’un amour qui la flingue / D’une fusée qui l’épingle / Au ciel “). On ne soupçonnait pas en 1991 que Madame rêve portait musicalement en germe une manière qui, avec “Chatterton” d’abord, et davantage avec “Fantaisie militaire”, donnerait dans “L’imprudence” ses plus beaux feux. Ceci dit le pouvoir de fascination de cette chanson, qualifiée ici la meilleure du répertoire d’Alain Bashung, reste intact.


MAGNY (Colette)

On se souvient peut-être de la première apparition de Colette Magny sur le petit écran au début des années 60. L’émission, “Le petit conservatoire de la chanson”, était présentée par Mireille et consacrée aux jeunes talents de demain. Parmi les jeunes pousses cornaquées par Mireille (citons Françoise Hardy, à la même époque) cette forte femme de 36 ans, d’une timidité maladive, dont la voix évoquait celle des grandes chanteuses de blues, faisait contraste ou même désordre. En 1963 Colette Magny sort un premier 45 t. Y figure Melocoton, la seule de ses chansons à connaître un succès public. Elle met en valeur la voix de l’interprète mais ne permet pas de subodorer ce qui s’ensuivra (pas plus l’album sorti un an plus tard, panachage de blues traditionnels et d’adaptations par Magny de poètes français, dont la remarquée Les Tuileries sur des vers de Hugo).

Colette Magny change alors de maison de disque et rejoint Chant du monde. Quatre albums (“Vietnam 67”, “Magny 68”, “Feu et rythme”, “Répressions”) témoignent de l’engagement de la chanteuse au coté des opprimés et des révolutionnaires de tous pays. Ce ne sont pas des chansons, à proprement parler, mais des cris, des révoltes, des tracts, de l’actualité brute, des bruits de manifs, des histoires de pauvres gens. Et ce qu’il faut de rage rentrée pour parfois supporter l’insupportable. Ceci pour les textes. Magny écrit également les musiques ou les confie aux musiciens de jazz (plutôt free) qui l’accompagnent durant cette époque.

Transit” ensuite représente un disque de transition dans la carrière de Colette Magny. Jusqu’alors la chanteuse se disait toujours prête quand on venait lui demander de chanter pour la Révolution. Jusqu’au jour où... L’histoire est racontée dans Ras la trompe. Ne livrons ici que la morale : on peut à la fois agonir les militants et rester révoltée. L’album suivant, “Visage-Village”, est certainement le plus ambitieux de la chanteuse. Le chant de Magny se fait âpre, tendu, presque désespéré. C’est un cri qui vient des entrailles de la terre. Une clameur que le free-jazz amplifie et que l’accordéon (celui de Léonardi) finit par apaiser. Tout à la fin du disque, après ces derniers mots (“Le couple / C’est guère qu’une toute petite réunion / D’une toute petite cellule / D’un parti qui n’existe pas “), il faut alors entendre la voix de Magny entre rage et dérision.

Les albums qui suivent, encore plus expérimentaux, éloignent Colette Magny de son public (en exceptant “Chansons pour Titine”, un retour au blues des années 60). Le dernier disque de la chanteuse, “Kevork” (1989), sortira en souscription ! Magny revient sur quelques unes des thématiques traitées durant les années 60 et 70, dans un registre cependant plus apaisé. De Melocoton à Fils de Bahia de l’eau a coulé sous les ponts mais Colette Magny est restée la même. La Magny vous tire sa révérence, “fils de Bahia, de Harlem ou de Cuba “ (et des faubourgs de Buenos Aires, quand le bandonéon nous la joue sur ce ton là).


La Manikoutaï (Gilles Vignault)

C’était la femme et la rivière / Et l’amour mêlé à la mort “, nous conte Gilles Vignault en introduction à la plus belle de ses chansons. On ne saurait mieux présenter cette Manikoutaï qui ravit autant qu’elle émeut, et évoque le passage des saisons et la tragédie de ce printemps-là (“Ils ont dit que c’était la Julie / Moi je dis que c’était la Manikoutaï / Ils diront qu’avec l’âge on oublie / Telle était la Manikoutaï “). Les mots de la chanson, pour les redire, comme on aimerait les garder par dévers soi pour se réchauffer avec, une fois l’hiver venu !


MANO SOLO

Quatre albums de Mano Solo (1993, 1995, 1997, 2000) représentent le meilleur de ce qui porte encore le nom de chanson à la fin de ce siècle. Certains s’en étonneront (par méconnaissance, Mano Solo n’ayant pas la notoriété des interprètes tenant le haut du pavé durant ces années 90), d’autres le discuteront (pour des raisons plus complexes, qui ne sont pas indifférentes au contenu des chansons de Mano Solo).

Un premier disque, “La marmaille nue”, classe Mano Solo parmi les représentants de la scène dite alternative (à la suite ou aux cotés des Négresses Vertes, Pigalle, Mano Negra, Têtes Raides, etc.). On y entend un rock mâtiné de java, branché sur les “musiques du monde”. Le second album, “Les années sombres” (enrichit d’un quatuor à cordes) explore le même territoire musical. Ce qui fait la spécificité et la singularité de Mano Solo doit être recherché du coté des textes des deux disques. L’humanité dont il est question dans la plupart des chansons n’a rien de réjouissant : Chacun sa peine ou C’est pas du gâteau donnent le ton (“on fera pas d’marmots / pour leur gueuler tout haut / la vie c’est pas du gâteau ), Tango déclame “C’est pas une vie ” sur un déchirant morceau de bandonéon. Une vie qui peut se trouver résumée à travers les vers suivants, de Dis moi :”que le vent m’emporte / nourrir les vers et les cloportes / ce sera bien là de toute une vie / le seul contrat bien rempli “. L’autobiographique A quinze ans le matin parcourt ce “drôle de chemin des épines “ qui, “de la cambriole au vol de bagnoles “ à “j’ai chopé ma putain d’guitare / et à grands coups de butoir / j’écrase le cafard “, en passant par “les yeux grands ouverts de ne rien voir / j’ai peint des tableaux tout noirs “ conduit à la trentaine. Un chemin où la mort s’invite : “A 24 ans du matin / la mort m’a serré la main / et en me tapant un coup dans le dos / elle m’a dit salut et à bientôt “. Pourtant, contrairement aux apparences, ces chansons sont moins morbides qu’on ne l’a prétendu. Mano Solo défie la mort (A pas de géant : “Je serai premier avant la mort / et bras d’honneur à l’arrivée “), ou se révolte contre cette “fatalité”, celle du Sida il va sans dire (Mes amis d’enfance : “qui me dira pourquoi : étions nous si méchants / qu’on doive le payer si chèrement / étions nous vraiment de trop / que cette vie nous efface trop tôt “.

Encore fallait-il cette voix, cette interprétation pour se colleter avec pareil répertoire ! Mano Solo chante avec ses tripes, en se donnant entièrement, comme si sa vie en dépendait. Il faut remonter à Piaf, ou encore à Brel pour trouver quelque équivalent. Sans oublier que cette révolte se retourne également contre l’ordre social (Y’a maldonne, comme le chante Mano Solo : “y’a maldonne pour les hommes emprisonnés / qui ont plus qu’un os à ronger la fatalité / y’a maldonne pour tous ceux qui n’ont rien à bouffer / alors qu’ici on en jette des tonnes ça me fait gerber “). Le quotidien, celui d’un Paris contemporain, n’est pas absent des chansons de Mano Solo. Il y plante le décors de Paris boulevard en substituant aux badauds “ses fils bâtards / qui sont nés quelque part / entre le désir de mort et l’ennui “. Un Paris qui parfois s’éloigne, se délite, ne s’appartient plus, ou renaît sous d’autres formes. Nous parcourons d’autres boulevards, il va de soi, que ceux chantés presque un demi siècle plus tôt par Yves Montand, ceux par exemple de Barbès Clichy.

