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BACH (Charles-Joseph)

A chacun son Bach ! Le notre se prénomme Charles-Albert. Ce comique troupier, créateur de la populaire chanson Avec Bidasse, est également celui de la non moins célèbre Quand Madelon. Ce dernier titre, qui figurait dans le répertoire de Bach avant 1914, ne connut le succès que vers la fin de la guerre : les poilus la plébiscitèrent et contribuèrent à lui donner le statut d’une “Marseillaise des tranchées”. Citons également La caissière du Grand Café.


BACHELET (Pierre)

Malgré les nombreux disques qui jalonnent la carrière de Pierre Bachelet (et l’audience de chansons comme Emmanuelle, Elle est d’ailleurs, Le marionnettiste), ce compositeur-interprète est à jamais associé à la chanson Les corons : laquelle dépasse largement le cadre du succès proprement dit pour prendre place parmi les phénomènes de société (Les corons devenant l’hymne d’une région qui retrouvait une sorte d’identité mémorielle en chantant le refrain : “Au nord c’étaient les corons / La terre c’était le charbon / Le ciel c’était l’horizon / Les hommes des mineurs de fond “). Sinon il n’y a pas grand chose à dire d’un répertoire qui, nonobstant la sympathie que l’on éprouve pour Pierre Bachelet, ne paye pas de mine.


BAKER (Joséphine)

Découverte en 1925 dans la “Revue nègre” (où elle arbore la fameuse ceinture de bananes qui fait sa célébrité), Joséphine Baker devient rapidement l’une des coqueluches de la scène parisienne. Sa carrière proprement dite de chanteuse commence au début des année trente quand l’ancienne égérie des “années folles” reprend La petite tonkinoise (une chanson popularisée par Polin avant guerre), et surtout crée J’ai deux amours, qui reste son plus grand succès. Sa voix acidulée, son accent américain, et son talent de meneuse de revue lui vaudront la reconnaissance du public.


BALAVOINE (Daniel)

Daniel Balavoine chante depuis 1973 quand, cinq ans plus tard, il participe à l’aventure de l’opéra rock “Startmania”. En même temps il sort un disque, “Le chanteur”, dont la chanson éponyme (“J’me présente / Je m’appelle Henri “) devient l’un des tubes de l’année 1978. Une autre chanson, Mon fils ma bataille, connaîtra deux ans plus tard le même succès. Le chanteur à la voix haut perchée devient l’un des personnages marquants de la “nouvelle scène française” jusqu’à sa mort accidentelle, en janvier 1986 (le titre Azziza, sorti en novembre 1985, qui ne décollait pas du milieu du hit parade, se trouva du jour au lendemain, après le décès du chanteur, propulsé en tête de ce classement durant de nombreuses semaines).

Un échange, remarqué, avec le candidat Mitterrand en 1980, puis des interventions dans les médias contribuèrent à la réputation de Balavoine “chanteur engagé”. Un engagement en tous points conforme à la nouvelle donne, celle des années 80 : humanitaire et antiraciste presque exclusivement. Balavoine exprimait l’une des contradictions de ce type de posture en raison de sa participation à deux Paris-Dakar : une compétition difficilement défendable pour des raisons écologique, tiers-mondiste et de dignité humaine. On répondra que Balavoine trouva la mort non comme compétiteur mais en tant que représentant d’une association humanitaire nouvellement créée. Était-ce un bien pour un mal (le Paris-Dakar redorant ainsi à bon compte une image plutôt écornée) ? Une entrée de dictionnaire consacrée à Daniel Balavoine, le chanteur, ne saurait y répondre.


