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PAGANI (Herbert)

Au début des années soixante-dix Herbert Pagani sort deux disques ambitieux. Le premier, plus format chanson que le second, “Megalopolis” (qui se rapproche de la comédie musicale), comprend la polyphonique Concerto d’Italie, mais aussi Rouge Orange, La chanson de la jeunesse difficile, Des œufs du lard et des radis (“Courir le sac en bandoulière / A saute mouton sur les frontières / Bien entendu c’est formidable / Mais cett’ liberté-là mon frère / J’voudrais l’écrire dans la pierre / Pas sur le sable “). Herbert Pagani réussit à mixer un certain air du temps, postsoixanhuitard, avec un humanisme emprunt de générosité. Quant aux musiques, dont certaines ont pu être qualifiées “grandiloquentes” ou “emphatiques”, elles apportent cette touche d’italianité (entre l’opéra transalpin et la chanson populaire) sans laquelle le répertoire de Pagani ne serait pas ce qu’il est. Ensuite la carrière du chanteur devient plus convenue (on en excepte une Leçon de peinture, de belle facture). Son soutien apporté à Israël (Plaidoyer pour ma terre) contredisant quelque peu l’universalisme affiché dans les albums précédents.


PAGNY (Florent)

Ce “chanteur à voix” (Ma liberté de penser, Savoir aimer) figure parmi le célèbre quatuor des chanteurs “exilés fiscaux”, défenseurs de la liberté de frauder (avec Polnareff, Hallyday, Aznavour) : tous chanteurs populaires et appréciés par l’actuel Président de la République (au moment où nous écrivons ces lignes).


PARADIS (Vanessa)

La plus nymphette des chanteuses (ou la plus chanteuse des nymphettes) décroche la timbale en 1987 avec Joe le taxi. La petite Vanessa va rester au paradis plusieurs années (Maxou, Tandem, Be me baby) avant de prendre vers le milieu de la décennie 90 la direction du purgatoire (imputable en partie à la priorité accordée à sa carrière cinématographique).


PARISIENNES (Les)

Fondé en 1965 par Claude Bolling, ce quatuor féminin chante (et danse) des refrains sans prétention sur la France de l’époque (celle qui ne s’ennuie pas) : on y trouve un écho du Ray Ventura de la seconde moitié des années trente. Entre deux succès (Il fait trop beau pour travailler, Les fans de Mozart), une chanson comme Nous est est si mignonnes (de Pierre Perret) mérite le détour.


Paris le désert (Giani Esposito)

Giani Esposito plante le décor d’un Paris de fin d’année, d’une ville “bafouée / par tous ces faux plaisirs défigurés “. Ceci avec l’élégance, le sourire critique et le détachement ironique qui le caractérisent. Et puis deux derniers vers qui brusquement nous ramènent à une certaine actualité culturelle de la première moitié des années 70 : “Je pars chercher les autres clowns en ville / mon cocktail smerdiakoff et ma sébile “. En ce temps là, souvenez vous, un dénommé Maurice Druon était ministre de la Culture...


Paris mai (Claude Nougaro - Eddy Louiss, d’après un traditionnel)

Mai 68 donne à Claude Nougaro l’occasion d’écrire l’une de ses plus belles chansons. C’est plutôt sur le plan spirituel que Nougaro revisite les “événements” avec son verbe mystique et sa langue ludique (“Le casque des pavés ne bouge plus d’un cil / La Seine de nouveau ruisselle d’eau bénite / Le vent a dispersé les cendres de Bendit “). Ses références il va les trouver chez le Stravinsky du “Sacre du printemps” : “Le sacre du printemps sonne comme un massacre / Mais chaque jour qui vient embellira mon cri / Il se peut que je couve un Igor Stravinsky “. Une parole forte qui donne le frisson, et que le complicité d’Eddy Louiss entraîne loin, très loin : “Là-bas, brillent la paix, la rencontre des pôles / Et l’épée du printemps qui sacre notre épaule “.


Paris ma rose (Henri Gougaud)

Où est-il passé Clément des cerises ? “, chante Henri Gougaud dans Paris ma rose qui rend ce bel hommage aux communards (“Du temps où les gars avaient si grand cœur / Qu’on n’voyait que lui / Au trou des chemises “), mais aussi aux “nonchalants du long des quais “, à “Villon et ses filles “, aux soleils de craie (...) qui faisaient l’amour aux murs des églises “, à tous “ceux qui fraternisent / Avec les murailles et les graffitis “. Oui, où est donc passée “Paris la rouge (...) Paris que j’aime et qui n’est plus “ ?


PASCAL (Jean-Claude)

Ce comédien au physique avantageux entame une carrière ce chanteur (de charme) vers la fin des années cinquante. Jean-Claude Pascal dispose d’une voix grave, bien timbrée, et affiche une nonchalance étudiée. Son répertoire privilégie Bécaud, Gainsbourg, et dans un second temps Dimey. Il remporte en 1962 le grand prix de l’Eurovision avec Nous les amoureux. On retiendra de lui Soirées de prince (une chanson qui lui va comme un gant : de chez Hermès, tout de même).