Un troisième album, “Je sais pas trop”, radicalise encore un peu plus le propos évoqué plus haut. Ici les mots manquent, ou paraissent insuffisants pour dire en quoi ce disque émeut et bouleverse pareillement. Cela explique en partie sa mise à distance par un public qui refusait d’entendre de telles chansons, dérangeantes certes. Alors qu’un autre, en revanche, devenait acquis à Mano Solo pour des raisons presque inverses, faisant du chanteur le porte-drapeau (avec toutes les nuances que l’on voudra) de la “génération Sida”. Une reconnaissance où entrait une part de malentendu. Ceci pour dire que la mort est plus ou moins présente dans toutes les chansons de cet album. Là aussi Mano Solo la décline dans des tonalités différentes. Y compris sur le mode suggestif, dans deux chansons qui font retour sur l’enfance : Te souviens-tu (“J’me souviens de rien maman / plus j’avance et moins je m’retourne / tu sais pour tout ça j’ai pas l’temps / tout s’efface et la roue tourne “) et Les fées (“Ils ont donné tout en même temps / à ce petit corps maladresse et talent “). Ce qui n’empêche pas (Les fées, toujours) le coup de griffe (“Y’en avait des fées / autour de mon berceau / y’ avait des fées / et des salauds “). Quand Mano Solo brandit un drapeau celui-ci porte la “couleur d’anarchie et de pirate “. Une chanson (Le drapeau) où le refrain se résume à ce cri, “Tu es si jolie / et moi je suis si noir “ (auquel l’un des couplets répond : “Tu seras le drapeau / et moi la tête de mort “). Dans le déchirant Janvier l’essentiel est dit, sans fard (“Les gens m’aiment parce que je suis triste / et les gens m’aiment parce que je suis seul / et les gens m’aiment parce que j’ai mal / et les gens m’aiment parce que je meurs à leur place en quelque sorte “). Et toujours cette révolte contre la faucheuse (Il m’arrive encore : “Il m’arrive encore / de pleurer sur mon sort / d’avoir peur de la mort / mais je suis vivant vivant “ ou la “bête immonde” (Que reste-t-il encore à vivre : “Allons nous longtemps laisser les urnes / se remplir de peste brune “). Je suis venu vous voir résume en quelque sorte la question : “Mes amis ne pleurez pas / le combat continue sans moi / tant que quelqu’un écoutera ma voix / je serai vivant dans votre monde à la con “.

Mais les mots ne sauraient avoir une telle portée, ou nous toucher ainsi sans les musiques, toutes écrites par Mano Solo, à l’exception de Janvier (et C’est plus pareil, le sommet de ce disque) composées par Éric Bijon. Il faut également évoquer la guitare de Jean-Louis Solans, et les arrangements par Éric Bijon du quatuor à cordes (lequel n’est pas étranger à la couleur mélancolique de l’album). Enfin ce disque enregistré en public se termine par l’habituel “Vive la Révolution” (comme le faisait Mano Solo à la fin de chacun de ses concerts).

L’album sorti en 2000 (“Dehors”) se situe presque sur une autre planète. De disque en disque Mano Solo évoluait vers plus de noirceur, de désespoir, de révolte. Mais ici le changement de ton, voire de cap vers une manière de se réconcilier avec la vie est sensible. Mano Solo pouvait difficilement aller plus loin vers ce que d’aucuns appellent un “processus d’auto-destruction”. C’est question d’appréciation. On se permettra ici de le discuter ou de le relativiser en rappelant après Musset (et Nougaro) que “les chants les plus beaux sont les plus désespérés”. Tout en précisant (pour refermer cette parenthèse), que le mot Sida n’est prononcé qu’une seule fois dans les quatre disques du chanteur (dans l’une des chansons, C’est pas du gâteau, de “La marmaille nue”). Ceci dit, sur le plan musical également, Mano Solo revient à un son davantage proche de son premier album : les cuivres remplaçant les cordes des deux derniers disques. Mano Solo, pour en revenir à notre propos initial, chante Je taille ma route (“Je taille ma route / depuis quelque temps / je le sens / un son nouveau / courir sous ma peau “). Cela vaut pour Soif de vie et Métro. Ainsi que pour les deux chansons qui se détachent de cet album inégal, El Mungo et Les gitans. La première dégage une énergie contagieuse (“En cette Espagne en feu / il brûlait dans mon dos “) et la seconde rend hommage au peuple gitan : “leur présence rayonne sur le port / on sent qu’ils existent très fort “ (une chanson, alors que nous écrivons ces lignes, qui s’inscrit particulièrement en faux contre les insanités déversées par Radio-Élysée).


MANSET (Gérard)

Un Manset peut-il en cacher un autre ? Il s’agit certainement du seul chanteur qui soit parvenu de son vivant à créer un mythe autant musical que personnel. L’invisibilité de Gérard Manset l’explique en grande partie (vis à vis de la scène, des médias, et même des pochettes de disques). Mais aussi le côté démiurge d’un musicien réalisant seul, en studio, l’un ou l’autre des albums rythmant la carrière du chanteur. Sa voix, qui semblait le desservir à ses débuts, devient au contraire la preuve par l’organe du caractère médiumnique de l’interprète. Une légende encore renforcée par les nombreux voyages de Manset à travers le monde et l’écho que ceux-ci renvoient dans des textes se référant volontiers à l’Orient et dont la dimension mystique n’est pas absente.

Cependant, ceci posé, que dire de cette écoute ? Gérard Manset a sans doute inventé ou vulgarisé (c’est selon) un style de musique pop, du moins à l’échelle hexagonale. Dans 2870, par exemple, Manset peut être comparé au meilleur du domaine pop anglo-saxon. On citera, dans le même ordre d’idée, parmi les titres connus, Il voyage en solitaire, Lumières, Tristes tropiques, mais aussi Que deviens-tu ?, Et l’or de leurs corps, Le lieu désiré, plus confidentiels. Les réserves portent sur le coté un tantinet fabriqué, voire artificiel des enregistrements. Mais n’est ce pas la logique de ce genre de production ? Et puis, quelquefois l’usage de la répétition ne provoque pas l’aspect hypnotique plus ou moins recherché mais finit par engendrer un certain ennui. Plutôt déconcertante, l’attitude de Manset vis à vis de son œuvre (laquelle pour le vingtième siècle comprend 16 albums) contribue à brouiller les pistes depuis l’apparition du support CD. Manset ressemble à un peintre qui, lors d’une exposition lui étant consacrée, et dont l’accrochage respecterait la dimension chronologique, s’évertuerait au fil des jours à déplacer ou à retirer des toiles pour ruiner l’idée même d’une chronologie tout en donnant un coup de pinceau supplémentaire ici ou là. Cette attitude, qui n’est pas sans exercer une certaine fascination, n’en possède pas moins son revers. Manset a éliminé de cette réédition en CD son premier album, sorti en 1968 : ce perfectionniste estimant que ce disque n’avait pas alors été réalisé avec le soin voulu.

Ceux qui ont aimé cet album lors de sa sortie ou durant la décennie suivante peuvent se sentir légitimement frustrés. Ce disque comporte quelques unes des chansons parmi les meilleures jamais écrites par Manset, dont Animal on est mal : “Animal on est mal / Et si on ne se conduit pas bien / On vivra peut-être dans la peau d’un humain “ (qui figurait dans un 45 tour précédent), le fameux Je suis Dieu (“Je suis Dieu / Et je joue avec des bouchons de liège / Je suis Dieu / J’ai dans ma chambre autant de lits que de sièges / Je suis Dieu / Dans mon cercueil / Je suis Dieu / Dans mon linceul / Je n’ai pas le moindre souci de la vie “), La toile du maître, On ne tue pas son prochain. La disparition de ce “Manset 68” lui confère un caractère on ne peut plus mythique qui, nous y contribuons ici, laisserait entendre que le “meilleur Manset” serait à rechercher du coté de cet album mésestimé par son interprète. Il a pris ses responsabilités, nous prenons les nôtres.