BARBARA

Barbara s’est d’abord fait connaître dans la seconde partie des années 50 comme interprète, de Brassens et de Brel en particulier. A savoir le répertoire le plus exigeant mis au service d’un art singulier, complètement passé de mode, celui d’une diseuse (il suffit d’écouter La femme d’Hector par Barbara pour s’en faire quelque idée). Cette filiation - on pense à Yvette Guilbert - Barbara ne l’abandonnera jamais complètement (du moins tant que sa voix le lui permettra). C’est dire aussi que cette expression trouvait naturellement sa place dans l’univers du cabaret. Barbara va accéder à nouveau statut après un premier 45 t de chansons dont elle est l’auteure (où figure Dis quand reviendras-tu, son premier grand succès), et davantage encore avec la parution l’année suivante (1963) d’un 33 t entièrement consacré aux chansons de Barbara. On y trouve l’un des titres emblématiques de la chanteuse, ce Nantes que beaucoup d’auditeurs, sans jamais avoir mis les pieds dans cette ville, associèrent à une pluie persistante. C’est le privilège en quelque sorte des grandes chansons que de susciter pareil mythe. Ceci renforcé par l’élément biographique connu après la mort de Barbara. Et qui donne à quelques uns des vers de Nantes (“Il voulait avant de mourir / Se réchauffer à mon sourire / Mais il mourut la nuit même / Sans un adieu, sans un je t’aime “) une résonance troublante.

Dans les années soixante (durant lesquelles sortent quatre 30 cm, les meilleurs de la chanteuse), Barbara rejoint le club très fermé des “grandes dames de la chanson”. Il y a d’abord sa voix, unique, qui peut le cas échéant se fondre dans le tissus orchestral, tel un saxophone (Pierre). Ensuite la palette musicale de Barbara s’avère plus diversifiée, plus étendue que ne le laissait entendre son premier 33 t. La chanteuse excelle dans le genre “fausse comptine” (Dans le bois de Saint Amant) et fait valoir son bagage “classique” (Une petite cantate, Du bout des lèvres). Pourtant ce qui fait la spécificité de Barbara, plus encore, doit être recherché du coté des thématiques de ses chansons. A travers sa manière de revisiter le répertoire amoureux (Le bel âge, A chaque fois, Amoureuse) ou d’évoquer la “difficulté de vivre” (Le soleil noir : “Je veux bien essayer / Et je veux bien y croire / Mais je suis fatiguée / Et le soleil est noir “), A mourir pour mourir. Dans ce registre Le mal de vivre renvoie à une dialectique du vivre / mal vivre selon Barbara : “Le mal de vivre / Qu’il faut bien vivre / Vaille que vivre “. Avant de retrouver “la joie de vivre “ illustrée à la fin de la chanson par une contagieuse valse musette. L’humour (Si la photo est bonne, Gueule d’amour), la satire (Y’aura du monde, Les rapaces) ou une certaine tendresse dans le sourire (Mes hommes) ne sont pas pour autant absents de l’univers de Barbara. Göttingen traite d’un sujet plus grave (“Ô faites que jamais ne revienne / Le temps du sang et de la haine “) comme Barbara sait le faire dans le domaine de l’intimité : avec pudeur et délicatesse. Sans oublier l’intemporelle Dame brune, et Ma plus belle histoire d’amour que Barbara chantera toute sa vie.

L’album qui ouvre la décennie 70 pourrait compléter la liste précédente : avec A peine, Quand ceux qui s’en vont, Hop là, Drouot. Il comporte le plus grand succès de Barbara, L’aigle noir (dont la réussite doit beaucoup à l’arrangeur Michel Colombier). En revanche les deux disques suivants, plus inégaux, déçoivent : La solitude, Vienne, Remusat, voire Perlimpinpin ne peuvent être comparées, question qualité, avec les chansons des années 60 citées plus haut. Même un ton au dessus le dernier disque de cette décennie (Fragson, Mille chevaux d’écumes, Seule), sorti en 1974, ne déroge pas à ce constat. Un an plus tôt Barbara sortait un album qui, dans la carrière de la chanteuse, possède un caractère “expérimental”. L’orchestration, confiée au tout jeune William Sheller, étonne et parfois détonne. Cependant la surprise vient des textes (François Wertheimer étant l’auteur de toutes les musiques), d’une écriture raffinée, à la limite de préciosité quelquefois. Un disque éminemment singulier : avec Marienbad, L’enfant laboureur, Le minotaure, pour ne citer que ces trois chansons.

