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GAINSBOURG (Serge)

Serge Gainsbourg déconcerte. Certains de ses partisans de la première heure l’abandonnèrent en cours de route, alors que d’autres, de plus en plus nombreux, plus jeunes également, en firent le “chanteur phare” de leur génération. Quel est le vrai Gainsbourg ? L’exercice s’avère malaisé. Gainsbourg n’a-t-il pas fait la peau à Serge Gainsbourg pour devenir Gainsbarre ? Cette trouvaille rend encore plus difficile ce coup de projecteur sur le chanteur. La seule façon de rendre compte du “cas Gainsbourg”, plus que d’autres encore, consiste à le suivre de disque en disque. Sinon comment comprendre comment le créateur du Poinçonneur des Lilas en est arrivé aux Love on the beat et You’re under arrest. On distinguera trois grandes périodes dans la carrière de Gainsbourg. La première, celle d’une “rive gauche” qui n’hésite pas à changer de rive le cas échéant ; la seconde, radicalement différente, influencée par la pop anglo-américaine ; la troisième, dans la continuité malgré tout de la seconde, dite “Gainsbarre”.

De 1958 à 1962 Serge Gainsbourg sort quatre 25 cm. Ces quatre disques constituent un tout. On relève une unité de ton qui apparente Gainsbourg au style “rive gauche”. Cela semble justifié en regard des chansons les plus connues de cette période : Le poinçonneur des Lilas (qui fait connaître le chanteur-auteur-compositeur et ressemble à un surgeon tardif de la “chanson réaliste”), La chanson de Prévert (sans doute le titre emblématique du “premier Gainsbourg”, celui qui assoit la réputation de son auteur), ou encore La recette de l’amour fou, Les goémons, L’amour à la papa. Cette liste peut être complétée par des adaptations de poètes : Musset (La nuit d’Octobre : où l’on retient l’interprétation haletante, hachée de Gainsbourg), et Baudelaire (“Le serpent qui danse” déjà mis en musique par Léo Ferré). En revanche cette appellation “rive gauche” parait plus discutable si l’on met en avant la couleur musicale d’une bonne moitié des chansons de ces quatre 25 cm. Le jazz, d’abord, présent dés le premier disque avec Du jazz dans le ravin (une chanson découpée comme un scénario de film noir), ou sur le second (le craquant Claqueur de doigts), ou encore Black trombone sur le quatrième. Gainsbourg utilise aussi des rythmes de mambo, cha cha cha ou des musiques sud-américaines. Dans ce rayon, à coté de curiosités oubliables du genre Mambo miam miam ou Cha cha cha du loup, Viva villa est une incontestable réussite. Le rock apparaît dans le troisième 25 cm à travers deux adaptations de poètes : l’une de Nerval, Le rock de Nerval ; l’autre d’Arvers, Le sonnet d’Arvers. Un rock “intellectuel”, voire parodique, se situant aux antipodes des succès yé yé qui modifient sensiblement le paysage musical de cette année 1961.

Déjà le Gainsbourg que des chansons plus connues ensuite populariseront apparaît durant ces cinq années. La misogynie du “Beau Serge” ne semble pas poser de problème aux interprètes féminines qui reprennent plusieurs titres de Gainsbourg dans leur tour de chant : Michèle Arnaud, la première, puis Juliette Gréco et Catherine Sauvage. Marcel Aymé, au dos de la pochette du premier 25 cm, tape dans le mille en écrivant que Serge Gainsbourg chante “l’alcool, les filles, l’adultère, les voitures qui vont vite, la pauvreté, les métiers tristes. Ses chansons, inspirées par l’expérience d’une jeunesse que la vie n’a pas favorisée, ont un accent de mélancolie, d’amertume, et souvent la dureté d’un constat”. On réalise, en balayant cette époque, combien la langue de Gainsbourg, cette manière de jouer avec et de se jouer des mots, les emprunts faits à un vocabulaire franglais, campe un auteur que l’on reconnaît entre tous. Il manque peut-être un certain charisme au chanteur sur scène pour s’imposer à l’égal des meilleurs auteurs-compositeurs-interprètes de sa génération.

Serge Gainsbourg délaisse en 1962 le format 25 cm pour le 45 t. Deux chansons (Un violon un jambon, Vilaine fille mauvais garçon) appartiennent à une veine “cow boy”. La troisième, L’appareil à sous, est créée en même temps par Brigitte Bardot (et va éclipser la version de Gainsbourg). Quant à la quatrième, la célébrissime Javanaise (la chanson qui réconcilie les gainsbouriens toutes générations confondues), c’est principalement l’interprétation de Juliette Gréco qui la fait connaître. L’année suivante Gainsbourg sort son premier 30 cm. Ce disque est salué par la critique mais le public ne suit pas. Il s’agit du premier de ces “disques concept” qui par la suite déclineront l’un ou l’autre des thèmes chers à l’auteur. Ce “Gainsbourg confidentiel” se distingue par sa couleur musicale jazzique et ne fait appel qu’à deux instrumentistes : le guitariste Elek Bacsik et le contrebassiste Michel Gaudry. Le résultat s’avère à la fois excitant et frustrant. Il s’agit certainement du disque le moins commercial de la carrière de Serge Gainsbourg. L’ascètisme délibéré de la formule musicale n’a pas permis à des chansons de la qualité de Elaeudania Teitéia ou Scenic railway de rencontrer un plus large public. La frustration, toute proportion gardée, étant à mettre sur le compte de quelques uns des accompagnements musicaux “minimaux” du disque. Ceci dit le charme de ce “Gainsbourg confidentiel” (que certains non sans raisons tiennent pour le meilleur du chanteur) opère longtemps après. Sans affirmer pourtant que les “nouvelles générations” qui ont découvert et aimé Gainsbourg à travers Gainsbarre partagent ce sentiment.

En 1964 Serge Gainsbourg sort un second 30 cm, “Gainsbourg percussions”. Tout comme le précédent celui-ci privilégie une couleur musicale : ici ce sont les rythmes afro-cubains et latino-américains qui font le lien entre les chansons de l’album (exceptée Quand mon 6, 35 me fait les yeux doux et Machin choses, qui paraissent échappées du “Gainsbourg confidentiel”). Une partie du public de Gainsbourg fut déroutée par ce climat musical. A la différence de chansons qui auparavant avaient été habillées de cette même étoffe (mais d’un tissus dont le caractère délibérément exotique leur donnait une coloration parodique), celles de ce “Gainsbourg percussions” accordent le texte à la musique (et réciproquement) au point de créer un univers au sein duquel l’habituelle perplexité de Serge Gainsbourg passe au second plan. Ce qui n’empêche pas cet album d’élargir le public du chanteur de de posséder des qualités intrinsèques à l’instar des New York USA et Couleur café.

C’est durant cette période que Serge Gainsbourg commence à écrire une série de chansons pour des interprètes presque exclusivement féminines : Petula Clark (O Shérif ô, Les incorruptibles, La gadoue), France Gall (N’écoute pas les idoles, Poupée de cire poupée de son, Attends ou va-t-en, Les sucettes), Brigitte Bardot (Buble gum, Harley Davidson), Régine (Les petits papiers, Il s’appelle revient, Pourquoi un pyjama), Michèle Arnaud (Les papillons noirs), Anna Karina (Les chansons de la comédie musicale “Anna”). On ne peut nier l’incontestable talent de Serge Gainsbourg à écrire des chansons “sur mesure”. Une telle facilité et une pareille constance dans le succès certes impressionne mais interroge tout autant. Gainsbourg, qui semblait malgré tout affecté par le relatif insuccès de ses derniers disques, prend une revanche par interprètes interposés. En trois ans il va devenir l’auteur-compositeur le plus recherché. Il lui reste à faire fructifier ce capital symbolique pour son propre usage, quitte à “casser” l’image du Gainsbourg plus reconnu par la critique et ses pairs que par le public.