PATACHOU

Patachou a toujours servi un répertoire de qualité (Bruant, Carco, Brassens, Ferré, Hardelet, Grassi...). On retrouve plus particulièrement la “griffe Patachou” dans deux chansons : La bague à Jules (la gouaille et l’humour), et Bal chez temporel (le populaire, dans le meilleur sens du terme). Patachou “lança” Georges Brassens en l’incitant et en l’encourageant à interpréter lui-même ses chansons sur la scène du cabaret qu’elle avait ouvert à Montmartre. Ensuite Patachou grava dans la cire Brave Margot, Les amoureux des bancs publics, La prière, J’ai rendez-vous avec vous, Le bricoleur et Maman papa (cette dernière en duo avec Brassens), contribuant ainsi à mieux faire connaître cet auteur-compositeur débutant.


PERRET (Pierre)

On oublie parfois qu’avant Le Tord boyau Pierre Perret chantait depuis six à sept ans. Ce chanteur ne s’imposa pas d’emblée. Dans son premier 45 tour, sorti en 1957, les radios programmèrent cependant Moi j’attends Adèle. Puis Pierre Perret enregistre trois autres 45 tours qui passent inaperçus. Que peut-on retenir de ce premier Perret ? D’abord une voix pas tout à fait assurée, ensuite un accompagnement musical qui laisse à désirer (ne mettant pas suffisamment en valeur les mélodies), enfin l’influence de Brassens. D’un tout autre intérêt relève le dernier disque publié chez Barclay (un 33 tour) au début des années soixante. La voix se place, les musiques collent davantage aux textes, et on y entend plus Perret que Brassens (en particulier Le bonheur conjugal : la première dans un genre qui fera bientôt le succès du chanteur). L’introduction de l’argot, dans deux chansons que l’on découvrira plus tard, s’avère encore plus significative : Ma gosse et La bérésina (“L’était mal baraqué pour tomber les gonzesses / La trombine de traviole, une perruque en peau de fesse “).

Le disque suivant, où figure Le Tord boyau, rend le nom de Pierre Perret familier. Ce dernier va alors représenter un courant à lui tout seul dans la chanson des années 60 en imposant peu à peu l’univers singulier de ses chansons. C’est d’abord une langue qui n’a pas d’équivalent (que d’aucuns qualifièrent de vulgaire !), dont l’inventivité donne naissance à ces petits chefs d’oeuvre que sont Marcel, Pépé la jactance (le truand de Gennevilliers, celui qui vous “déculotte ses souvenirs “ sur un air d’accordéon à faire chialer), Elle m’a dit, L’homme facile, Les seins, Les baisers, Noël avant terme. Et encore les méconnues J’peux pas (hilarante !) et Gislaine de la Bourboule. Dans cette galerie de portraits à la Perret, la petite Gislaine de la Bourboule mérite un traitement de faveur. Il s’agit d’un personnage de B.D. situé entre Marie-Chantal et Zazie. Et l’orchestration en rajoute dans le genre désuet, bal popu et saxo ringard. Histoire de préciser que les arrangements musicaux de Jean Claudric collent parfaitement à l’univers de Pierre Perret. De la “belle ouvrage” pas suffisamment reconnue. Car Perret ne serait pas devenu le Perret que l’on reconnaît entre tous sans cette couleur musicale. Et ne fait pas populaire, musicalement parlant, qui veut (Cuisses de mouche, par exemple)

Des chansons de la pointure de Marcel ou Pépé la jactance se situent à la jonction des deux univers repérés chez Pierre Perret : d’un coté le versant “affreux jojo” ou trivial (avec quelque chose de l’esprit “Hara-kiri”, Reiser plus particulièrement, où se retrouvent les principaux succès de la seconde moitié des années 60 : La corrida, Les jolies colonies de vacances, Tonton Cristobal, Les postières, Qu’est ce qu’elle est belle) ; de l’autre le versant “Tendre Pierrot” (pour reprendre le titre d’un album composé de chansons regroupées dans cette catégorie). Tout avait ici commencé avec Blanche. Cette chanson permettait de redistribuer les cartes. Perret n’est pas que grossier, entendit-on. D’autres chansons, dans ce même registre, avait pourtant précédé Blanche. Mais qui s’en était soucié ? Citons ici dans cette veine “tendre” Mimi la douce, Je ne sais plus sur quel pied danser, Leila, L’amour et la tendresse, Quand je suis malheureux.