Marcel (Pierre Perret)

C’est l’histoire d’un quatuor : la femme, le mari, l’amant, et Marcel, un inconnu “venu un matin de printemps / Exhiber son col blanc “. Pierre Perret observe ce petit monde de prolétaires avec cette tendresse teintée d’humour qui n’appartient qu’à lui. Il nous parle de leurs rêves, du moins de celui que la femme croit réaliser en quittant mari, amant et Genevilliers pour suivre ce beau parleur de Marcel, qui leur en fout plein la vue et pour qui le vaste monde n’a pas de secret. Elle reviendra, bien sûr : “Au retour elle a dit votre Marcel / C’est un fieffé salaud / Faites moi le métro / On lui a fait le métro / Son mari a fait l’zouave / Et moi le pont d’Alma / Et pleurant de joie / Elle retomba dans nos bras “.


MARGY (Lina)

Lina Margy est la créatrice plutôt oubliée de deux des plus gros succès des années quarante : Ah ! le petit vin blanc et Voulez vous danser grand mère. Pour le reste l’ancienne Miss Midinette fait en quelque sorte la jonction entre Berthe Sylva et Line Renaud.


MARIANO (Luis)

On se contentera de décliner quelques uns des nombreux et incontestables succès de Luis Mariano (La belle de Cadix, Mexico, Rossignol de mes amours, L’amour est un bouquet de violettes, C’est magnifique, chansons toutes composées par Francis Lopez), en y ajoutant Maman la plus belle du monde, et de citer Boris Vian : “Un garçon aussi doué physiquement, scéniquement et vocalement qui Luis Mariano est condamné par définition à chanter des chansons idiotes. Et ceci pour une raison bien simple : il n’existe pas de répertoire intelligent correspondant aux moyens vocaux de Mariano”.


Marienbad (Barbara - François Werthemer)

Dans le seul disque dont Barbara depuis 1962 n’ait pas signé les musiques (“La louve”, sorti en 1973), confiées à François Werthemer, Marienbad figure parmi le socle de chansons défendues par la chanteuse durant toute sa carrière. Il s’agit ici d’un texte raffiné, presque précieux, qui a pu surprendre (“Sur le grand bassin du château de l’idole / Un grand cygne noir portant rubis au col / Dessinait sur l’eau de folles arabesques / Les gargouilles pleuraient leur rire grotesque / Un Apollon solaire de porphyre et d’ébène / Attendait Pygmalion, assis auprès d’un chêne “), et qui n’est pas sans évoquer les raffinements de “L’année dernière à Marienbad”, le film d’Alain Resnais. L’arrangement musical de Wiliam Sheller joue dans ce même registre avec l’affectation nécessaire (tempérée, il est vrai, par la belle mélodie de Wertheimer).


MARIN (Christian)

Le comédien a définitivement relégué dans l’oubli le chanteur dont la carrière s’avèra brève (la fin des années 50 et le début de la décennie suivante) mais plutôt prometteuse. En 1959 l’unique chaîne de la télévision française programmait en début de soirée une émission consacrée à deux espoirs de la chanson : Christian Marin et Serge Gainsbourg (mais oui, quelle époque !). Le titre de l’émission (“chansons tendres et chansons noires”), bien choisi, donnait à entendre deux chanteurs aux répertoires diamétralement opposés. Leurs carrières respectives ensuite différeront très sensiblement.


MARJANE (Léo)

On retient sa voix chaude de contralto et la signification que pouvait prendre une chanson comme Seule ce soir dans le quotidien de l’Occupation (“Je suis seule ce soir / Avec mes rêves / Je suis seule ce soir / Sans ton amour “). Léo Marjane s’était révélée avant guerre en interprétant La chapelle au clair de lune. Ensuite la chanteuse connaîtra la consécration avec Mon ange. Son répertoire, le plus souvent composé d’adaptation de succès américains, reste conventionnel.


MARLY (Anna)

Née à Pétrograd en octobre 1917, Anna Marly s’installe en France au début des années vingt. Elle entame à la veille de la guerre une carrière de chanteuse et de compositrice, puis rejoint Londres et la France Libre en 1941. Anna Marly y écrit les musiques du Chant des partisans et de La complainte du partisan. Le “troubadour de la Résistance”, comme on l’appela à la Libération, est également l’auteur de Une chanson à trois temps crée par Édith Piaf.


MARNAY (Eddy)

On ne pouvait difficilement mieux faire puisque la première chanson écrite par Eddy Marnay (en compagnie il est vrai de Léo Ferré), Les amants de Paris, entre dans le répertoire d’Édith Piaf en 1948. Ensuite la liste des interprètes ayant chanté ce prolifique parolier ne manque pas d’impressionner (un tel éclectisme laisse dubitatif, pour ne pas dire plus) : Henri Salvador (Si jolie), Renée Lebas (Tire l’aiguille), Yves Montand (Planter café), Lucienne Delyle (Java), Bourvil (Balade irlandaise), Nana Mouskouri (Couroucouroucoucou Paloma), Marie Laforêt (Manchester et Liverpool), Régine (Azzuro), Frida Boccara (Cent mille chansons), Claude François (Le mal aimé), Mireille Mathieu (Tous les enfants chantent avec moi), et Céline Dion, Serge Reggiani, etc. On garde pour la fin le meilleur de Marnay : celui de sa collaboration avec Michel Legrand. C’est un langage (le texte fondu dans la musique et réciproquement) que les deux compères inventent dans les deux premiers albums de Legrand (avec, parmi d’autres, Brûle pas tes doigts, Moi je suis là, Elle n’a elle n’a pas, Trombone saxo et cie : “Et que Marnay turbine / Et ça les contamine “), même si les plus classiques La valse des lilas et Les moulins de mon cœur s’avèrent davantage connues. Eddy Marnay avait ici bien du talent. Qu’il l’ait ainsi dispensé aux quatre vents est une autre histoire.


La Marseillaise (Léo Ferré)

Formidable chanson ! Il faut dire qu’elle est particulièrement bien servie par la puissance de l’interprétation et celle de l’orchestration (un Jean-Michel Defaye au meilleur de sa forme). On ne sait s’il faut d’abord mettre cette réussite au compte du talent poétique de Ferré (“J’connais un’ grue dans ce pays / Avec des dents longu’s comm’ le bras / Et qui s’tapait tous les soldats / Qu’avaient la mort dans leur fusil “) ou la force de l’évocation (“C’est dans les champs qu’ell’ traîn’ son cul / Où y’a des croix comm’ des oiseaux / des croix blanch’ plantées pour la peau / La peau des autr’s bien entendu “). Et pourtant Ferré privilégie souvent l’élipse : “Arrête un peu que j’vois / Si t’as d’la voix / Si j’en aurais pour mes galons / Arrête un peu que j’vois / Et puis qu’ j’abreuve tous vos sillons / Et j’vous dirai / Combien ça fait “. Cette Marseillaise mériterait de supplanter l’autre, celle de Rouget de l’Isle.


MARTI (Claude)

Claude Marti incarne plus que d’autres dans les années 70 le renouveau de la culture et de la langue occitane dans le domaine de la chanson. Le reflux venant, la voix de Marti s’est faite plus rare. On le regrette pour celui que Nougaro appelait “le berger de l’âme” en ajoutant : “Que ses mots, lancés à la volée, continuent à ensemencer la glèbe de nos consciences, le terreau de nos insatisfactions”.


MARTIN (Hélène)

Représentante d’un style “rive gauche” engagé, Hélène Martin a également été l’une des “compagnes de route” du féminisme. On retient principalement dans cette déjà longue carrière les nombreuses adaptations de poètes (Char, Audiberti, Bérimont, Soupault, Seghers, Supervielle...) que l’auteure et compositrice Hélène Martin aura chanté toute sa vie. En particulier celle du “Condamné à mort” de Genet : l’un des chefs d’oeuvre de la poésie contemporaine, impeccablement et superbement mis en musique. Cependant on peut préférer à la version d’Hélène Martin l’interprétation de Marc Ogeret.


MARTIN CIRCUS

Ce groupe fondé en 1969 représente à ses débuts l’une des tentatives les plus originales (et concluantes) de créer une pop music “à la française”. A la suite du départ de deux membres du groupe, Martin Circus repart en 1971 sur de nouvelles bases musicales, plus commerciales (Je m’éclate au Sénégal et Marylène se retrouvent classées dans le hit parade). Ensuite le groupe déclinera progressivement malgré une reconversion passagère au disco.