Le 45 t sorti en 1966 lui en donne l’occasion. Il s’agit d’une rupture dans sa carrière. En raison d’abord du climat musical de ce disque, celui du “dernier cri” des studios anglais. Gainsbourg s’éloigne du monde de la chanson dite traditionnelle pour rejoindre l’univers de la pop music. Les textes également témoignent de cette rupture. En mettant de coté Marilu et Sha ba ba loo ba (du niveau de ce que Gainsbourg écrit pour France Gall), Docteur Jekyll et mister Hyde prend acte de cette transformation : “Mister Hyde ce salaud : A fait la peau du docteur Jekyll “. Mais c’est surtout Qui est in qui est out qui enfonce le clou coté “branché” en affichant les nouvelles ambitions musicale de Serge Gainsbourg. Avec le recul ce disque apparaît plutôt daté : les arrangements d’Arthur Greenslade sonnent très “année 66”. Trois mois plus tard les Beatles réalisaient “Revolver”. La comparaison s’arrête là. Le 45 t suivant (1967) représente un compromis entre l’ancien et le nouveau Gainsbourg. Comic strip en apporte l’illustration. Plus significatif (et plus pop) le 45 t sorti en 1968 comprend Black and White, Bloody Jack, Ford Mustang (une histoire d’enfants de la vitesse et du coca cola qui finissent leur séjour terrestre contre un platane : On ne “s’fait pas des langues / en Ford Mustang “ impunément !), et la luxuriante Initials B.B : un texte superbe sur une orchestration haute en couleur d’Arthur Greenslade. Gainsbourg inaugure ici un genre qui deviendra plus tard sa “marque de fabrique” : les textes seront plus dits que chantés (sans pour autant relever de la “veine gothique de Initials B.B).

Le composite album “Birkin-Gainsbourg” se présente comme un disque de transition. Il accueille deux gros succès de Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus et Élisa. Plus ambitieux, le cru 71, “Histoire de Mélody Nelson”, doit être considéré comme le véritable premier “album concept” de Gainsbourg. Il s’agit d’une première variation sur le thème de la nymphette que Gainsbourg déclinera par la suite sous des facettes différentes. L’écriture est raffinée (en particulier Mélody, Hôtel particulier, Cargo culte) et Jean-Claude Vannier, l’arrangeur, contribue à la réussite de ce disque. “Vu de l’extérieur” date de 1973. On peut rester sceptique à l’écoute de cet album (malgré Je suis venu te dire que je t’aimais). Pour la première fois Gainsbarre pointe le bout de son nez (on pourrait d’ailleurs remplacer “nez” par un autre mot pour rester dans le ton de ce disque). Les trouvailles ne manquent pas : Sensuelle et sans suite, par exemple. La misogynie du premier Gainsbourg “passait” pour les mêmes raisons qui permettraient d’amender un Brel, par exemple. Ici non. La réponse dépassant le cadre de ce disque, on y reviendra.

Et si le controversé “Rock Around the Bunker” s’avérait être le meilleur disque de Serge Gainsbourg ? Cet album jubilatoire fit grincer quelques dents lors de sa sortie en 1975. Il existe d’autres façons de traiter du nazisme, bien entendu. Mais pourquoi s’interdire d’en rire (par la dérision) ? Sur un rythme entraînant, très boogie boogie, Nazi Rock donne le ton. J’entends des voix off et Est-ce est-ce si bon (traduire S.S. si bon) témoignent de la virtuosité d’un Gainsbourg dans la plénitude de ses moyens. Toutes les rimes de la seconde seraient à citer : “Si c’est depuis l’Anschluss que sucent / Ces sangsues le juif Suss “, par exemple. Seul un juif pouvait se permette de l’écrire. Cela vaut également pour cette Yellow star d’un humour d’ébène (“J’ai gagné la Yellow star / Je porte la Yellow star / Difficile pour un juif / La loi du Struggle for life “); Enfin S.S. in Uruguay brode sur le thème “que sont les nazis devenus”. Au final un disque salutaire et exemplaire : Serge Gainsbourg au sommet de son art. L’année suivante le chanteur sort un autre “disque concept” dans la lignée de “Mélody Nelson” : “L’homme à la tête de choux”. Mélody est un peu plus âgée et s’appelle ici Marilou. L’album qui s’ouvre sur la chanson-titre, “Je suis l’homme à la tête de chou / Moitié légume moitié mec “ culmine dans un somptueux Variations sur Marilou, nec plus ultra de ce “Gainsbourg gothique” repéré chez Initials B.B, que “L’histoire de Mélody Nelson” prolongeait, et qui trouve dans “L’homme à la tête de chou” son expression la plus achevée.

Durant ces années 70 Serge Gainsbourg écrit tous les albums de Jane Birkin, et de nombreux textes de chansons pour Alain Chamfort et Jacques Dutronc. Il continue d’écrire pour Jane Birkin pendant les années 80. Des comédiennes (Deneuve, Adjani) sortent chacune un disque écrit par Gainsbourg, tout comme Vanessa Paradis au début de sa carrière. A noter également la collaboration Bashung-Gainsbourg sur l’album “Play blessures”.

Dernière période : Gainsbarre. Celle de la naissance d’un mythe. Un Gainsbourg glorifié par les uns et vilipendé par d’autres. Quatre albums couvrent cette période. Les deux premiers, “Aux armes et caetera” et “Mauvaises nouvelles des étoiles” font appel à une orchestration reggae. Là où certains évoquent un renouvellement musical d’autres trouvent cet habillage reggae plutôt monotone. Dans “Mauvaises nouvelles des étoiles”, Ecce Homo (qui signe officiellement la naissance de Gainsbarre) reste le meilleur autoportrait de l’intéressé. Gainsbourg va ensuite chercher son inspiration du coté de New York pour réaliser ses deux derniers albums (plus réussis sur le plan musical) : “Love on the beat” et “Youre under arrest”. Ces deux disques peaufinent, en particulier dans No comment, l’image du Gainsbourg des albums reggae. Rien de bien nouveau sous le soleil si ce n’est l’inattendue Au enfants de la chance qui, partant d’un sujet “casse gueule”, démontre l’étendue du savoir-faire de Serge Gainsbourg.

D’aucuns considèrent cette dernière période comme étant la plus riche et la plus significative de l’épopée gainsbourienne. On le discutera. La volonté affichée de rendre compte de cette oeuvre selon l’ordre chronologique trouve ici une limite. Si le Gainsbourg d’avant Gainsbarre y répond, ce dernier en revanche évacue en partie le commentaire sur l’oeuvre proprement dite au bénéfice du biographique. Ce qui revient à dire que le personnage Gainsbourg (le provocateur, le séducteur, l’enfant terrible et chéri des médias, le couturier “es chansons” de ces dames, l’ex compagnon de Jane Birkin, le bon père de famille, l’ami des flics de son commissariat, le fumeur de havane, l’alcoolo, etc.) prend le pas sur le Gainsbourg chanteur. Ce personnage, un véritable mythe vivant, va se trouver réinjecté à fortes doses dans un répertoire devenant au fil des albums une paraphrase du dit personnage. Certes la relation de l’homme à l’oeuvre (ou le contraire) peut fasciner. Cependant la création d’un “mythe Gainsbourg” emprunte des chemins bien différents de ceux de la “solitude de l’artiste”. C’est l’air du temps qui bat ici la mesure. On pouvait déjà au début des seventies repérer un “fils de pub” chez Gainsbourg. L’intéressé donnait sa voix et l’une de ses mélodies (extraite de “L’histoire de Mélody Nelson”) pour promouvoir une marque d’apéritif : ce single passant plusieurs fois par jour sur les ondes des radios périphériques. Ensuite la tendance s’emplifiera. Gainsbourg deviendra l’une des icônes du monde publicitaire.

Serge Gainsbourg, en raison de son audience dans les années 80, est l’un des principaux artisans de l’évolution de la chanson vers la fin du XXe siècle. Celle qui tend à prendre le pas sur la chanson auparavant illustrée par les “grands” du genre attache plus d’importance à la musique qu’aux textes, quand ceux-ci privilégient le jeu sur les mots au détriment du contenu ou d’une narration. Le beau Serge, dans cette histoire, a été un révélateur et un catalyseur. C’est également le premier chanteur d’importance dont l’accession au premier plan ne doit rien à la scène. On pourrait en tirer divers enseignements. Pourtant, afin de revenir sur cette évolution, ne brouille-t-elle pas les lignes entre la chanson et la variété ? Entre ceux qui dénoncent à travers le personnage une société du spectacle qui n’en finit pas de recycler ses déchets, et ceux qui ’idolâtrent Gainsbourg à l’instar d’un Coluche on aimerait ne parler que du chanteur et de son répertoire. Mais est-ce encore possible ?