Une évolution se dessine au détour des années 70. L’affreux jojo met de l’eau dans son vitriol et la langue y perd en verdeur. Les différences s’atténuent entre les deux Perret (le trivial et le tendre). Plusieurs chansons, parmi celles écrites dans la première moitié des années 70, caressent un peu trop le “français moyen” dans le sens du poil : par exemple C’est au mois d’août, Ne partez pas en vacances, voire Le plombier. On ne rangera pas dans cette catégorie la truculente Le zizi, sans doute le plus grand succès de la carrière du chanteur. Ce qui n’empêche pas Pierre Perret d’écrire durant la même période deux incontestables réussites : Ma femme et Le temps des puces. On pourrait dire, au sujet de cette dernière chanson, que la nostalgie est bonne chez Perret : elle se donne sans affectation. Ma femme illustre “l’autre Perret” plus que jamais. Il y a comme une parenté entre ces vers là et ceux écrits par André Breton dans le poème L’union libre. Certainement l’une des meilleures chansons de Pierre Perret : “Oh toi ma femme aux paupières de cèdre bleu / Aux longs doigts de corail dans mes cheveux de laine / Aux longs doigts qui s’attardent aux bouches des fontaines “. Ne quittons pas la poésie sans aborder un domaine où l’on attendait pas Pierre Perret. Avec modestie, mais non sans conviction Perret nous propose son adaptation de Marie (un poème extrait du recueil “Alcool”) : on y entend comme en sourdine la voix d’Apollinaire.

Vers le milieu des années 70, un Perret nouveau va progressivement prendre la place de l’ancien. C’est un Perret qui ne se renie pas, mais dont le registre plus étendu s’avère parfois attendu. S’il parait à première vue plus assagi, Pierre Perret porte davantage son regard sur des sujets sociaux, en relation avec l’état de la société ou le monde en devenir. L’occasion lui est donnée de prendre parti (et comment ne pas partager ses partis pris !) en prenant appui sur une langue plus classique. Ses chansons semblent d’ailleurs plus “écrites” et plus “travaillées” que jadis. Il leur manque cependant la verdeur du “premier Perret”. Il ne faudrait pourtant pas faire la fine bouche pour évoquer l’album sorti en 1977, l’un des meilleurs de sa carrière du chanteur. Citons la tendre et mélancolique Le Café du canal (“Ici on peut apporter ses baisers “), la savoureuse Adam et Eve, et Les enfants foutez leur la paix (un manifeste à la Perret). En gardant pour la fin l’excellente Le petit potier et Lily. On ne présente plus cette dernière chanson qui est devenue au fil des ans l’un des titres-étendard de l’ami Pierrot. Toute périphrase s’avère inutile : chacun sait qu’il s’agit d’une chanson contre le racisme. Et preuve est faite que l’on peut être efficace dans ce domaine sans céder à la facilité et à la démagogie ou chanter des slogans. Pierre Perret clôt les seventies avec un disque plus inégal mais qui comporte un autre titre emblématique de l’auteur : Mon p’tit loup. Une chanson sur le vaste monde quand il offre, d’un continent à l’autre, ce que la nature et les hommes ont produit de plus beau : les plaisirs de l’existence et la promesse d’une autre humanité pour “oublier les petits cons qui t’ont fait ça “.

Autre bon cru, l’album sorti en 1981. C’est l’printemps évidemment, mais aussi Y’a cinquante gosses dans l’escalier. Ceux d’une HLM de Gennevilliers (où Perret qui y a vécu sait de quoi il parle). Deux chansons féministes (ou plutôt “Féminophiles”) figurent sur ce disque. Pierre Perret trouve les mots justes pour évoquer ces Femmes seules, ou celles (Elle attend son petit) dont “le mec est parti / Le courageux papa “. Dans une décennie ensuite plus en demi teinte relevons Salut ami d’Aubervilliers, La veuve, Cœur cabossé. Les années 90 démarrent très fort avec Bercy-Madeleine : un éblouissant exercice de style qui recense en trois minutes la quasi totalité des stations du métro parisien. Sur le même disque, dans un tout autre genre, citons La petite kurde. Sans passer sous silence Pamela (un retour bienvenu à des sources plus anciennes) et Rebecca. A l’autre extrémité de la décennie, l’album “La bête est revenue” observe notre monde sans aménité : de la fureur religieuse (Au nom de dieu) à la destruction des bases biologiques de la vie (Vert de colère) en passant par le pétainisme (Le temps des tabliers bleus) et une mise en garde contre “le retour de la bête immonde “ (La bête est revenue, qui déplut fort à M. Le Pen). Il s’agit d’un Perret classique, bien éloigné de “l’affreux jojo” des débuts (l’orchestration y participe). Il faut attendre le dernier titre de l’album (Demain dés l’aube, sur un poème de Victor Hugo) pour découvrir un Perret inattendu. On ne l’avait jamais entendu chanter ainsi. Avec un piano et un violon des plus inspirés. Et une voix qui se brise. L’émotion...


PERSONNE (Paul)

L’exemple rare d’un chanteur qui, depuis ses débuts en solo (en 1982) a défendu avec une rare constance, et contre vents et marées, ce blues dont il est plus que d’autres le digne représentant dans l’hexagone. On ne relève pas de tubes chez Paul Personne, ni même de succès à proprement parler mais une œuvre qui se tient autant qu’elle tient la route (avec le risque, reconnaissons-le, de réduire la palette à une seule couleur musicale).