MASSOULIER (Jean-Claude)

Jean-Claude Massoulier est bien oublié aujourd’hui. Cet auteur-compositeur-interprète s’est fait connaître en 1963 avec Le twist agricole et C’est ça le rugby. D’autres titres (Frankenstein et Dracula, La cuisine au beurre, Quand on s’en va chez les anglais) mettent en valeur ses dons de fantaisiste et son humour à géométrie variable. Massoulier a également écrit pour d’autres interprètes : les Frères Jacques, Philippe Clay (Manger porteur et l’excellente Incontestablement), Jean Ferrat (Maria : où l’on attendait moins l’auteur de Vilain Massoulier).


MATHIEU (Mireille)

Quand le conte de fée moderne rencontre le marketing cela donne Mireille Mathieu. On sait que la jeune fille d’Avignon, aînée d’une famille de quatorze enfants, fut lancée au milieu des années 60 comme une “nouvelle Édith Piaf”. On sait moins que Monsieur Barclay, son éditeur (et celui de Léo Ferré), fit détruire les milliers d’exemplaires originaux du Ferré 67 en raison de la présence dans ce disque d’une chanson consacrée à Édith Piaf (A une chanteuse morte ) qui s’en prenait implicitement à Mireille Mathieu dans le dernier couplet, et explicitement au margoulin du nom de Johnny Stark qui “manageait” alors la carrière de la jeune chanteuse. Ce produit pourtant représentatif de la “France profonde” n’en a pas moins conquis des marchés étrangers. Parmi les nombreux succès de Mireille Mathieu on retiendra Mille colombes, chanson promue depuis l’élection du dernier Président de la République “hymne de la droite décomplexée” (à l’initiative de l’humoriste Christophe Alévêque).


Maudit (Claude Nougaro - Claude Nougaro & Maurice Vander)

Cette grande chanson (malheureusement méconnue) met en scène le peintre, sa toile et la femme : avec un art de l’élipse comme on l’a rarement rencontré chez Nougaro. L’essentiel des rapports du créateur à son œuvre, y compris dans les malentendus qu’ils peuvent susciter, est traité en juste deux minutes. Telle l’attitude de la femme trouvant la toile “pas très commerciale “, puis, devant la colère du peintre, lui répondant : “Moi j’aime les hommes... / Ils sont tous maudits, maudits, modidigliani “. Admirable ! (tout est dans le ton). Et le mot vaut également pour l’orchestration de Jean-Claude Vannier.


MAURANE

Une voix, une présence, une surface médiatique (Maurane, “habituée” des grandes causes humanitaires l’est également à travers les nombreux duos télévisuels des années 90). Il manque à la chanteuse belge un répertoire adapté à ses qualités vocales et expressives.


MAYOL (Félix)

Nul interprète n’a aligné autant de succès durant les vingt premières années de ce siècle : depuis Viens poupoule jusqu’à Elle vendait des p’tits gâteaux en passant par La Mattchiche, Les mains de femme, A la cabane bambou et Cousine. Le chanteur à la houppette (et au muguet en boutonnière) mettait en scène chacune des chansons de son répertoire en usant de mimiques, de gestes ou de pas de danse : cette gestuelle s’appuyant sur un chant d’une diction irréprochable. Après la Première guerre mondiale Félix Mayol ne retrouvera jamais sa popularité passée : le caf’ conc’ était passé de mode et Mayol incarnait plus que tout autre interprète de l’avant-guerre les années révolues de “la belle époque”. A ce titre le créateur de Viens poupoule prend place parmi les figures les plus illustratives de ce début de siècle.


Mémère (Bernard Dimey - Daniel White)

Une chanson, qu’est ce que c’est ? De la musique sur des paroles, ou le contraire. Et une interprétation, il va de soi. Par exemple, qui peut chanter Mémère après Michel Simon ? Personne. La voix n’entre pas en ligne de compte, bien évidemment : ingrate et mal assurée. Ou plutôt c’est cette “maladresse” qui nous touche et nous émeut dans l’interprétation de Michel Simon. Bernard Dimey a sans doute écrit de meilleures chansons mais celle-ci, bien naturellement, passera à la postérité.


La mémoire et la mer (Léo Ferré)

Cette chanson fut écrite à l’état de poème au tout début des années 60. Léo Ferré extraira dix ans plus tard de ce cycle poétique, appelé “Les chants de la fureur”, ce fragment qu’il mettra en musique en l’intitulant La mémoire et la mer. Le mot alchimie n’a rien d’outrancier s’il faut évoquer ce texte magnifique, grandiose, bouleversant, le plus beau jamais écrit par Ferré, en regard d’une musique dont les mots nous manquent pour la traduire en termes équivalents. Ces fameux accords de piano (déjà présents dans Pépée) vont se trouver progressivement soutenus par une ligne de violon “à vous faire chialer tant et plus “. Et la voix de l’interprète ! Quels vers pourrions nous extraire de ce chef d’oeuvre absolu ? (“Les coquillages figurants / Sous les sunlights cassés liquides / Jouent de castagnettes tant / Qu’on dirait l’Espagne livide / Dieu des granits ayez pitié / De leur vocation de pâture / Quand le couteau vient s’immiscer / Dans leur castagnettes figure / Et je voyais ce qu’on pressent / Quand on pressent l’entrevoyure / Entre les persiennes du sang / Et que les globules figurent / Une mathématique bleue / Dans cette mer jamais étale / D’où nous remonte peu à peu / Cette mémoire des étoiles “). C’est toute la chanson qu’il faudrait citer !


Merci oh merci (Anne Sylvestre)

Cette chanson méconnue, et (presque) autobiographique d’Anne Sylvestre traite de manière paradoxale de la liberté : “Merci oh merci / De ne m’avoir jamais rien appris / De m’avoir laissé les mains vides / Libre libre libre / De venir jusqu’ici “. Par touches successives Anne Sylvestre brosse le portrait d’une adolescente, puis d’une jeune fille, d’une justesse confondante. Mais on est surtout sensible à la rage (le mot est prononcé) qu’exprime l’interprète : c’est bien vous, en me dédaignant, qui m’avez faite telle que je suis. Un aveu rare en chanson. Et c’est encore plus rare de transformer ce que la vie vous a dérobé en une formidable affirmation de soi. A ce titre, merci Anne Sylvestre.


Métamorphoses exceptionnelles (Antoine)

Moins connue que d’autres chansons du premier 30 cm d’Antoine, Métamorphoses exceptionnelles attirait cependant l’attention des amateurs. On pouvait y entendre quelques uns des signes avant-coureurs d’un malaise dont on connaîtrait deux plus tard (en 1968, donc) un premier dénouement (“Lève toi encore plus tôt, va à ton bureau / Écrase toi devant les patrons / Rêve de t’acheter une auto “). Cette chanson finit par basculer dans un univers surréalisant et folingue où “le soleil coule de partout “ et dans lequel on sourit “aux lions verts “ et “colle des plumes aux réverbères “. Ceci chanté sur un mode frénétique à l’impatience contagieuse : le tout saturé sur le plan musical par la pédale wah-wah des guitares.


MICHEYL (Mick)

Cette chanteuse et compositrice reste associée à ce Gamin de Paris qui fit sa célébrité (chanson qui sera reprise par de nombreux interprètes), ou encore Ni toi ni moi. Dotée d’un physique “équivoque” (et cela vaut aussi pour la voix) à ses débuts, la première moitié des années 50, Mick Micheyl terminera sa carrière de chanteuse comme meneuse de revue au Casino de Paris (vers la fin des années 60).