GALL (France)

La carrière de France Gall se partage entre deux périodes bien distinctes. Entre 1963 et 1968, cette jeune fille d’allure sage, fille du parolier Robert Gall, incarne, à travers des chansons qu’une équipe de “bonnes fées” (papa, Datin et Vidalin, Serge Gainsbourg, Joe Dassin...) écrit sur mesure pour son petit filet de voix, une adolescente type de ces années là : Mes premières vrais vacances, N'écoute pas les idoles, Laisse tomber les filles, Sacré Charlemagne, Christiansen, Poupée de cire poupée de son, Les sucettes, Bébé requin, sont classées au hit parade. Après une éclipse de plusieurs années France Gall retrouve la voie du succès en 1973 avec La déclaration. La première d’une série de chansons toutes écrites et composées par son pygmalion de mari Michel Berger : Musique, Il jouait du piano debout, Résiste, Débranche, Babacar, Ella elle l’a.


GARAT (Henri)

Henri Garat commence une carrière de chanteur dans le milieu des années vingt. Pourtant c’est le cinéma parlant qui lui permettra de rencontrer un large public avec le succès de Avoir un bon copain, En parlant un peu de Paris et C’est un mauvais garçon, son cheval de bataille.


GASTÉ (Loulou)

Ce compositeur, ancien guitariste dans l’orchestre de Ray Ventura, est d’abord influencé par le jazz (Avec son Ukulele, Elle était swing, Luna Park, Battling Joe, Le rythme américain) avant de se consacrer principalement au répertoire de son épouse, Line Renaud (Ma cabane au Canada, Le chien dans la vitrine, Le bal aux Baléares, Printemps d’Alsace).


GENÈS (Henri)

Fantaisiste pas trop dans le genre léger, Henri Genès a promené sa carrure de pilier de rugby, sa faconde et sa bonhomie sur les scènes de music-hall des années cinquante. Il s’est surtout illustré dans la rubrique “exotique” avec La Tantina de Burgos, Fatigué de naissance et surtout Le facteur de Santa Cruz (“Ohé les muchachos / Voici les PTT “), dont on cite ci-dessous le fameux calembour final, certainement l’un des plus mauvais de l’histoire de la chanson : “Vos biberons sont prêts / Je veux la paix, tétez “.


GEORGE (Yvonne)

Un contemporain pourrait s’étonner des controverses et des polémiques suscitées par Yvonne George durant les années vingt. Les uns la sifflaient et la conspuaient, tandis que d’autres, à l’instar des Jeanson, Cocteau, Maeterlink, Desnos, la célébraient. La voix de “la reine du Boeuf sur le toit” n’a pas le volume, ni l’assurance d’une Emma Liebel, par exemple, et son répertoire ne peut rivaliser avec celui des Damia, Frehel ou Oswald, pour ne citer que ces dernières. Il nous manque cependant la dimension de la scène pour apprécier à part entière celle que l’on appelait aussi “la tragédienne lyrique de la chanson”. Pourtant en l’écoutant, et en la réécoutant nous réalisons combien cette chanteuse pouvait se transformer d’un titre à l’autre jusqu’à faire douter l’auditeur de l’identité de la chanteuse. Yvonne George habite littéralement les chansons de son répertoire : son interprétation de Pars (la plus connue d’entre elles) devient bouleversante quand la voix, dans un second temps, se met à murmurer entre les larmes la perte de l’être aimé. Dans un tout autre genre, Yvonne George (avec Valparaiso qu’elle chante gaillardement) inaugure ces “chansons de marins” si présentes dans l’entre-deux-guerres.

L’alcool, la cocaïne, l’opium usèrent prématurément “la plus discuté et la plus indiscutable” (Jean-Christophe Averty) des chanteuses. Yvonne George meurt en 1930 dans un hôtel de Gênes à l’âge de 33 ans. D’après la légende, le plus fervent de ses admirateurs, Robert Desnos, était à son chevet. Yvonne George inspira au poète les “Poèmes à la mystérieuses” (chants de l’amour malheureux, parmi les plus beaux écrits par Desnos). Auparavant, dans l’un des deux articles que le poète consacra à la chanteuse, Desnos écrivait : “Il a suffit qu’elle chante pour que nous prenions conscience de notre lâcheté amoureuse, de l’absence intolérable du pathétique dans notre vie”.


GEORGIUS

Le talent de celui que l’on appelait “l’amuseur public N° 1” s’exerce au dépens des modes ou des travers relevés par Georgius dans la période de l’entre-deux-guerres. Cette veine satirique reste cependant dans un registre “bon enfant” : Triste lundi, Le fils père, Jacky apprend le charleston, Mon heure de swing. Georgius excelle dans la description de situations cocasses, voire loufoque quand le trait se trouve accusé par la verve de l’écriture (La plus bath des javas, Au lycée Papillon, Ça c’est d’la bagnole).

L’abondante production de Georgius contient deux “curiosités”. La première, La noce à Rébécca, flirte avec l’antisémitisme propre aux années 20 et 30. Georgius joue même sur deux tableaux dans le dernier couplet (“L’oncle Schwartz offrit des cigares / Monsieur Smoutz en prit un dar’ dar’ / Mais il dit au moment d’fumer / “J’ai l’bout qu’est pas coupé ! “ / L’pèr’ Mayer cria très fort / “Pas coupé ! C’est tragique / Foutez-moi c’t’homm’ là dehors / C’est un sal’ catholique ! “”). La seconde, créée en 1939 (il faut le préciser), Il travaille du pinceau, est consacrée à Adolf Hitler ! Ce portrait à charge, plutôt réussi, mériterait d’être amputé d’un couplet par trop germanophobe. L’ultime refrain nous fait entendre un son de cloche peu habituel dans la chanson française du moment (“Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! / Il travaill’ du pinceau / Il a besoin, ce gros soufflé / D’être un peu dégonflé / Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! / Il le sera bientôt / Et nous grav’rons sur son tombeau / Ci-gît un beau salaud / Trala la la la / Sous les roses ! “). D’aucuns l’avaient sans doute oublié à la Libération lorsque l’on reprocha à Georgius une trop grande présence sur les scènes de music-hall durant l’Occupation. Ce qui n’avait rien de très original dans une profession ou seule une minorité d’interprètes avait choisi de s’expatrier ou de ne pas se produire en public et sur les ondes de Radio-Paris. Georgius mettra un frein à sa carrière de chanteur pour écrire des romans policiers.


GÉRARD (Danyel)

Danyel Gérard, premier “vrai” chanteur de rock dans l’hexagone (D’où reviens-tu Billie Boy en 1958), connaît le succès en 1962 avec Petit Gonzalez. Il s’ensuit une période faste pour le chanteur (Memphis Tennessee, D’accord d’accord, Il pleut dans ma maison) durant laquelle Gérard écrit également pour Richard Anthony, Marie Laforêt et Hervé Vilard. Après s’être fait oublier quelques années, Danyel Gérard revient en force l’année 1969 avec Butterfly (chanson qui, c’est à souligner, remporte davantage de succès au Royaume Uni qu’en France !) : Gérard arbore pour l’occasion la barbe et le chapeau qui populariseront quelque temps sa silhouette. Pour les chansons c’est une autre histoire.


GÉRARLD (Frank)

Ce parolier, un temps associé avec Pierre Delanoé, écrit depuis le début des années cinquante mais se fait surtout connaître à travers ses adaptations de chansons anglo-américaines (pour Richard Anthony principalement). Parallèlement il écrit pour Nana Mouskouri (Roses blanches de Corfou), Mireille Mathieu (Qu’elle est belle), Régine (Mille fois par jour), Les parisiennes (Il fait trop beau pour travailler). On oublie parfois qu’il a signé les textes de plusieurs chansons du “premier Polnareff (La poupée qui fait non, Love me please love me, Sous quelle étoile suis-je né, Ta ta ta ta).