Petite (Léo Ferré)

Qui d’autre que Ferré pouvait se permettre d’écrire et d’interpréter pareille chanson ? Elle évoque le désir d’un homme vieillissant pour une gamine (non sans une certaine réciprocité). Certes nous étions en 1969, et non à la fin de ce XXe siècle pour qui la pédophilie représente le mal absolu. A l’attention de qui accepterait cependant de se laisser attendrir (car cette Petite nous touche, assurément : “Tu as le buste des outrages / Et moi je me prends à rêver / Pour ne pas fendre ton corsage / Qui ne recouvre qu’une idée / Une idée qui va son chemin “), Léo Ferré, avec la solennité qui convient, nous en livre les enjeux : “Quand sous ta jupe il n’y aura plus / Le CODE PÉNAL .


Le petit potier (Pierre Perret)

Dans un genre illustré par Boby Lapointe, voire le “premier Vassiliu” (et avant eux le Débit de lait débit de l’eau de Trénet), où l’on attendait pas nécessairement l’auteur des Jolies colonies de vacances, Pierre Perret signe là l’une de ses plus grandes réussites (“Mais le geôlier âgé jouit déjà de l’ingénue / Et sur le bout du banc déroba ses rubans / C’est quand l’ geôlier âgé eut bien joui de l’ingénue / Après qu’il la troussa qu’ell’ prit son trousseau et trissa “). En insistant sur la parfaite osmose entre le texte et une musique parodiant le monde des automates.


Le petit train (Marc Fontenoy - Catherine Ringer - Marc Fontenoy-Fred Chichin)

Il convenait d’avoir dépassé la quarantaine pour découvrir dans ce Petit train (extrait de l’album “Marc et Robert” de 1988) un succès du début des années cinquante popularisé en son temps par André Claveau et Jacques Hélian. Encore fallait-il le reconnaître dans la version des Rita Mitsouko en raison du traitement musical (excellent) et du détournement de paroles qui à l’origine évoquaient un petit train partant à la casse. Dans le texte réécrit en partie par Catherine Ringer (et chanté sur un ton guilleret) le même petit train, devenu “train de la mort “, circule durant la Seconde guerre mondiale. C’est plus qu’un détail, comme ne le dirait pas un certain, puisque ce sont les passagers qui vont ici à la casse


PEYRAC (Nicolas)

Situé au carrefour de différents genres, Nicolas Peyrac a peut-être pâti de cette diversité dans la mesure où, malgré la qualité de plusieurs de ses chansons (et celles de ses interprétations : une voix claire, posée, expressive), il n’a pas su imposer un univers d’auteur à part entière. Durant la période où il rencontra le succès (la seconde moitié des années soixante-dix), ressortent So far away from LR (la chanson qui le fit connaître), Le vin me saoule, et surtout Et mon père (“Et Trenet avait mis des années / Brassens commençait à emballer / Et Bécaud astiquait son clavier / Monsieur Brel ne parlait pas encore des folles “).


PHILIPPE (Pierre)

Plutôt par hasard Pierre Philippe (auteur ou producteur de documentaires pour la télévision, historien du cinéma et du music-hall, mais également peintre, décorateur de théâtre, scénariste, dialoguiste, romancier) devient parolier. D’abord par l’intermédiaire d’Ingrid Caven (pour qui il adapte en français des textes de Fassbinder), ensuite (et surtout !) à travers sa rencontre avec Jean Guidoni. Pierre Philippe écrit pour cet interprète, qui alors se cherche, les textes de quatre albums consécutifs (“Je marche dans les villes”, 1980 ; “Crime passionnel”, 1982 ; “Le rouge et le rose”, 1983 ; “Putains...”, 1985). Il le retrouvera 14 ans plus tard avec l’exceptionnel “Fin de siècle”. Entre temps Pierre Philippe signe la plupart des titres du second disque de Juliette (“Irrésistible”) et la totalité du suivant (“Rimes féminines”).

Bien qu’écrivant en tenant compte de la personnalité de ces deux interprètes, Pierre Philippe n’en impose pas moins un univers que l’on qualifiera, d’une chanson à l’autre, de “décadent”, “baroque”, “équivoque”, “érotomane”, ou même “morbide” : adjectifs peu consensuels il va sans dire ! On peut d’ailleurs ajouter le terme “expressionniste” à cette liste (à condition de bien vouloir l’associer à la “veine poétique” de l’auteur, sachant qu’il existe une “veine politique” explicite dans le répertoire de Guidoni, et plus implicite dans celui de Juliette). C’est dire que Pierre Philippe écrit spécifiquement pour ses deux interprètes de prédilection (des aspects de la vie de Jean Guidoni apparaissent dans plusieurs chansons) sans que celui-ci, voire celle-là s’approprient exactement (à la manière d’une Piaf, d’une Gréco ou d’un Montand) l’univers singulier de l’auteur. La personnalité de Jean Guidoni, ni même celle de Juliette ne sont nullement mises en cause. Mais il parait important de le souligner. C’est aussi, indirectement, une réponse aux raisons pour lesquelles, Jean Guidoni d’abord, puis Juliette, ont cessé de collaborer avec Pierre Philippe.