MILTON (Georges)

On se souvient davantage des chansons de Georges Milton (La trompette en bois, La fille du bédouin, Pouet-pouet, C’est pour mon papa, Si tu les cocus, Émilienne, J’ai ma combine, Totor t’as tort, Avec les pompiers : des refrains que l’on reprenait en chœur dans les repas de mariage et de communion) que de leur interprète. Pourtant Georges Milton connut une grande popularité durant l’entre-deux guerres. Il incarnait un type de français débrouillard qui facilitait l’identification d’une grande partie du public avec le chanteur. Un “rôle” que le cinéma lui permit dans un second temps d’incarner à travers une dizaine de films construits autour du personnage “Bouboule” (le surnom de Milton).


MIREILLE

Les chansons de Mireille et Jean Nohain (elle écrit les musiques, lui les paroles) font subir une cure de jouvence à la chanson française dans le début des années trente. Après Couchés dans le foin (que les duettistes Pills et Tabet popularisent), Ce petit chemin, Le vieux château, Les trois gendarmes, Puisque vous partez en voyage, Fermé jusqu’à lundi introduisent des thèmes et un son nouveau dans la chanson : ceux d’une liberté de ton, d’une poésie souriante, et d’une douce fantaisie mâtinée de jazz dont, parmi d’autres, Charles Trenet sera redevable. Ces titres sont créés par Pills et Tabet, Jean Sablon et Mireille, ou par les quatre réunis (en ajoutant à la liste ci-dessus Quand un vicomte par Maurice Chevalier). A l’origine Couchés dans le foin figurait dans l’opérette “Fouchtra” écrite et composée à la fin des années 30 mais jamais représentée sur une scène. Le succès inattendu de cette chanson dans la version de Pills et Tabet provoque en 1932 le retour en France de Mireille (elle vivait et travaillait aux États-Unis). Jean Nohain écrit une série de chansons sur le thème “Un mois de vacances” (Le vieux château, Le gendarme qui boite, Ce petit chemin) que Mireille met en musique, puis enregistre en compagnie de Pills et Tabet, et Jean Sablon.

Mireille entame ensuite une carrière solo. Les chansons qu’elle interprète dans la seconde moitié des années trente (Les petits lutins, Et voilà les hommes, Tant pis pour la rime, Le temps qu’une hirondelle) retiennent moins l’attention. Deux de ses chansons les plus connues (Une demoiselle sur une balançoire, Le carrosse, sur des paroles de Henri Contet pour la seconde) ont été créées par Yves Montand dans les années cinquante. On ne saurait oublier Mireille la pédagogue ou la découvreuse de jeunes talents à l’enseigne du ”Petit Conservatoire de la chanson” qu’elle anima de 1955 à sa mort et qui se trouva retransmis sur le petit écran durant les années soixante. S’y révélèrent, parmi d’autres : Ricet-Barrier, Françoise Hardy, Colette Magny, Alice Dona, Yves Duteil, etc.


MISRAKI (Paul)

Il parait difficile de dissocier Paul Misraki de Ray Ventura (dont il fut le pianiste orchestrateur pendant de longues années, et le compositeur des principaux succès de l’orchestre : Tout va très bien Madame la marquise, Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine, Comme tout le monde, Qu’est ce qu’on attend pour être heureux, Tiens tiens tiens, Maria de Bahia, A la mi-août). Ce compositeur de talent (citons en particulier Chez moi, créée par Lucienne Boyer en 1935) écrira durant les années cinquante de nombreuses chansons pour un grand nombre d’interprètes. Il se consacrera ensuite à la littérature tout en revenant par intermittence à la chanson (par exemple Les volets clos, chantée par Nicoletta en 1974).


MISTINGUETT

Certes Mistinguett chantait depuis 1885, et elle avait connu le succès avant la Première guerre mondiale (associée à Max Dearly, puis à Maurice Chevalier). Mais ce sont les années vingt qui placent Mistinguett au firmament de la chanson française. Durant cette décennie elle crée l’illustrissime Mon homme (la matrice d’un genre que les féministes brocarderont), Ça c’est Paris (et Paris c’est Mistinguett ! : en quatre couplets messieurs Boyer, Jacques-Charles et Padella nous brossent le portrait de “la petite femme de Paris”), Gosse de Paris (la miss incarne ici l’esprit gouailleur et parigot de la première moitié du vingtième siècle : elle pouvait même se permettre dans sa cinquante-sixième année de créer cette “chanson de midinette” sans que nul ne trouve à dire ou même à médire). Durant ces années fastes Mistinguett enchaîne revue sur revue. L’abattage dont elle fait preuve sur scène, sa manière de mettre le public dans sa poche, et son image de parisienne pour le monde entier sont les principaux atouts de la chanteuse. Ceci parce que Mistinguett ne dispose que de faibles moyens vocaux (“On dit que j’ai la voix qui traîne / En chantant mes rengaines / C’est vrai ! “, chantera-t-elle non sans humour dans le dernier de ses grands succès). Durant ces années vingt, aux trois célèbres chansons citées plus haut, on ajoutera J’en ai marre (“Toujours au turbin / Du soir au matin / Moi j’en ai marre “), En douce, La belote, La java (“Qu’est-c’ qui dégot / Le fox trot / Et même le shimmy / Les pas englischs / Le schottisch / Et tout c’qui s’en suit “).

L’étoile de la chanteuse va doucement décliner durant les années trente. Aucune autre chanson, C’est vrai exceptée, ne prend place parmi les “immortelles” de Mistinguett. Une autre génération (celle des Mireille, Tranchant, Sablon, Ventura) apporte un sang neuf à la chanson, et la “chanson réaliste” (à laquelle Mistinguett n’a jamais véritablement appartenu) brille de ses derniers feux tout en se faisant l’écho des inquiétudes de l’époque. Les “années folles” sont bien finies.


MITCHELL (Eddy)

L’ancien chanteur des Chaussettes noires commence une carrière solo en 1963. Reprenant dans un premier temps des classiques du rock’n’roll, Eddy Mitchell se partage ensuite entre des adaptations de succès anglo-américains (Fauché, Toujours un coin qui me rappelle) et des créations originales (Si tu n’étais pas mon frère, By by prêcheur, S’il n’en reste qu’un, Société anonyme). La rencontre du chanteur avec le compositeur et pianiste Pierre Papadiamandis inaugure une collaboration au long court. Sur des textes de Claude Moine (Eddy Mitchell), Papadiamandis écrit dans les années 1966-1968 les musiques de J’ai oublié de l’oublier, Seul, Je ne me retournerai pas, Le début de la fin, Alice, Je n’aime que toi. Il s’agit de la période la plus riche sur le plan musical de la carrière d’Eddy Mitchell : par delà leurs qualités mélodiques, les musiques de Papadiamandis, dans un registre blues-balade, mettent particulièrement en valeur la voix de l’interprète. On regrette cependant que pour Le début de la fin le texte de cette chanson ne soit pas à la hauteur de la fastueuse mélodie.

Après des années mi-figue mi-raisin (1969-1975), Eddy Mitchell aligne une série de succès qui vont constituer la base de son répertoire (Sur la route de Memphis, La fille du motel, La dernière séance, Il ne rentre pas ce soir, Couleur menthe à l’eau, Le cimetière des éléphants, toutes (à l’exception de la première) sur des musiques de Pierre Papadiamandis. Ici les textes (Claude Moine), dont les thématiques s’èquilibrent entre des chroniques de l’époque et l’évocation d’un certain passé, concourent à la qualité des chansons. Après quelques essais plus ou moins infructueux, musicalement parlant, Mitchell reviendra avec l’album “Rio Grande” (signalons la chanson titre, et Te perdre) à ce qu’il sait le mieux faire.


Mon amant de Saint-Jean (Léon Agel - Émile Carrara)

S’il fallait donner des lettres de noblesse à la rengaine Mon amant de Saint-Jean mériterait d’être désignée. Cette chanson, du moins l’interprétation de sa créatrice, Lucienne Delyle, porte indiscutablement la marque de l’époque (le début des années 40). Et pourtant Mon amant de Saint-Jean revient régulièrement donner de ses nouvelles au fil des générations. A croire que chaque femme “serrée par des bras audacieux “ rêve du “plus beau de Saint-Jean “ au bal musette ou ailleurs. “Mais hélas à Saint-Jean comme ailleurs / Un serment n’est qu’un leurre “ : hier comme aujourd’hui. Ainsi vont les chansons.