GILBERT (Yves)

Après quatre 45 t en duo (“Yves et Patricia, la future Guesh Patti), Yves Gilbert rencontre Serge Lama. Il va composer les chansons des premiers disques du chanteur (Les ballons rouges, Le temps de la rengaine, D’aventures en aventures, Une île) avant de laisser la place à Alice Dona. Les deux compères collaboreront à nouveau à l’occasion d’un oubliable “Napoléon”. Yves Gilbert a également composé pour Nana Mouskouri, Isabelle Audret, Juliette Gréco, Marie Laforêt.


GILLES ET JULIEN

Dans ces riches (plus qu’on ne le croit) années trente, le duo formé par Gilles et Julien mériterait d’être reconnu à l’instar des Pils et Tabet ou Charles et Johnny (deux autres duo qui sont pourtant loin d’égaler le premier). Gilles et Julien, venus du théâtre (et le meilleur, celui de Copeau), utilisent l’expérience acquise du temps des Copiaux pour présenter un tour de chant théâtralisé qui, précise Christian Marcadet, “repose sur une gestuelle évocatrice basée sur le mouvement, la structure, les enchaînements et les ruptures”. La génération de l’après guerre, plus particulièrement celle de Saint-Germain-des-Prés, s’en inspirera : les Frères Jacques, bien entendu, mais aussi les Quatre Barbus, et les duettistes Marc et André. Gilles (Jean Villard) a signé une partie des chansons du répertoire du duo. Dans la filiation des Bruant et Montehus il inaugure cette lignée d’auteurs-compositeurs qui se fera connaître dans les cabarets de la fin des années quarante et au début de la décennie suivante.

Dans un répertoire qui fait la part belle aux chansons de marins et au corpus “traditionnel” (en réinventant le cas échéant ce dernier avec Le chemin des écoliers), l’accent doit être mis sur la dimension de critique sociale et contestataire de nombreuses chansons. L’incontournable Dollar, bien évidemment, mais également Tout est foutu (où nos duettistes brocardent l’époque), 20 ans (“Le peuple gronde sourdement / Pour le calmer : des boniments / On inaugur” des monuments / On lui fout de beaux enterr’ments / Gloire et fric ! / Honneur et patrie ! / Marchands d’médaill’s et d’orvietan / Les goss’s derrier’, les mots devants / Nom de dieu ! Si ça c’est la vie / Mesdam’s, messieurs, mes chers parents / La vie ne nous fait pas envie / Fallait nous laisser dans l’néant “), censurée par la Columbia, leur maison de disque. Cette dimension sociale passe généralement par le filtre de l’humour comme dans En serez-vous ?, même si l’aspect résolument critique reprend le dessus dans le dernier couplet (“Comm’ des moutons, comm’ des ânes / Nous nous laissons bourrer le crâne / Par tous les journaux bien-pensants / Pour lesquels c’qui compte dans la vie / C’est le sabre et l’académie / Les vieill’s barb’s, les beaux enterr’ments / Pour sauver notre pauvre monde / Des raseurs, des sabreurs, des fous / Qui détraqu’nt la machine ronde / En serez vous ? “), ou dans Parlez moi pas d’amour (une réjouissante parodie de la chanson immortalisée par Lucienne Boyer). Cette liste comporte des chansons que Gilles n’a pas écrites, telles Jeu de massacre (dont on peut préférer l’interprétation de Marianne Oswald), Hommes 40... chevaux 8 (de Michel Vaucaire et Yvan Derriers), et Familiale, l’un des premiers Prévert / Kosma gravés dans la cire (mais non commercialisé parce que censuré par la Columbia).

Plus que tout autre interprète des années trente, Gilles et Julien restent associés au Front populaire. Lors du meeting syndical célébrant le premier anniversaire des accords de Matignon le duo clôtura la fête devant 20 000 personnes. Auparavant, plusieurs milliers de “petits formats” de la chanson La belle France avaient été distribués par les organisations syndicales sur la voie publique en mars et avril 1936. Cette chanson qui fait figure d’hymne du Front populaire au même titre que Au devant de la vie tente de concilier genre traditionnel et contenu social (“Sur la Bastille a sauté / La Carmagnole danse ! / Citoyens ! / La riguebondé ! / Salut et fraternité ! / Vive l’espérance ! / Le soleil faisait monter / La bonne semence / Mais les gros rats empestés / Ceux de la finance / Et leurs féodalités / Oh, la sinistre engeance ! / Ont corrompu la cité / La rigue, la riguedongué ! / Vive la rose rouge / Et le joli bleuet / A mon bouquet j’ajoute / Un peu de blanc muguet “). Il manque cependant la causticité des Dollar, Tout est foutu, 20 ans, et En serez-vous ?

Gilles et Julien se séparent à la fin de l’année 1937. Gilles remonte des duos : avec Édith Burger pendant l’Occupation (en Suisse), et ensuite Albert Urfer dans l’après-guerre. En 1938 Gilles avait enregistré en solo plusieurs chansons, dont une Bourrée du diable qui relègue La java du diable de Trenet au rang de bluette. Le diable, après de réjouissantes mésaventures sur cette terre (sont évoqués Tardieu, Mussolini et Hitler), s’aperçoit horrifié que l’enfer c’est... sur la terre, et se suicide ! Voilà le Gilles qu’il conviendrait de retenir et non l’auteur de l’insubmersible Les trois cloches (chanson dont on a oublié qu’elle appartenait aux parodies “dans le genre vaudois” commises par Gilles, alias Jean Villard).


GIRAUD (Hubert)

Ce compositeur, doué assurément, a traversé des époques différentes avec une égale maestria. Membre de l’orchestre de Ray Ventura à partir de 1941, Hubert Giraud commence à composer en 1950. L’une de ses premières compositions, Sous le ciel de Paris, remporte un grand succès. Giraud va travailler les années suivantes pour de nombreux interprètes (dont Édith Piaf avec Mea culpa, Les grognards). Vers la fin de la décennie Hubert Giraud devient le compositeur le plus recherché du moment : Dors mon amour (André Claveau), Buenas noches mi amor, Les gitans (Dalida), Je te tendrai les bras (François Deguelt), L’arlequin de Tolède (les Compagnons de la chanson), Oui oui oui oui oui oui oui (Sacha Distel) atteignent les premières places du hit parade. La vague yé yé n’emporte nullement Hubert Giraud qui compose alors Pauvre petite fille riche pour Claude François. Puis viennent La tendresse (Bourvil), Il est mort le soleil, Mamy blues (Nicoletta), L’enfant et la gazelle (Nana Mouskouri), Parlez moi de lui (Nicole Croisille). Le meilleur ou le plus digne d’attention chez Hubert Giraud n’est pas le plus connu. En 1964 il compose cinq des huit chansons du second 33 tour de Claude Nougaro (dont Sensuel, La marche arrière, Les petits bruns et les grands blonds, et la méconnue Regarde moi). On retiendra d’autres chansons dans ce disque (Je suis sous, Y’avait une ville), mais les premières contribuent à lui donner sa colonne vertébrale : Giraud s’adaptant non sans bonheur au style Nougaro (sans parler des musiciens de ce 25 cm, qui tirent ces compositions vers le haut).


GIRAUD (Yvette)

Tard venue dans la chanson, Yvette Giraud obtient un premier succès en 1946 avec Mademoiselle Hortensia. D’autres suivront : Ma guêpière et mes longs jupons, Avril au Portugal, Les lavandières du Portugal, Maman la plus belle du monde. Yvette Giraud reprend également dans son tour de chant de nombreux succès des années cinquante. Cela ne sera pas ensuite étranger à la poursuite de la carrière internationale de “Mademoiselle Hortensia”, principalement au Japon.


GLANZBERG (Norbert)

Ce musicien juif d’origine polonaise doit fuir l’Allemagne en 1933. Il s’installe en France, travaille comme accompagnateur et entame à partir de 1938 une carrière de compositeur de chansons, interprétées principalement pas Lys Gauty. Après la Libération, Glanzberg reprend ses activités musicales. Il compose deux chansons qui vont devenir de gros succès : Padam padam, pour Édith Piaf, et Les grands boulevards pour Yves Montand. Ces deux interprètes étant plus tard les créateurs de Mon manège à moi, un troisième succès. On ajoute à cette liste Ça c’est d’la musique, créée par Colette Renard. A partir des années 80, Norbert Glanzberg revient à ses premières amours, la composition classique.