On précise que ce parolier est totalement inconnu du grand public. Il est vrai que les auteurs-compositeurs-interpètes qui tiennent le devant de la scène depuis le milieu du XXe siècle font de l’ombre aux paroliers professionnels. Mais aucun de ces derniers ne saurait rivaliser avec Pierre Philippe dont on répétera ici (se référer aux entrées “Guidoni” et “Juliette” de ce dictionnaire) qu’il a écrit quelques unes des chansons “inoubliables” des années 80 et 90, et même du siècle (Les draps blancs, Tout va bien, Le bon berger, L’amour monstre, Toulon (ces deux vers, au passage, ne peuvent avoir été écrits que par Pierre Philippe : “Au Fémina le soir des mains en embuscade / Disaient toucher Bardot mais caressaient Delon “), J’habite à Drancy, Une valse de 1937 par Jean Guidoni ; Irrésistible, Les petits métiers, Les manèges, Monsieur Vénus, Rimes féminines, Tueuses par Juliette.

La chanson au XXe siècle ne serait pas exactement ce qu’elle est sans Pierre Philippe. Encore faut-il le savoir ! Ce dictionnaire essaie de réparer cet oubli et de remettre à la place qui devrait être la sienne ce très grand parolier.


PHILIPPE-GÉRARD

L’un des meilleurs compositeurs de l’après Seconde guerre mondiale a été chanté par plusieurs interprètes marquants des années cinquante et soixante : Henri Salvador (Si jolie), Eddie Constantine (Un enfant de la balle), Édith Piaf (Miséricorde), Yves Montand (Le chat de la voisine, Rengaine ta rengaine, La chansonnette), Cora Vaucaire (Les jardins de Paris), Juliette Gréco (Les canotiers), ainsi que les musiques du disque “Gréco chante Mac Orlan”. On y ajoute plus tard les mélodies écrites sur des textes de Norge (dans l’album que Jeanne Moreau consacre au poète).


PIAF (Édith)

Avec Édith Piaf, déjà un mythe de son vivant - et plus encore quarante ans après sa disparition -, il convient d’éviter dans la mesure du possible un double écueil : trop de biographique risque d’occulter l’un des répertoires les plus conséquent du XXe siècle, et ne pas vouloir en tenir compte ne rendrait pas justice à une interprète dont la vie et les chansons sont parfois intimement liées. En reprenant avec le succès que l’on sait Mon légionnaire, créée peu de temps auparavant par Marie Dubas, la môme Piaf s’effaçait devant Édith Piaf. La jeune chanteuse s’était fait connaître l’année précédente avec la presque autobiographique Les mômes de la cloche et Entre Saint-Ouen et Clignancourt, mais surtout par son interprétation de L’étranger (la première en date, dans la catégorie “chansons d’amour”, de ces rencontres sans lendemain que Piaf chantera toute sa vie, ou presque). Cette chanson inaugurait une longue et fructueuse collaboration avec Marguerite Monnot, la compositrice, dont le nom sera pendant 25 ans étroitement lié à son interprète de prédilection. Une autre rencontre, celle de Raymond Asso, provoquée par Mon légionnaire (écrite par Asso sur une musique de Marguerite Monnot), va infléchir la carrière de la chanteuse. Durant cette courte période de l’avant guerre, Raymond Asso écrit la plupart des chansons de sa protégée (Browning, Paris-Méditerranée, Un jeune homme chantait, C’est lui que mon cœur a choisi, Le petit monsieur triste, Elle fréquentait la rue Pigalle).

En 1940, un jeune auteur-compositeur, Michel Emer, présente à Piaf cet Accordéoniste qu’elle chantera toute sa vie. Durant la guerre, Édith Piaf reste sur le devant de la scène (De l’autre côté de la rue, Le vagabond, C’était une histoire d’amour, Y’a pas d’printemps, Un monsieur me suit dans la rue). Dans l’après guerre elle enchaîne avec Bal dans ma rue, L’orgue des amoureux, Les amants de Paris, Le prisonnier de la tour. Deux autres chansons la propulsent au sommet : Les trois cloches (interprétée avec le groupe vocal Les Compagnons de la chanson, que Piaf contribue ainsi à “lancer”) et l’illustrissime La vie en rose. C’est durant cette même époque que commence à se constituer autour de Piaf l’équipe d’auteurs et de compositeurs adoubés par la chanteuse : aux fidèles Marguerite Monnot et Michel Emer, se joignent Henri Contet pour les textes, Louiguy et Norbert Glanzberg pour les musiques (pendant les années cinquante les paroliers Michèle Senlis, Claude Delécluze, Michel Rivgauche viendront grossir la petite troupe, puis Georges Moustaki, et encore Charles Dumont et Michel Vaucaire un peu plus tard, et pour finir Michèle Vendôme et Francis Lai pendant les années soixante).