Mon légionnaire (Raymond Asso - Marguerite Monnot)

Même si ce célébrissime Mon légionnaire s’intègre on ne peut mieux à l’univers d’Édith Piaf, cette chanson ne lui était pas destinée à l’origine puisque Raymond Asso l’avait écrite pour Marie Dubas. Mais s’il faut en croire la biographie de la môme Piaf, l’histoire se répétait... en chanson. C’est là l’un des aspects du mythe. La légion peut disparaître, et les légionnaires avec, qu’il restera cependant celui-là, pour l’éternité presque : ce Légionnaire auquel les noms de Raymond Asso, Marguerite Monnot et Édith Piaf doivent être associés. Soit l’une des plus belles chansons d’amour du XXe siècle.


MONNOT (Marguerite)

On dira que Marguerite Monnot a eu la chance de rencontrer Édith Piaf, mais la réciproque n’est pas moins vraie. La moitié des “grandes chansons” de Piaf sont des compositions de Marguerite Monnot : de L’étranger à Milord, en passant par Mon légionnaire, Hymne à l’amour, La goualante du pauvre Jean, Les amants d’un jour, C’est à Hambourg, parmi tant d’autres titres. On ajoutera que l’on peut préférer cette partie du répertoire de Piaf à l’autre (en tout cas sur le plan musical cela parait indéniable). Marguerite Monnot a également composé la musique de la comédie musicale “Irma la douce”, créée par Colette Renard. On citera, pour l’associer parmi ses nombreuses collaborations à un autre auteur, le seul nom de Boris Vian : le résultat étant cette excellente Valse jaune.

Marguerite Monnot est certainement le plus talentueux compositeur de chansons françaises du vingtième siècle (en mettant de coté les auteurs-compositeurs-interprètes) : pas tant du point de vue de l’importance de la production ou pour des qualités d’éclectisme (ici Vincent Scotto rafle la mise) que pour leur richesse mélodique. Monnot concilie l’évidence de refrains que l’on retient de suite (et qui ne vous quittent pas de sitôt) avec une écriture toujours élaborée, qui parfois évoque Kurt Weill. Il n’est pas indifférent de savoir que cette compositrice possédait un bon bagage “classique” : Alfred Cortot et Nadia Boulanger avaient été ses professeurs au Conservatoire de musique. Pour finir on regrettera la façon pour le moins cavalière de Piaf, à l’aube des années soixante, “sacrifiant” Marguerite Monnot pour Charles Dumont. Pourtant, quitte à le dire trivialement, entre les deux compositeurs il n’y a pas photo. Il est vrai que Non je ne regrette rien composé par le second rencontra un grand succès. Mais quant à savoir si Piaf eut des regrets concernant l’éviction de Monnot nous en resterons là. La compositrice de Milord décédera d’ailleurs peu de temps après.


Monsieur Vénus (Pierre Philippe - Juliette Noureddine)

Le texte somptueux de Monsieur Vénus, très “fin de siècle”, a été inspiré à Pierre Philippe par le roman éponyme de Rachilde. Le thème, celui de l’équivoque sexuelle, est traité à travers la rencontre de celle, “que le désir des hommes jamais n’intéresse “, et de celui qui avait “tout l’attrait des belles garces rousses “. Cette chanson sur la réversibilité des sexes (“Moi l’homme, et toi la femme (...) A toi la bouche peinte et les seins maquillés / J’avais moi la cravache et les ordres obscènes “) se conclut par les vers suivants, admirables : “Qui peut me condamner ? Le cœur est un rébus / L’amour est un désordre et rien ne le commande / Il reste obscur et muet si d’aucuns lui demandent / Qui de toi ou de moi était Monsieur Vénus “. Il faut associer les musiciens (Franck Steckar, Bruno Grare...) à la réussite de cette chanson, et en particulier le piano de Didier Goret. Sans oublier Juliette, laquelle signe la musique, et qui seule pouvait interpréter ce Monsieur Vénus


MONTAND (Yves)

La carrière de certains interprètes - on pense à celle de Juliette Greco qui couvre, comme pour Yves Montand, un demi siècle - s’inscrit dans une continuité. Chez d’autres, en revanche, une ou plusieurs ruptures apparaissent : on parlera d’un premier untel, ou d’un second, voire d’un troisième, etc. Yves Montand ne peut être rangé dans l’une ou l’autre de ces catégories. C’est dire que l’exercice s’avère plus difficile avec cet interprète. Sans parler de Montand l’acteur, et plus encore du “personnage public” des quinze dernières années : deux données qui complexifient davantage “le cas Yves Montand”.

Sa carrière prend véritablement son envol lors de sa rencontre avec Édith Piaf. Cette dernière l’incite à abandonner ses chansons de cow-boy (Dans les plaines du Far West, entre autres) pour un répertoire plus adapté à sa personnalité. Ce Montand de l’après guerre se décline sous différents registres (dont certains se superposent) : un goût pour le jazz (Il fait des..., Battling Joë) et la chanson de charme (C’est si bon, Clémentine, Du soleil plein la tête), la volonté de défendre une certaine chanson populaire (Luna Park, Et la fête continue, qui campent le “Montand prolo”, ainsi que les premières chansons de Francis Lemarque), mais aussi un répertoire plus “intellectuel” ou “poétique”, celui de Jacques Prévert (Les cireurs de souliers de Broadway, Les enfants qui s’aiment). Les deux plus gros succès de Montand datent de cette époque : A Paris et Les feuilles mortes illustrent justement ce double aspect (qui tendra à se confondre au fil des ans).

Yves Montand connaît un pic de popularité durant les années 1951-1952. Il crée à cette époque Saltimbanque (sur un poème d’Apollinaire), Une demoiselle sur une balançoire (Nohain-Mireille), Grands boulevards (un concentré de Montand, si l’on peut dire), et plusieurs Lemarque (Les routiers, Toi tu ne ressembles à personne, Quant un soldat). Les années suivantes, les chansons d’Yves Montand rencontrent moins la faveur du public alors que l’interprète attire toujours autant de monde sur les scènes de music-hall. De nouveaux auteurs-compositeurs vont, à la fin des années cinquante et au début de la décennie suivante, renouveler le répertoire de Montand : citons Planter café, La fête à Loulou, Le chat de la voisine, Rengaine ta rengaine, La chansonnette. Ensuite, progressivement, le comédien prend le pas sur le chanteur. Celui-ci n’est plus sur le devant de la scène mais continue à donner de ses nouvelles de tant à autre (La bicyclette, son dernier grand succès, aurait même eu davantage d’écho s’il n’était sorti en... mai 68 !). Le répertoire du dernier Yves Montand évacue l’aspect populaire qui avait fait en partie la réputation du chanteur pour privilégier une chanson plus poétique (Mon frère, Coucher avec elle), d’une autre dimension politique (Casse-tête) ou musicale (Hollywood), ou mettant en avant la virtuosité verbale (Idylle phénoménale).

Il parait difficile pour conclure de ne pas évoquer Yves Montand, l’homme de scène. On l’a dit et redit : les prestations scéniques de Montand évoquaient le plus précis des mécanismes d’horlogerie. Ce souci du moindre détail, d’une perfection presque obsessionnelle, contribuant à la réussite de nombreux “numéros”. On connaît le revers de la médaille : trop de perfection tue la spontanéité avec le risque, à la longue, d’engendrer un certain ennui. Pourtant, tandis que le Montand public des années quatre-vingt devenait de plus en plus caricatural (disons qu’il venait d’échanger une erreur contre une autre : le défenseur d’un capitalisme new look prenant la place du compagnon de route du P.C.F.), les concerts donnés par Yves Montand continuaient à mettre l’accent sur l’exigence fondamentale de l’artiste : cette “solitude du chanteur de fond”, comme l’a si bien montrée Chris Marker. C’est celle que l’on retiendra.