GLASER (Denise)

Cette productrice et présentatrice de télévision (les années 60 et une partie des années 70) avait fait de son émission Discorama le rendez-vous incontournable des amateurs de la chanson sur le petit écran : en raison des compétences de Denise Glaser dans le genre, de la qualité de ses interviews, de l’intelligence de ses interventions, et de sa capacité à débusquer chez des interprètes encore peu connus l’un ou l’autre des talents de demain. Il y eut ainsi des moments de grâce avec quelques uns des personnages essentiels ou marquants de la chanson française de ces années-là. L’empathie dont usait parfois Denise Glaser n’y étant pas étrangère. Cette productrice a été dans le domaine de la chanson ce que l’on appelle un “passeur”. Elle a également contribué à défendre le meilleur de cette dernière auprès d’un large public. Enfin, à l’aune de ce que sont devenues les émissions dites de variété à la télévision, où l’esbroufe le dispute à la bêtise, à la médiocrité, à la complaisance et à la forfanterie, on mesure tout ce qui sépare les silences de la Glaser de cet infâme brouet de fin de siècle dont on abreuve le téléspectateur.


GLENMOR

En chanson, la Bretagne dans ce qu’elle a de mieux s’appelle Glenmor (n’en déplaise à quelques critiques parisiens chichiteux). Avec sa voix taillée dans le granit, son verbe haut (voire hautain), et sa parole de prophète fustigeant les princes, les puissants et la cléricature, ce barde breton a tracé un chemin de colère “parmi les solitudes des villes et des champs et des monts perdus”. Cette colère n’épargne évidemment pas Paris dans Sodome (“Sodome c’est Paris et Paris c’est la France / l’on y crève à genoux et l’on y vit tout pareil “). Glenmor s’y emporte en des termes que notre époque réprouve : “Les couples heureux qui passent à l’histoire / ont de Cocteau l’esprit / de Jean Marais la virilité “. Certains diront que la colère est mauvaise conseillère. Nous répondrons qu’il faut prendre Glenmor tel qu’il est, avec ses emportements et ses outrances. On peut en revanche déplorer que François Rauber n’ait pas été inspiré dans les orchestrations du disque “Cet amour-là” (où figure Sodome) : c’est l’une des rares fausses notes de ce grand arrangeur.

On retrouve des accents ferréens dans les imprécations de Glenmor : du monologue de Princes entendez bien à Vivre (“L’hexagone a ses morts et beaucoup sont bretons / le onze novembre est chez nous fête nationale / j’accuse les églises qui roulent tout l’or du pactole / de givrer tout homme et d’en faire un couillon “). La Bretagne que chante le barde breton c’est aussi cette terre que souille une boue très contemporaine. Glenmor a su trouver les mots les plus justes, c’est à dire ceux de la poésie, pour traduire en chanson l’une des plus importantes catastrophes écologiques de la seconde moitié du XXe siècle : “Ils sont venus les temps / où l’argent du connétable / achète la mer à l’ancan / et pour qu’injuste soit la fable / la noire marée brise l’envol du goéland “.


GODEWARSVELDE (Raoul de)

Ce géant lillois, à la voix caverneuse et éraillée, est principalement associé à la chanson traditionnelle du nord de la France. Raoul de Godewarsvelde reprit également dans son répertoire des chansons du début du siècle, telle L’hirondelle du faubourg. Un titre cependant, plus que d’autres, aura contribué à le faire connaître en dehors des “frontières” du Nord-Pas-de-Calais, ou encore de la Picardie : Quand la mer monte de Jean-Claude Darnal : “Quand la mer monte / J’ai honte, j’ai honte / Quand elle descend / Je l’attend “.


GOLDMAN (Jean-Jacques)

Par moments l’auteur des pages d’un “Dictionnaire de la chanson” n’échappe pas à la perplexité. On lui certifie que Jean-Jacques Goldman serait l’une des personnalités préférées des français, et par conséquent l’un des chanteurs les plus appréciés et les plus populaires (les professionnels de la profession ne l’ont-ils pas élu en 2005 “artiste masculin de ces 20 dernières années”). A vrai dire, nous n’avons (comme c’est le cas pour de nombreux autres chanteurs ou chanteuses) rien contre lui, ni pour non plus. La question traitant d’une “nouvelle forme d’engagement” apparue durant les années quatre-vingt a été abordée dans l’introduction de ce Dictionnaire. On se contentera de citer ici le propos suivant, tenu par Jean-Jacques Goldman sur Georges Brassens : “En plein milieu de cet hommage à l’anarchiste Brassens, j’apprends qu’il a fait le STO où il a fabriqué des moteurs d’avion. Là je ne lui reproche rien, personne n’est tenu d’être un héros ! Mais quand après la guerre, alors que des résistants se sont battus, se sont fait torturer et fusiller, pour que monsieur Brassens puisse reprendre sa guitare, chanter que toutes les idées se valent, alors oui, je trouve ça obscène”. Voilà qui ne risque pas d’infirmer notre point de vue. Et l’essentiel, nous répondra-t-on, le chanteur (et auteur-compositeur) ? Nous voulons bien admettre qu’il existe des nuances dans le fade. Mais nous laissons le soin à d’autres, plus compétents en la matière, plus concernés par le personnage, d’apporter toutes les précisions nécessaires.


GOLMANN (Stéphane)

Stéphane Golmann est l’un des grands oubliés du siècle. Il est vrai que ses deux chansons les plus célèbres (Actualités, sur un texte d’Albert Vidalie, et La Marie-Joseph) sont surtout surtout connues dans les versions de Yves Montand pour la première, et des Frères-Jacques pour la seconde. Stéphane Golmann entame une carrière de chanteur-auteur-compositeur juste après la guerre. Il est l’un des premiers à s’accompagner avec une guitare. Son timbre de voix grave et chaud, et son style d’interprétation font de ce chanteur l’un des parangons de la rive gauche. D’ailleurs quelques uns de ses chansons (La petite existentialiste, Les prés à Saint-Germain) témoignent in situ de cette appartenance. Il y a chez Golmann une ironie distante, une cocasserie souriante ou une manière de mettre les pieds dans le plat qui le distinguent de ses pairs. Il parait dommage, voire scandaleux que des chansons comme Le cheval dans la baignoire, Les Juifs, La conscience, ou L’abus de confiance ne puissent faire l’objet d’aucune écoute sur disque en ce début de XXIe siècle !


GORAGUER (Alain)

On distingue deux Goraguer (et même un troisième, le compositeur de nombreuses musiques de film). D’abord le complice de Boris Vian : il écrit les musiques de La java des bombes atomiques, Je bois, Le petit commerce, La complainte du progrès, Fais moi mal Johnny (Goraguer participe également à l’aventure “Henri Cording” en compagnie de Vian, Salvador et Michel Legrand). Ensuite l’arrangeur (peut-être le plus demandé dans la seconde moitié des années soixante), entre autres, de France Gall, Juliette Gréco, Adamo, Nana Mouskouri, Boby Lapointe, Georges Moustaki, Serges Reggiani, les premiers Gainsbourg, et surtout Jean Ferrat (depuis Deux enfants au soleil), dont les chansons se trouvent particulièrement mises en valeur par les arrangements musicaux d’Alain Goraguer (surtout l’album “Potemkine”, en en extrayant Raconte moi la mer, une éclatante réussite orchestrale).