Les années cinquante marquent l’apogée d’Édith Piaf. Jamais nul interprète n’aura aligné autant de succès qui restent dans la mémoire collective (et dont certains sont d’incontestables réussites). Citons d’une part : Johnny tu n’es pas un ange, les entraînantes Padam padam et Mon manège à moi, les prouesses vocales de L’homme à la moto, cette Bravo pour le clown au sujet de laquelle Boris Vian écrivait (“Je n’aime pas du tout cette chanson (...) Elle me parait un épouvantable mélo (...) Et bien Piaf réussit à l’imposer. Chapeau, Madame Piaf... vous êtes une acrobate avec votre clown, nimporte qui se cassait la figure. Il est vrai que Piaf pourrait faire pleurer en chantant l’annuaire du téléphone”), l’irrésistible La foule (avec ces fameux petits pas de valse sur les dernières mesures de la chanson) ; et d’autre part les chansons écrites sur des musiques de Marguerite Monnot (la compositrice étant alors au sommet de son art) : L’hymne à l’amour, La goualante du pauvre Jean (nous ne sommes pas près d’oublier la pirouette gouailleuse par laquelle Édith Piaf clôt cette superbe chanson), C’est à Hambourg ou la rencontre entre l’univers de “L’Opéra de quatre sous” et les derniers feux de la chanson réaliste (oh le troublant, le tendre, l’émouvant “au revoir, petite gueule “ de l’interprète !), Les amants d’un jour (comment ne pas évoquer l’une des premières scènes du film “Hôtel du Nord”, celle où les deux jeunes amoureux décident de mettre un terme à leur vie : ici la serveuse raconte cette histoire qui ne peut être la sienne, (“J’ai bien trop à faire / Pour pouvoir rêver “), et Milord, pour finir ce cycle, la dernière et inoubliable des grandes chansons de Piaf : l’une de celles qui apportent le témoignage de l’exceptionnelle présence scénique d’une interprète habitée, littéralement parlant, par l’une ou l’autre des chansons de son répertoire.

On connaît l’importance dans la carrière et la vie d’Édith Piaf de Non je ne regrette rien. Cette chanson qui ouvre les années soixante ne peut cependant pas être comparée aux précédentes (tout comme Charles Dumont, le compositeur, à la grande Marguerite Monnot). Le biographique prend alors le dessus : A quoi ça sert l’amour ne vaut d’être citée qu’à ce titre. Avec les ultimes chansons enregistrées par Piaf une relève semblait pouvoir être assurée par le tandem Michèle Vendôme / Francis Lai (L’homme de Berlin, par exemple, pouvait renvoyer quoique un ton en dessous aux chansons écrites auparavant par Claude Delécluze et Marguerite Monnot). La mort de la chanteuse n’a pas permis de le vérifier


Pierre (Barbara)

L’intimité est le domaine de Barbara. Et l’attente est bonne quand il pleut, surtout lorsque celui dont on attend le retour s’appelle Pierre : “Une odeur de foin coupé / Monte de la terre mouillée / Une auto descend l’allée / C’est lui “. Allez savoir si Michel Portal joue encore du saxophone, ou si les inflexions de la voix de Barbara le disputent à l’instrument, comme pour se l’annexer.


PIGALLE

Ce groupe formé en 1986, l’un des pionniers de la scène alternative, se situe au carrefour d’un rock basique, d’un folk hexagonal et de la chanson réaliste. Un titre retient l’attention dans leur second album : Dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs. Un troisième album, plus abouti, comporte des chansons comme Patate, On assassine Belleville, Et pourtant si, qui témoignent d’une volonté de donner encore un sens au terme “chanson populaire”. Pigalle ne serait pas le groupe Pigalle sans François Hadji-Lazaro, le chanteur, auteur-compositeur, arrangeur, multi-instrumentiste, producteur du groupe et personnalité attachante. Parallèlement, François Hadji-Lazaro participe à l’aventure des Garçons-Bouchers : un groupe plus marqué par le rock, la bière et la provoc.


Pigalle (Géo Koger - Georges Ulmer & Guy Luypaerts)

Baudelaire décrivait curieusement la place Pigalle comme une “place âgée et vieillie dans les gloires et les tribulations de la vie”. On sait que Pigalle doit sa réputation à d’autres raisons que celle d’avoir été au XIXe siècle un lieu de rencontre de peintres et d’écrivains. Chantée par Georges Ulmer, Pigalle ressemble davantage à l’idée que nos contemporains s’en font. Pigalle n’est plus depuis belle lurette cette pointe avancée des “lieux de plaisir” de la capitale que l’on a connue. Il reste néanmoins de ce “glorieux passé” une certaine mythologie. A ce titre, Pigalle, la chanson, doit être précieusement conservée : “Un p’tit jet d’eau / Un’ station de métro / Entourée de bistrots / Pigalle “.


PILLS ET TABET

Jacques Pilles et Georges Tabet s’associent en 1931. Ils connaissent rapidement le succès avec Couchés dans le foin. Le duo reprend plusieurs autres titres de Mireille et Jean Nohain, mais également des chansons de Jean Tranchant, Paul Misraki, ou des adaptations de morceaux étrangers (Fumée aux yeux). S’ils participent avec Mireille, Jean Tranchant, Jean Sablon, Charles et Johnny, Gilles et Julien au renouveau de la chanson française dans les années trente, leurs interprétations flirtent parfois avec la mièvrerie. Aujourd’hui ce “moderne” parait daté.