MONTÉHUS

Montéhus (appelé le “chansonnier humanitaire”) est l’auteur et l’interprète de quelques unes des chansons d’un répertoire que l’on appellera “révolutionnaire”, “anarchiste” ou “populiste” (dans l’ancienne signification de ce second terme). La plupart de ces titres ont été crées durant les dix années précédant le premier conflit mondial. Si la verve antimilitariste domine (Un vrai croyant, Le père la révolte, et surtout Gloire au 17e, une chanson dédiée aux soldats du régiment d’infanterie qui, le 18 juin 1907, refusèrent d’ouvrir le feu sur une manifestation de vignerons insurgés), Montéhus dénonce également l’exploitation capitaliste (On est en république), la corruption (Y’a des honnêtes gens dans l’gouvernement), les puissants (Ils ont les mains blanches), la prostitution (N’insultez pas les filles), l’alcoolisme (Morale à la débauche), la loi interdisant l’avortement (La grève des mères). Lénine eut l’occasion d’entendre Montéhus entre 1909 et 1912. Le second invitera le premier à la fin de quelques uns de ses concerts pour l’une de ces “prises de parole” habituelles qui transformaient le tour de chant de Montéhus en meeting.

En 1914 Montéhus retourne sa vareuse. Lettre d’un socialo ou la désolante Pan pan... l’Arbi apportent le témoignage du ralliement de Montéhus à l’Union sacrée et au bellicisme. Le “chansonnier humanitaire” y perdra une partie du public populaire qui le soutenait depuis ses débuts. Sa carrière subira ensuite une longue éclipse, malgré la reprise dans les années vingt des thématiques de l’avant guerre. Montéhus reviendra sur le devant de la scène lors du Front Populaire avec Vas y Léon ! La chanson la plus célèbre de Montéhus, cette Butte rouge dont on ne sait pas toujours qu’il en est l’auteur, date de 1924. Une célébrité pourtant entachée d’ambiguité lorsque l’on sait que cette butte, loin de symboliser la colline rougie du sang des communards, évoque plus prosaïquement la butte de Bapeaume (lieu de violents combats sur le front de la Somme en 1916).


MONTERO (Germaine)

Germaine Montero, au demeurant excellente comédienne, n’a pas une voix inoubliable (on peut lui préférer d’autres interprètes chez Bruant, Prévert ou Ferré) mais ses interprétations des chansons de Pierre Mac Orlan sont insurpassables : c’est justement ce coté “impersonnel” (discutable ailleurs) qui lui permet de trouver le ton le plus juste pour défendre un répertoire que l’affectation ou la prouesse vocale pourraient dénaturer. D’ailleurs l’écrivain ne s’y trompait pas qui estimait que Montero restait sa meilleure interprète (malgré la concurrence, excusez du peu, de Greco et Morelli !). On cite, parmi la dizaine de titres de Mac Orlan enregistrés par la chanteuse : La fille de Londres, Jean de la providence de Dieu, La chanson de Margaret, Chanson rhénane, et la merveilleuse, touchante, émouvante Les Saintes Maries de la mer (où Montero donne le frisson).


MontParis (Claude Nougaro - Claude Nougaro & Eddy Louiss)

On trouve parfois une veine épique chez Claude Nougaro bien illustrée ici par MontParis (“A Lutèce voguant aux aurores de nacre / Clocher, sonne là-haut la cloche des parties / A la cité des rois, des croix, des gueux, des sacres / Que retentisse encore le glas gras des tueries “). Nous sommes dans la lignée d’un Victor Hugo. Le père Hugo dites vous ? : à trop vouloir en faire on en fait quelque fois trop, n’est ce pas. Mais comme “trop” rime avec Nougaro, alors... Cette réserve (qui n’en est pas une) faite, MontParis ne manque pas de souffle, bien au contraire. Et puis l’urgence, le sentiment d’alarme et la gravité sont au rendez-vous puisqu’il s’agit du Paris pompidolien de 1973, de celui “que la guerre épargna et que la paix massacre “. Magnifique ! On ne pouvait mieux dire !


MONTY

Remportant un premier succès en 1964 avec Même si je suis fou, Monty va rester sur le devant de la scène yé yé durant les années 60 (Un verre de whisky, La devise des copains). Il a également écrit pour Sheila, Sylvie Vartan, Éric Charden.


MOREAU (Jeanne)

Jeanne Moreau, qui était déjà l’une des voix les plus attachantes du cinéma français, pousse une première fois la chansonnette dans le film “Jules et Jim”. Cette chanson, Le tourbillon, appartient à cette catégorie que l’on dit “ne pas avoir d’âge” tant le poids des années n’en altère nullement la fraîcheur. Deux disques, sortis respectivement en 1963 et 1966, dont les chansons sont toutes écrites par l’auteur du Tourbillon, Cyrus Bassiak (alias Serge Rezvani), sur des musiques de Georges Delerue (La peau Léon), Jean-Jacques Robert (La vie de cocagne), ou Cyrus Bassiak (Angora rose, Tout morose), imposent un univers, un style, et le naturel d’une chanteuse donnant à chacun des vers de Bassiak un caractère d’évidence. Dans ce riche ensemble J’ai la mémoire qui flanche (sur une musique de François Rauber) reste proverbiale : l’exemple type d’une chanson à jamais confondue avec l’expression populaire que le titre reprend (au point de relativement occulter les vers suivants : “De quelle couleur étaient ses yeux / Je ne crois pas qu’ils étaient bleus / Étaient-ils verts, étaient-ils gris / Étaient-ils vers de gris “, qui semblent suggérer que cette chanson aurait une autre signification).

Après deux albums écrits, l’un sur des textes de Guillevic, l’autre par Jeanne Moreau, la comédienne enregistre un dernier disque en 1981 : “Jeanne Moreau chante Norge”. Ici les réserves ne portent pas véritablement sur les chansons (pas plus le poèmes de Norge que les musiques de l’impeccable Philippe-Gérard) : Chéri, Madame Augarita, Peuplades, Pas bien, Le Mordeur, Le petit nom, Chanson à tuer. Il y manque cette alchimie des deux premiers albums : l’exceptionnelle rencontre entre un auteur, des musiciens et une interprète. Et puis les musiques ne correspondent pas toujours à la tessiture de Jeanne Moreau. D’ailleurs, pour ne citer qu’un seul exemple, Juliette parait davantage convaincante dans son interprétation du délicieux Le petit nom. Une manière de dire que l’on est difficile avec l’interprète du Tourbillon car les chansons de ce disque sont rien moins qu’excellentes.


MORELLI (Monique)

Après un premier disque reprenant des chansons de Fréhel (en 1957, ce qui n’était pas alors ordinaire), Monique Morelli poursuit l’exploration de la “chanson réaliste” dans un second 33 tour. Ensuite, durant toute sa carrière, Morelli va servir la poésie comme nul autre interprète ne l’avait encore fait. Si les albums consacrés à Mac Orlan, Aragon et Carco recueillent quelque écho, il n’en va pas exactement de même pour les disques Rictus-Couté ou Bruant (ce dernier très sollicité il est vrai). Et que dire des albums Corbière d’une part, et Ronsard de l’autre ! C’était prendre tous les risques, assurément ! Il faut ici associer à la chanteuse le nom de Lino Léonardi, son époux, le compositeur de tous les poèmes qui n’avaient pas encore reçu de musique. Une seule fausse note (le dernier enregistrement de Morelli) : cette consternante et saint-sulpicienne “Messe d’Elsa” (avec Aragon comme célébrant).

Nous avons gardé pour la bonne bouche l’indiscutable chef d’oeuvre de la chanteuse : le disque “Morelli chante Villon”. Avec sa voix ample, puissante, expressive, son coté chanteuse réaliste revisité par la “rive gauche”, voire un certain aspect moyenâgeux de son physique, Monique Morelli devant chanter François Villon. Toutes les chansons de cet album mériteraient d’être citées, mais plus particulièrement Je plains le temps de ma jeunesse, Balade du concours de Blois, Épître à mes amis, Balade pour prier Notre-Dame (où l’accordéon s’identifie aux grandes orgues), Pauvre je suis (superbement mis en musique par Léonardi), Jean Cotart.