GOUGAUD (Henri)

Le conteur ferait malheureusement de l’ombre au chanteur et auteur-compositeur, parmi les meilleurs de sa génération : Paris ma rose (reprise par Serge Reggiani en 1968), mais aussi Béton armé, Le temps de vivre (“A peine a-t-on le temps de vivre / On se retrouve cendre et givre “). Henri Gougaud a également été chanté par Gribouille, Juliette Gréco, Lise Médini, Marc Ogeret. Une collaboration entamée avec Jean Ferrat en 1967 avec Cuba si (certes pas le meilleur Gougaud !), se poursuivra durant plusieurs années (Au point du jour, La matinée, d’une autre confection). La carrière de Gougaud chanteur couvre les années 60 et le début de la décennie suivante. Un disque sorti en 1972 (“Chants d’amour et de colère occitans”) peut faire le lien entre les deux Gougaud. Parmi ces poèmes, adaptés de l’ancien occitan et mis en musique par Henri Gougaud (et Jean Bertola), citons ce diamant noir, Ma dette envers Dieu (“Dieu à moi ne m’a rien donné / Qu’une âme que je lui rendrai “, et Chanson de l’amour lointain (“Mais mon désir m’est ennemi / Mon parrain me l’avait promis / Je ne puis aimer que rebelle “).


GOUIN (Fred)

L’interprète des Elle a perdu son pantalon et autre Charmaine, s’est ensuite durant les années trente spécialisé dans la reprise de titres du répertoire d’avant guerre (La chanson des blés d’or, Le mouchoir rouge de Cholet, La chanson des heures, Les petits pavés, Le temps des cerises).


GOYA (Chantal)

Jeune chanteuse yé yé dans les années 60, Bernard étant son titre le plus connu : “C’est bien Bernard le plus veinard, de la bande “ (on peut entendre des extraits de ses chansons gentiment débilettes dans “Masculin Féminin” de Godard), Chantal Goya, coachée par son mari Jean-Jacques Debout, va se spécialiser vers le milieu des années 70 dans les spectacles pour enfants (autour des figures de Bécassine, Mickey, Cendrillon, Tintin, Pinocchio, Babar, Guignol... : cherchez l’erreur !).


Le grand Pan (Georges Brassens)

Ce très grand cru de l’année 1964 reste inconnu du grand public. Brassens y oppose deux conceptions du monde. Dans la première, “Du temps que régnait le grand Pan / Les dieux protégeaient les ivrognes “, “la moindre amoureuse avait tout de Vénus “, et “C’était presque un plaisir de rendre / Le dernier soupir “. Dans la seconde, depuis l’avènement de “la bande au professeur Nimbus “ : “Bacchus est alcoolique “, “Vénus s’est faite femme “, et “la tombe est hélas ! la dernière demeure “. En résumé : les dieux ne répondent plus des ivrognes, des amoureux et des morts. Cette chanson atteint une grandeur véritablement métaphysique dans le dernier couplet. On le cite en entier : “Et l’un des derniers dieux, l’un des derniers suprêmes / Ne doit plus se sentir tellement bien lui-même / Un beau jour on va voir le Christ / Descendre du Calvaire en disant dans sa lippe / Merde ! je ne joue plus pour tous ces pauvres types ! / J’ai bien peur que la fin du monde soit bien triste “.


La grande farce (Leny Escudero)

C’est ce que l’on pourrait appeler “une exercice de corde raide”. D’un format inhabituel (cette chanson dépasse les 7 minutes), La grande farce traite de l’un des thèmes les plus célèbres de la légende chrétienne : la passion du Christ. Leny Escudero en fait un personnage ambivalent, hésitant entre le refus du rôle (“Arrêtons maintenant et dis leur s’il te plaît / Oui, dis leur qu’ils me laissent m’en retourner chez moi “), la révolte (“Je vais te faire honte et me pisser dessus / Non ce n’est pas Judas qui m’a trahi le plus / Même trente deniers, la pauvreté est garce / Judas criait famine, Judas marchait pieds nus / Mais toi, dis toi, c’est pour la sainte farce ), la résignation (“Je vais dire les mots, tous les mots que tu veux / Je vais jouer le jeu, je vais faire le signe / Pour que le feu enfin me délivre du feu “, et l’une et l’autre intimement liées (“Soit maudit, soit maudit jusqu’à la fin des temps / Non, te te jure, je n’ai pas dit cela “). Leny Escudero chante avec ses tripes (la mélodie, un envoûtant tango, y participe). Sa voix, plus rauque que jamais, se brise tout à la fin sur le mot “croix” dans un rire de corbeau.


GRANGE (Dominique)

Après un premier 45 tour en 1963, suivi d’un autre, Dominique Grange devient la collaboratrice de Guy Béart pour l’émission “Bienvenue”. Un troisième 45 tour marque la fin de cette époque. En 1968 la chanteuse prend fait et cause pour le mouvement de mai. Elle sort en juin un disque-tract sur les “événements” (Grève illimitée, Chacun de vous est concerné, La pègre). Dominique Grange rejoint ensuite la Gauche Prolétarienne et devient la “chanteuse officielle” du groupe maoïste (Les nouveaux partisans : “Nous sommes les nouveaux partisans / Francs tireurs de la guerre de classe / Le camp du peuple est notre camp “). Son engagement embrasse ensuite d’autres causes, dont celle du Chili sous le joug pinochiste.

Les limites de Dominique Grange sont celles de la “chanson militante”. Même si cette chanteuse s’est fourvoyée un temps avec le maoïsme, elle n’en fait pas moins partie, pour parler comme Jean Vasca, “de ceux qui n’ont jamais trahi”. Il parait bon de le rappeler sachant ce que sont devenus ses anciens compagnons de la GP.


GRÉCO (Juliette)

Juliette Gréco entame une carrière de chanteuse en 1950 par Si tu t’imagines, puis, dans la foulée, enchaîne avec La rue des Blancs manteaux, Je suis comme je suis, La fourmi. On reconnaît qu’il existe pire comme débuts (surtout quand les auteurs s’appellent respectivement Queneau, Sartre, Prévert et Desnos, et le compositeur Kosma !). La “muse de Saint-Germain-des-Prés”, alors adoubée par les intellectuels de la rive gauche (et détestée des conformistes et bien-pensants), élargit ensuite son territoire avec Je hais les dimanches, Les feuilles mortes, Sous le ciel de Paris, puis sa carrière oscille entre cinéma et chanson (une période durant laquelle elle reprend Paris canaille, Le diable, Coin de rue). Vers la fin des années cinquante Juliette Gréco revient définitivement à la chanson. Elle interprète un jeune auteur, Guy Béart (Chandernagor, Qu’on est bien), et René-Louis Lafforgue (La fête est là). Puis viennent les années soixante, l’embellie : Gréco crée les chansons qui vont constituer le socle de son répertoire (La cuisine, C’était bien, Paname, Accordéon, Les canotiers, La fête aux copains, Jean de la providence de Dieu, Marions-les, Vieille, Un petit poisson un petit oiseau, Déshabillez-moi, J’ai le cœur aussi grand; Les pingouins, plus deux reprises de Brel, La chanson des vieux amants, J’arrive). En gardant pour la bonne bouche trois chansons que Juliette Gréco aura marqué de son interprétation au point de surpasser celles des Béart, Ferré et Gainsbourg - excusez du peu ! : à savoir Il n’y a plus d’après, Jolie môme, La javanaise (trois interprétations où la diction, la musicalité et l’attention portée à chacun des mots sont confondantes).

Il paraissait difficile de rester sur de tels sommets. Cependant Gréco maintient le cap : elle choisit ses auteurs avec discernement et celui qui durant le dernier quart de siècle devient son complice, puis son compagnon, Gérard Jouannest, lui écrit de belles mélodies. Parmi les bonnes surprises relevons un disque écrit par Maurice Fanon (Mon fils chante). La dernière en date (juste à la fin du siècle), une rencontre improbable avec Jean-Claude Carrière, démontre si besoin était que Juliette Gréco n’a rien perdu de son goût pour l’aventure. Au fil des années, sa voix perdant de son velours, la chanteuse le compense par des interprétations de “diseuse” (là où certains évoqueront une tendance à l’affectation). Il n’empêche : Juliette Gréco reste l’une des interprètes marquantes de la seconde moitié du XXe siècle. Sa longévité, et plus encore l’obstination de toute une vie au service de la chanson comme art majeur (une chanson que Gréco tire souvent vers le haut) est exemplaire. A la fin de son dernier enregistrement public (celui de 1999 à l’Odéon), l’ancienne “muse de Saint-Germain-des-Prés” terminait son tour de chant par Le temps des cerises en la présentant ainsi : “C’est une chanson d’amour, c’est à dire une chanson révolutionnaire, et comme toute chanson révolutionnaire c’est également une chanson d’amour”. On ne pouvait trouver meilleure conclusion.