PLAMONDON (Luc)

Le parolier des premiers disques de Diane Dufresne a également écrit pour de très nombreux interprètes québécois et français. Son nom se trouve surtout associé aux deux comédies musicales (“Starmania” et “Notre-Dame de Paris”) dont il est l’auteur des livrets et textes des chansons.


PLANA (Georgette)

En 1967 le come back de Georgette Plana, chanteuse des années quarante à la voix faubourienne, surprenait (pour ne pas dire plus), sachant que cette “renaissance” avait pour nom Riquita, un “tube” des années vingt que l’on croyait définitivement rangé parmi les témoignages sonores d’un Musée de la chanson. Et puis l’on s’aperçoit que Riquita a été créée la même année (1926) que l’insubmersible Les roses blanches, reprise également en 1967 par le groupe les Sunlights !


PLANTE (Jacques)

Nul ne niera l’extraordinaire capacité d’adaptation du parolier Jacques Plante envers ses interprètes. Avec Mademoiselle Hortensia, Ma guêpière et mes longs jupons, ou Étoile des neiges, Ma petite folie, ou Les comédiens, For me formidable, La bohème, ou L’enfant do, Le train de neige, ou J’entends siffler le train, A toi de choisir, Sunny, ou Santiano, Dés que le printemps revient, ou L’heure de la sortie, Le cinéma, Adios amor, Jacques Plante fait de l’Yvette Giraud, du Line Renaud, de l’Aznavour, du Petula Clark, du Richard Anthony, de l’Hugues Auffray, du Sheila ! Ajoutons à cette liste Maître Pierre, Domino, Le mexicain, Mikaël est de retour : alléluia, n’en jetez plus ! Et pour finir la meilleur d’entre elles : Les grands boulevards, chantée par Yves Montand.


Plein soleil (Maurice Vidalin - Gilbert Bécaud)

Dans un genre où l’on sort rarement des conventions, des clichés et du conformisme, la chanson d’été, Plein soleil se distingue des platitudes et médiocrités habituelles. Des mots simples, certes (“Dépêche toi, elle est jolie ta robe / Je tends les bras / Vers cette fleur qui vole “). Mais tout comme pour les fleurs des champs l’art consiste à savoir les assembler en bouquet. Et Vidalin et Bécaud le font à ravir.


Point de vue (Martine Merri - Jean Arnuf)

Avant l’avènement de ce que l’on appellera “pensée consensuelle”, Jean Arnulf s’insurgeait déjà en 1963 contre la tendance à l’indifférenciation et aux amalgames. Parce qu’il ne “faudrait voir à pas mélanger “, par exemple, “le caviar et la vache enragée “, “la fringale et le coup d’fourchette “, “les martyrs et les médaillés “, “les généraux et les poètes “. Tout est question de point de vue, n’est ce pas. Comment alors ne pas souscrire à celui de Jean Arnulf : “Moi j’dis qu’la Seine n’a pas l’même goût / Selon comment on la regarde / Moi j’dis qu’la Seine n’a pas l’même goût / Vue par en d’ssus ou par en d’ssous (quand “Sur la Seine y’a des bateaux mouches / Avec des femmes en décolleté / Qui rient très haut et font des touches / Et y’a aussi des suicidés “).


POLIN

Avec Bach et Ouvrard père et fils, Polin représente la “fine fleur” de la chanson de comique troupier. Il créa, entre autres succès, La caissière du grand café, La petite tonkinoise et L’anatomie du conscrit.


POLNAREFF (Michel)

Michel Polnareff s’impose en 1966 : deux 45 tours, puis un 33 tour le propulsent sur le devant de la scène. Révélé par La poupée qui dit non (sur un disque où figure également Beatnik, titre représentatif de l’image de marque du “premier Polnareff). Dans cette veine plus folk que rock Michel Polnareff écrit L’amour avec toi (l’une des chansons étendard des années dites de “libération sexuelle”) ou encore Sous quelle étoile suis-je né et L’oiseau de nuit (les deux dernières extraites du premier 30 cm). On peut déjà dire que le “premier Polnareff” s’arrête là.

Le “second Polnareff”, plus tôt initié par Love me please love me (une chanson figurant sur le deuxième 45 tour tout comme L’amour avec toi), l’un des succès de l’été 66, met en valeur le compositeur et l’orchestrateur des disques qui suivront. Durant six ans Polnareff ne quitte pas le haut de l’affiche. Il aligne de nombreux succès : de Taratata à On ira tous au paradis en passant par Le roi des fourmis, Y’a qu’un ch’veux, Tous les bateaux tous les oiseaux, Qui a tué grand maman, Holidays. En complétant cette liste par Âme câline, Le bal des Lazes, Dans la maison vide, La mouche, pour le raffinement des arrangements musicaux. Une chanson parmi les plus connues, Je suis un homme, renvoie au “premier Polnareff” : entre ambiguïté sexuelle et “profession de foi” virile.

Michel Polnareff s’expatrie aux USA en 1975 (Fame à la mode en prend acte). Avec Lettre à France, un peu plus tard, on constate que Polnareff n’a rien perdu de ses qualités mélodiques. Ensuite la carrière du chanteur (entre l’Amérique et la France) devient plus contingente. D’autres disques suivront, d’un intérêt moindre (en en exceptant une chanson comme Goodby Marilou).