MORENO (Dario)

Dario Moreno bénéficie de la vague exotique des années cinquante pour devenir le pendant masculin d’une Gloria Lasso ou d’une Dalida (Eso es el amor, La marmite, Tout l’amour, et Si tu vas à Rio, son plus gros succès). On préfère retenir du chanteur son personnage de Sancho Pança dans la comédie “L’homme de la Mancha”. Le partenaire de Jacques Brel décéda après les représentations bruxelloises, alors qu’il devait reprendre le rôle sur une scène parisienne.


MORETTI (Raoul)

Le compositeur, entre autres succès, de trois des plus gros “tubes” de l’entre-deux guerres : Quand on aime on a toujours vingt ans, La fille du bédouin, Sous les toits de Paris. En y ajoutant En parlant un peu de Paris on remarque que Raoul Moretti possédait une palette mélodique relativement étendue.


MOULIN (Jean-Pierre)

Cet écrivain, poète et journaliste est surtout connu comme étant l’auteur du Chanteur de Charleston (crée par Philippe Clay). Jean-Pierre Moulin a également écrit pour Édith Piaf, Félix Marten, et Serge Reggiani (L’hôtel des rendez moi ça).


MOULOUDJI

Le nom de Mouloudji vient s’ajouter à la liste des interprètes prestigieux (Piaf, Montand, les Frères Jacques, Gréco, Sauvage) qui tiennent le haut du pavé durant les années cinquante. Un âge d’or en quelque sorte pour les interprètes des deux sexes avant que les auteurs-compositeurs-interprètes ne leur disputent ce leadership. Mouloudji crée en 1951 l’une des plus belles chansons de ces années là, Comme un ptit coquelicot (“Le myosotis, et puis la rose / Ce sont des fleurs qui disent quèqu’ chose ! / Mais pour aimer les coqu’ licots / Et n’aimer ça... faut être idiot ! “), sur un texte de Raymond Asso. Trois ans plus tard Un jour tu verras rencontre également le succès. La même année Mouloudji crée (avant Boris Vian) Le déserteur et la trop peu connue Valse jaune. Suivront La complainte de la butte et Mon pote le gitan (deux chansons également défendues par d’autres interprètes) et La complainte des infidèles (“Braves gens, écoutez la triste ritournelle / Des amants errants en proie à leurs tourments / Parce qu’ils ont aimé des femmes infidèles / Qui les ont trompés ignominieusement “). Cette période se clôt en 1961 avec Miséricorde.

Un autre Mouloudji prend le relais dans le milieu des années soixante. Désormais il écrit les textes de ses chansons. Tel le roseau ployant mais ne rompant pas, Mouloudji se rappelle au bon souvenir du public en pleine vague yè yè avec Les Beatles de 40. Sur des musiques de Cris Carol Mouloudji peut donner libre court à sa verve caustique (Autoportrait, Comme dit ma concierge, Tout fout le camp). L’interprète du Déserteur brocarde l’époque, mais il le fait avec la nonchalance qu’on lui connaît, sans trop se prendre au sérieux et en cultivant le cas échéant l’auto-dérision. En reparcourant cette carrière exemplaire force est de constater que l’apparente désinvolture de Mouloudji ne saurait dissimuler le caractère exigeant de l’engagement de l’interprète. Et l’on ne dira jamais assez combien il fallait faire preuve de courage pour chanter Le déserteur en 1954 !


MOUSKOURI (Nana)

Cette chanteuse grecque, de renommée internationale, se fait connaître en France avec Rose blanche de Corfou, puis L’enfant au tambour lui assure la célébrité. Dotée d’une voix agréable, d’un physique de “fille de bonne famille” et portant des lunettes Nana Mouskouri conquiert un public sensible à l’image rassurante de la chanteuse. Son répertoire éclectique comprend des adaptations de Bob Dylan (Adieu Angelina), latino-américaines (Guantanamera, Coucourroucoucou Paloma), grecques (Celui que j’aime), des titres écrits pour elle (L’enfant et la gazelle). La carrière internationale de Nana Mouskouri va prendre progressivement le pas à partir des année 70.


MOUSTAKI (Georges)

Révélé par la chanson Milord (il en signe le texte), Georges Moustaki écrit plusieurs chansons pour Édith Piaf. Son premier 45 tour date de cette époque. Puis Moustaki disparaît pour ainsi dire du devant de la scène (tout en écrivant pour Barbara, Colette Renard, Pia Colombo, Hugues Auffray). Le large écho que rencontrent les chansons écrites pour Serge Reggiani à la fin des années soixante (Sarah, Ma solitude, Ma liberté, Votre fille a vingt ans, Madame nostalgie...) relance la carrière de Georges Moustaki. Un premier 30 cm (précédé d’un 45 tour où figure Le métèque (“Avec ma gueule de métèque / De Juif errant, de pâtre grec / De voleur et de vagabond “, gros succès autant mérité qu’inattendu) consacre l’auteur-compositeur-interprète. Sur cet album figurent les Il est trop tard, Le facteur, La carte du tendre, Le temps de vivre, Joseph, qui vont constituer l’ossature du tour de chant de Moustaki.

Dans cet après 68, la plume de l’auteur se met volontiers au service de la contestation (Sans la nommer, Déclaration, Il y avait un jardin, Chanson cri). On y joindra Requiem pour n’importe qui (“Il est mort de n’avoir su vivre / Quand il fallait vivre à genoux / Noyé de sang, noyé de boue / La mort enfin l’a rendu libre “ : certainement la plus grande réussite de Moustaki dans ce domaine). Il existe parallèlement un Moustaki amoureux de la vie, des rythmes tropicaux et du farniente (son Droit à la paresse fait ici figure de manifeste) qu’incarnent des chansons comme Donne du rhum à ton homme, Bahia, Les eaux de mars. Le titre Les amis de Georges permet de réunir ces deux Moustaki (c’est l’hommage de l’auteur à Brassens : celui dont le modèle, plus que tout autre, aura contribué à faire du jeune homme venu d’Alexandrie l’un des auteurs-compositeurs-interprètes les plus en vue des seventies).


MURAT (Jean-Louis)

L’exercice, celui du Dictionnaire, s’avère difficile avec Jean-Louis Murat. L’obligation faite au rédacteur de s’arrêter l’année 2000 risque de déboucher sur un point d’interrogation. Que peut-on dire de Murat quand des sentiments contradictoires assaillent le malheureux rédacteur ? Il faut dire que Jean-Louis Murat prête le flanc à ce genre de commentaire. Il y a parfois comme un hiatus entre des textes célébrant la nature (de préférence auvergnate) et des musiques plus ou moins rock. Mais écoute-t-on les paroles (pourtant mises en avant par les commentateurs pour signifier l’originalité de l’inspiration de Murat) sur de telles musiques ? La voix monocorde du chanteur n’arrangeant rien. Pourtant, connaissant la suite, le rédacteur peut s’estimer frustré. Il promet d’en dire davantage, dans un siècle, et cela sans point d’interrogation.


Mutins de 1917 (Jacques Debronkart)

Cette chanson est victime de la censure gaulliste en 1967. Il faudra attendre 1998 pour entendre Lionel Jospin (alors Premier ministre) témoigner en faveur de la réhabilitation des mutins de 1917. C’est tout à l’honneur de Jacques Debronkart d’avoir consacré une chanson à ceux qui “n’êtes pas au monument aux morts “, ni “même plus dans les mémoires “. Debronkart ne mâche pas ses mots : “Cet abattoir tenu par la patrie / Cette nationale charcuterie “. Mutins de 1917 a été reprise en 2000 par Serge Utgé-Royo dans son disque “Contrechants... de ma mémoire”. Utgé-Royo rappelle justement (au détour d’un vers de Debronkart : “Comme vos compagnons de la mer Noire “) le refus des marins français de la mer Noire de “faire donner le canon sur les ports ukrainiens” en 1919. Ces mutins-là le paieront par de nombreuses années de forteresse.