La grève des mères (Montéhus - Raoul Chantegrelet / Pierre Doubis)

Moins connue que Gloire au dix-septième, La chant des jeunes gardes ou La butte rouge, La grève des mères, créée en 1905 au lendemain de la sinistre loi réprimant l’avortement (Antoine reprendra 60 ans plus tard une thématique semblable avec La loi de 1920), fait l’objet d’une interdiction par décision de justice et son auteur est condamné pour “incitation à l’avortement”. Aucune autre chanson de Montéhus ne connu pareil sort. Le “chansonnier humanitaire” jouait sur deux tableaux en associant cette “grèves des mères” et ses habituels coups de gueule : “Refuse de peupler la terre ! / Arrête la fécondité ! / Déclare la grève des mères ! / Aux bourreaux, crie ta volonté ! / Défends ta chair, défends ton sang ! / A bas la guerre et les tyrans ! “; Il parait utile d’ajouter que Montéhus était l’aîné d’une famille de 22 enfants !


GRIBOUILLE

Pas suffisamment reconnue de son vivant, Gribouille est devenue après sa mort tragique l’objet d’un mythe (toute proportion gardée) ne permettant pas toujours de considérer cette chanteuse en toute objectivité. Il est vrai que les signes qui permettaient de repérer le mal être de Gribouille ne manquent pas dans son répertoire. Après trois 45 tours sans grand relief (indépendamment de la voix, prenante, et de la conviction de l’interprète), Gribouille se fait véritablement connaître avec Mathias. Il y a alors comme une inflexion vers plus d’exigence du coté des textes de Gribouille (sur des musiques composées par Jean-Claude Annoux, Jacques Debronckart, ou Christine Fontane) : Les roses barbelées, Dieu Julie, et surtout Les rondes, la plus belle de ses chansons (“Moi je suis de ce monde / Où l’on se fout à l’eau “).


GROSZ (Pierre)

Parolier incontournable du dernier quart de siècle, Pierre Grosz a écrit pour Gilbert Bécaud, Hugues Auffray, Jeane Manson, Serge Reggiani, Nicole Croisille, Francesca Solleville, parmi de nombreux autres interprètes. Ses deux chansons les plus connues sont pourtant celles qu’il écrivit (au tout début de leurs carrières respectives) pour Michel Jonasz : Les vacances au bord de mer et Changez tout.


GUETARY (Georges)

Ce digne représentant de la “chanson de charme” révélé par Robin des bois et A Honolulu (sur des musiques de Francis Lopez) s’est partagé durant sa longue carrière entre l’opérette (sans cependant connaître le succès de son concurrent direct, Luis Mariano) et la chanson exotique.


Gueule d’aminche (Renaud Séchan)

Renaud s’inscrit ici dans une tradition. On le savait depuis le début Amoureux de Paname. Il chante un Paris qui n’existe plus : celui de Gavroche, des apaches, de “Casque d’or”, de Carco, de Doisneau, de Bruant surtout : “C’est l’histoire triste et sordide / D’un gigolo de la Vache Noire / Qu’aimait d’un amour stupide / Une bourgeoise des boul’vards / L’avait pas une gueule trop moche / Sous sa casquette de fortifs / Y traînait à la Bastoche / Où c’est qu’y jouait du canif “.


GUICHARD (Daniel)

Après un premier disque (1969) donnant de Daniel Guichard l’image d’un “Gavroche de la chanson” (Les Gavroche les poulbots), le chanteur rencontre le succès quatre ans plus tard avec La tendresse et Faut pas pleurer comme ça. L’année suivante Mon vieux (une chanson de Senlis et Ferrat créée dix ans plus tôt et passée alors quasiment inaperçue !) s’installe en tête du hit parade. Ce titre impose Guichard dans le paysage de la chanson française du moment : dans un registre populaire que l’on appelle pas encore populiste. Daniel Guichard va ensuite gérer sa carrière en bon père de famille (“Guichard chante Piaf”, “Guichard chante Chevalier”, “Guichard chante Trenet”, etc.). Donc un bon client pour la télévision.


GUIDONI (Jean)

Nul interprète, à la fin du XXe siècle, n’a présenté de visages autant différents que Jean Guidoni. Il en est au moins un (le principal certes) qui s’inscrit de plein droit dans ce que la chanson aura produit de meilleur durant ce siècle : il s’agit de la collaboration entre ce chanteur et le parolier Pierre Philippe. Jean Guidoni chante depuis le milieu des années 70 (il a sorti deux albums) quand, ayant découvert Ingrid Caven en concert, il part à la recherche de l’auteur de plusieurs des chansons de ce tour de chant (des adaptations de W.R.Fassbinder) qui l’a fasciné. De là date sa rencontre avec Pierre Philippe. Un premier disque (“Je marche dans les villes”) sort en 1980, suivi de trois autres (1982, 1983, 1985), tous écrits par Pierre Philippe. Rapidement le nom de de l’interprète s’impose au disque, mais plus encore sur la scène.

Après un premier disque très concluant (“Je marche dans les villes” : comportant Djemila, Midi-minuit, Il y a, Chanson pour le cadavre exquis, parmi d’autres, toutes sur des musiques de de Michel Cywie), qui a le mérite d’attirer l’attention sur le chanteur et son parolier, Jean Guidoni enregistre “Crime passionnel”, un album / concept sur des musiques d’Astor Piazzolla. Il parait difficile d’isoler l’une ou l’autre des chansons de ce disque dont l’unité, outre le thème (la vie sentimentale d’un homme en proie à la solitude et à la violence de ses passions), est assurée par un tango d’une belle noirceur musicale. La langue de Pierre Philippe se déploie, superbe, dans la passion comme dans la déréliction. Une césure (Weidmann), du nom du dernier condamné à mort, sert de transition entre les deux parties de cet “opéra pour homme seul” : “Mais moi qui suis sans contrat / Avec les gens dits honnêtes / Je leur préfère les malfrats / Eux au moins sont des poètes “. Cet album se clôt avec Les draps blancs : le sommet de la collaboration du trio Guidoni / Philippe / Piazzola. Soit une chanson pour saisir une vie (“C’est dans les draps blancs que tout commence / Et que tout finit / Beaux draps repassés de l’existence / Aux plis bien jaunis “) au son d’une musique de tango belle à pleurer. La vie, ce “purulent opéra “, selon l’auteur.

Le rouge et le rose”, enregistré un an plus tard, ne possède pas cette unité. Pour des raisons musicales d’abord, les musiques étant signées par cinq compositeurs différents. Ensuite Pierre Philippe aborde des thématiques diverses : la politique et l’érotomanie étant les mieux représentées. Trois titres se détachent : Tout va bien, Le bon berger, L’amour monstre. Les deux premières illustrent le volet “politique”. Tout va bien met en scène, dans un Paris quasiment en ruine après un coup d’état (voire une invasion étrangère), des vainqueurs dont les vers suivants (“Ils ont parqué les rouges au Palais des Congrès / Dans le Palais des glaces les pédés sans regret / Et au Palais des Sports vos chers juifs ont la trouille” ) indiquent clairement la couleur. On change complètement de registre avec L’amour monstre. Parmi les baraques de foire du boulevard Rochechouart, Pierre Philippe plante le décors d’une étrange et troublante histoire : celle de “l’immonde Edwige par les soirs d’hiver “. Soit “Les fleurs du mal” (le chapitre “Épaves” plus particulièrement) égarées dans le “Montmartre des plaisirs et du crime” cher à Louis Chevalier : “Alors pour finir / Cette année encore / Je n’offre qu’un sourire / A la femme sans corps “. La même année un disque enregistré en public à l’Olympia témoigne de la présence scénique de Jean Guidoni (il y crée Tu mourras ce soir, et reprend une chanson de M. Magre et K. Weill, La complainte de la Seine).