POPP (André)

Ce compositeur inventif (on ignore souvent qu’il est le créateur du pédagogique “Piccolo, Saxo et Cie”) s’est surtout fait connaître dans le domaine de la chanson. On lui doit deux gros succès : Les lavandières du Portugal par Jacqueline François, et L’amour est bleu (que l’orchestre de Paul Mauriat popularisera dans un second temps aux États-Unis). Parmi les nombreux interprètes pour qui André Popp a composé citons en premier lieu Marie Laforêt (Manchester et Liverpool, Mon amour mon ami, Sébastien, Tom), mais également Philippe Clay (Incontestablement), Jacqueline Boyer (Tom Pilibi), Rachel (Le chant de Mallory).


PRÉJEAN (Albert)

Le cinéma parlant permet à cet acteur de pousser la chansonnette dans “Sous les toits de Paris”. L’année suivante Albert Préjean joue (et chante) le personnage de Mackie dans l’adaptation cinématographique par Pabs (version française) de “L’opéra de quatre sous”. Ensuite, durant les années 30, Albert Préjean va concilier septième art et chanson (Une java, Dédé de Montmartre).


PRÉVERT (Jacques)

Michel Houellebecq déteste Jacques Prévert. C’est son droit. A le lire il s’agirait d’une question générationnelle. Houellebecq ne comprend pas, dit-il, l’optimisme de la génération des Vian, Brassens, Prévert. Quel optimisme ? A nous de faire preuve d’incompréhension. Et puis l’on subodore que Houellebecq appelle “optimisme” tout esprit de révolte, toute contestation de l’ordre établi, toute attaque contre la religion, et plus généralement toute critique de la société. Revenu de tout (et parfois même de rien), Houellebecq se félicite d’être de son temps. Nous sommes devenus beaucoup plus intelligents, ajoute-t-il. C’est curieux, nous ne l’avions pas remarqué. Comme témoins à charge contre la poésie et la conception du monde défendue par Prévert (qualifiée l’une de “médiocre” et l’autre de “stupidité sans bornes”, Houellebecq convoque curieusement Baudelaire et Marx. Il ignore vraisemblablement tout du second mais il aurait trouvé une phrase chez Marx censée clouer le bec à Prévert. Enfin (et avant tout) Houellebecq déteste les libertaires. On l’avait compris.

Mais laissons là Michel Houellebecq (dont l’acrimonieux propos relevé ci-dessus a d’abord été publié dans les Lettres Françaises sous le titre “Jacques Prévert est un con”) pour citer Georges Bataille. Lors de la parution en 1949 de “Paroles” (un recueil où figurent de nombreux poèmes de Prévert mis en musique avant ou après cette date), Bataille écrivait : “Ce qui, au premier degré, est le propre de Prévert n’est pas la jeunesse - ce serait peu dire - mais l’enfance, le léger éclat de la folie, l’enjouement d’une enfance qui n’a pour “la grande personne” aucun égard (...) A propos de films, de la politique, des animaux et des hommes, je l’ai toujours entendu parler d’une même chose : de ce qui en nous plus fort que nous, exclut la convenance et la grimace, de ce qui emporté, puéril, railleur, nous situe bizarrement aux limites de ce qui est et n’est pas, et plus précisément d’un goût de vivre violent, total et indifférent, qui ne calcule pas, ne s’effraie pas, et toujours à la merci de la passion (il parlait sans fatras intellectuel, envoûtant qui l’entendait, d’habitude entouré de camarades très simples, souvent prolétaires)”. La poésie de Prévert, s’il faut la résumer, se confond principalement avec cet “esprit d’enfance” que l’on sait frondeur, et qui, prenant le parti de guignol, rosse copieusement le gendarme pour le plus grand plaisir des petits et grands.

Les premiers textes de Prévert mis en musique datent du milieu des années trente. Marianne Oswald et Agnès Capri inscrivent, en les interprétant différemment, des chansons de Prévert à leur répertoire : d’abord Embrasse moi, puis La chasse à l’enfant, La grasse matinée, A la belle étoile, Les bruits de la nuit (le premier sur une mélodie de Wal-Berg, et les trois suivant sur des musiques de Joseph Kosma, compositeur indissolublement lié depuis à Jacques Prévert). Défendu au disque et sur la scène par des interprètes s’adressant plutôt à un public “intello”, le nom de Jacques Prévert se trouve à la fin de ces années trente davantage associé aux films de Marcel Carné dont il écrit le scénario et les dialogues. Prévert, on le répète, attendra 1949 pour voir paraître son premier recueil de poèmes !

Les chansons de Prévert (le plus souvent sur des musiques de Kosma) vont être popularisées dans l’après guerre par de grands interprètes : Mouloudji, Cora Vaucaire, Germaine Montero, Catherine Sauvage, Juliette Gréco, Les Frères Jacques, Yves Montand (qui contribua à faire connaître Les feuilles mortes dans le monde entier). La chanson, dans l’après-guerre ? La rime vient naturellement : c’est Jacques Prévert !