Quatrième album (pour clore la liste) en collaboration avec Pierre Philippe, “Putains... “ n’est pas sans étonner. Ici l’unité thématique, celle de la prostitution (abordée sous des angles divers) se trouve redoublée, musicalement, par le son rock du disque (ou pop comme l’on disait alors). La surprise vient également de l’interprétation de Guidoni : décalée, distanciée, ayant recours à un “parlé-chanté” initié cinq ans plus tôt par Alain Bashung (qui co-signe d’ailleurs deux des musiques de l’album). La musique et l’interprétation en rajoutant, question ironie, sur un texte qui peut-être n’en demandait pas tant. Tous des putains ouvre le bal : à savoir la femme (qui vend son corps), le prolétaire (sa force de travail), mais aussi le chanteur (“Et moi comme tous les autres, en ces temps incertains / Pour vous plaire, vous faire jouir, je dois faire le tapin / Espérer votre aumône derrière mon visage peint / Me conduire comme les autres en dernière des putains “. Dans Les fantômes de Marseille mentionnons ce bel hommage aux “putains inconnues “ : “Quand je serai quelque chose au Conseil / Je lui demanderai / Qu’il dresse un grand soleil / Une pierre nue / Pour qu’à son ombre veille / Les putains inconnues / Fantômes du vieux Marseille “. A signaler encore Drugstore dix-huit heures (dans la polyphonie des voix d’un drugstore, celle d’une prostituée à la recherche d’un client) ou Le carnet de Griselidis (la clientèle dans le détail, celle de la regrettée Griselidis Réal). Un dernier mot pour Chien (“Les pauvres types comme moi / Ils n’ont même / Pas de code et de loi / Ils sont blêmes / Trop blêmes / Ils aiment “) magnifiquement interprétée par Jean Guidoni.

Guidoni collabore un temps avec Enzo Corman (pour les textes) et Michel Prezmann et Bertrand Binet (pour les musiques) : un album public au Cirque d’Hiver en porte la trace (les chansons Ange à tous dédiés, Chromo, Santa Rita Blanca font la transition entre la période “Pierre Philippe” et celle à venir). Le disque “Tigre de porcelaine” (1987) représente une rupture par rapport aux précédent, et le suivant “Aux tourniquet des grands cafés” l’accentue. Ces deux albums rencontrent le succès (on peut sur ces deux albums préférer Marseille ou La punition et Impérial Palace aux Tramway Terminus Nord, Mort à Venise, Ce sont des choses qui arrivent, ou Aux tourniquets des grands cafés, Check point Charlie gesang, Vérone véronal, mais ce sont les secondes qui passent sur les chaînes de radio). Guidoni écrit les textes, et Pascal Auriat puis Michel Estardy les musiques : cependant le coté “variété” de ces deux disques l’est surtout de part leur mode de production. L’album “Verdigo” (une collaboration entre Jean Guidoni et Michel Legrand) fait moins de concessions à l’air du temps mais le compositeur n’est plus le Legrand des “années Demy”. Parallèlement à sa carrière discographique Guidoni continue à se produire sur scène dans des spectacles qui restent surprenants et innovants. Nous n’en citerons qu’un, matérialisé par un enregistrement à l’Espace Européen en 1989 : Jean Guidoni, seulement accompagné par deux pianistes, termine ce spectacle par la surprenante et insolite L’horloge (dont il a écrit le texte et confié la musique à Michel Cywle : certains accords de piano évoquent Debussy).

Jean Guidoni et Pierre Philippe se retrouvent en 1999 : une série de concerts (dont toutes les chansons sont écrites par le second, les musiques étant confiées à des compositeurs différents et l’orchestration à Matthieu Gonet) signe ces retrouvailles. Un premier enregistrement public (“Fin de siècle”) sort la même année. Il s’agit tout simplement de l’un des disques les plus importants de ce siècle. Le problème étant que personne, ou presque, ne l’entendit. A contre courant des modes et des tendances contemporaines, cet album crépusculaire traite du siècle justement, sur un mode parfois virulent, quelquefois caustique, voire désabusé. Il y a dans la voix de Jean Guidoni (moins assurée que d’habitude) comme une fêlure qui renforce l’émotion. C’est aussi le passage de témoin entre le premier Guidoni, celui de Je marche dans les villes, et celui de 1999 : J’ai marché dans les villes (“Une ville ça meurt tout comme un homme / Et ses anges sont ses assassins ). Ce disque comporte deux chefs d’oeuvre (J’habite à Drancy et Une valse de 1937), et reprend la mélodie de En revenant de la revue (créée en 1886) pour la revisiter sous le nom de La grande expo de l’an 2000. Pierre Philippe ne s’embarrasse plus ici de métaphore. Le siècle va finir, et l’auteur, pour que rien ne se perde, jette à la face d’un monde honni ses quatre vérités : “C’est un show titré “Gloire à l’ordure” / Y’aura toutes les stars de la question / Avec la recette pour que ça dure “. Mentionnons également la drolatique Ces chanteurs qui n’aiment pas les femmes, la noire Les boites (une chanson sur le temps du Sida). Sans oublier Toulon, la ville natale de Jean Guidoni, qui évoque les jeunes années de l’interprète : le rêve “De ce Paris lointain qui vous sacre vedette / Et n’attendait que moi illustre petit con “, puis le désamour (“Ma ville sinistrée, mon pauvre vieux Toulon “) envers une ville administrée à l’époque par le Front National (“Depuis qu’au pilori les bourgeois et ton maire / T’ont en habit de haine mis à coup de talon “).

Dans le second album tiré de ce spectacle (sorti en 2000), citons la mélancolique Les ombres (“Ils ont gueulé / Ont défilé / Et bien souvent ils sont tombés / Sans nombre / Dans l’ombre “), Étoile en morceaux, Berceuse pour le tyran. Ces deux disques se terminant tous deux par la même note d’espoir (c’est bien la seule !) : “Mais il viendra le jour de mai / Ou d’une étoile moins hygiéniste / Quelque cosmonaute anarchiste / Rapportera l’antique muguet “. Cette chanson, d’une écriture somptueuse, s’appelle Fin de siècle et clôt les deux albums extraits du spectacle portant le même nom.


GUILBERT (Yvette)

Même si le répertoire qui fait la célébrité d’Yvette Guilbert a été principalement constitué pendant les dernières années du XIXe siècle, cette chanteuse appartient également au siècle suivant en raison de la longévité de sa carrière et des célèbres enregistrements qu’elle grava dans la cire durant les années trente. Le fiacre et Madame Arthur sortent du lot en apportant le témoignage de l’art subtil d’une diseuse. Yvette Guilbert avait su conquérir de nombreuses personnalités des arts et des lettres de “la belle époque” avant de séduire un certain Sigmund Freud (lequel accrochera dans son bureau le portrait de la chanteuse à coté de celui de Lou Andréa Salomé). Dans ce “premier répertoire” figurent, en plus du Fiacre, d’autres chansons du talentueux Xanrof, l’un des piliers du “Chat noir” : L’hôtel du N° 3, Les quatr’ z’étudiants, Elle était très bien. A la même époque Yvette Guilbert exhume et met en musique des poèmes de Paul de Kock qui paraissent avoir été écrits pour elle (Madame Arthur, bien sûr, mais aussi Quand on vous aim’ comme ça, J’m’embrouille).

On doit à cette chanteuse exceptionnelle, à la diction impeccable, l’invention de ce parlé / chanté qui, par delà les effets précieux, ironiques ou de distinction recherchés, permet à l’interprète de prendre de la distance vis à vis des genres grivois et réaliste (Partie carrée d’un coté : “De sorte que madame Bouton / Faisait avec monsieur Boudin / Juste c’que madame Boudin / Faisait avec monsieur Bouton “, La pierreuse de l’autre). Le physique singulier d’Yvette Guilbert (la “dame aux gants noirs, vêtue de satin vert”, immortalisée par le pinceau de Toulouse-Lautrec) participant de cet exercice de distanciation. La seconde partie de la carrière d’Yvette Guilbert est plus convenue, La chanteuse se consacre principalement à l’exploration du répertoire traditionnel de la chanson française, non sans réserver une large place à l’oeuvre de Bruant et à l’adaptation musicale de poèmes. Dans le premier cas de figure, son interprétation de Verligodon (chanson paysanne) relève du chef d’oeuvre.