Il faut attendre l’année 1981 pour retrouver Barbara avec le disque “Pantin 81” enregistré en public. L’important n’est pas tant les nouvelles chansons, réduites à deux unités (Pantin et la mitterrandienne Regarde) que dans le dispositif qui se met alors en place. Et que les enregistrements publics suivants (“Châtelet 87”, “Mogador 90”, “Châtelet 93”) accentueront. A savoir l’histoire d’amour entre la chanteuse et son public. Barbara entre en religion (celle du public) lorsqu’elle se retrouve sur scène. Ces grands concerts s’apparentent d’ailleurs à des messes. Le public venant communier avec la chanteuse dans une même ferveur. En accompagnant (Pantin l’inaugure) le chant de Barbara, et même sans elle. Et en réclamant les anciennes chansons : les nouvelles, les Lily passion, L’île aux mimosas, Gauguin, Le piano noir, Le jour se lève encore, Sables mouvants supportant difficilement la comparaison (exceptée Sid’amour à mort qui, en raison de l’engagement de Barbara au coté des malades du Sida, prend une autre dimension).

L’évolution de Barbara est symptomatique de celle de la chanson des décennies 80 et 90. La “petite soeur” des Brel, Brassens, Ferré inaugure au début des années 80 un nouveau type de relation avec le public (qui a commencé : la poule ou l’oeuf, Barbara ou le public ?) qui fera florès parmi les interprètes les plus en vue de cette fin de siècle (de Renaud à Thiéfaine, en passant par Daho, Cabrel, Souchon, voire Lavilliers et Higelin).


BARBELIVIEN (Didier)

Cet auteur compositeur prolifique a écrit pour Gérard Lenormand, Michèle Torr, Hervé Vilard, Guy Mardel, Enrico Macias, Philippe Lavil, Michel Sardou, parmi d’autres. Deux chansons méritent d’être retenues, celles qui font connaître Patricia Kass : Mademoiselle chante le blues et Mon mec à moi. A partir des années 80 Barbevilien entame une carrière de chanteur (seul ou en duo avec Félix Gray). Ces chansons, auquel l’adjectif médiocre rend le plus justice, ne sont pas sans rencontrer un certain succès (ce qui n’est nullement incompatible comme on peut l’observer par ailleurs). Didier Barbevilien, soutien connu et affiché de Nicolas Sarkozy, affirme par ailleurs admirer Léo Ferré. Ici c’est rigoureusement incompatible.


Barbès-Clichy (Mano Solo)

En 1995 peut-on encore évoquer un Paris populaire ? Les ouvriers ont été chassés de la capitale vers la banlieue, et les artisans n’existent plus que dans le souvenir des chansons. Le populaire changerait de visage. En cette fin de vingtième siècle il s’agit d’un Paris où l’Afrique tient le haut du pavé, devant l’Asie et les franges les plus déshéritées de la vieille Europe. On peut s’en faire quelque idée en prenant le métro aérien entre Barbès et Clichy. En y ajoutant les touristes ce sont les langues des cinq continents que l’on peut entendre. Y compris l’espagnol, comme le chante ici Mano Solo : “Paris prend moi dans tes bras de Barbès à Place Clichy / c’est là que j’aime à perdre ma vie / esperame esperame llego pronto Paris “.


BARCLAY (Eddie)

Monsieur Barclay / m’a signifié / “Léo Ferré / on met l’paquet / afin que j’puisse / bien matraquer / à Europe UN / et chez Fontaine / et chez Lourier / et chez Dufrêne” / et moi pas fou / du tac au tac / j’ai dit “Mon loup / v’l’a ta matraque / YES, YES, BOUM BYE / TIRA ME LA GAMBA / TIRA ME LA GAMBA / YES, YES, BOUM BYE ...


BARDOT (Brigitte)

Les carrières de chanteuses de Brigitte Bardot et Jeanne Moreau sont curieusement parallèles dans un premier temps : toutes deux se font ici connaître par une chanson extraite d’un film (Le tourbillon pour Moreau ; et Sidonie pour Bardot, dans “Vie Privée” de Louis Malle). Puis toutes deux enregistrent en 1963 leur premier album. Des parallèles qui finiront par se rencontrer lors du tournage du film “Viva Maria” (toujours de Louis Malle) où les deux actrices phares du cinéma français chantent, dansent et jouent la comédie.

Plusieurs fées se sont penchées sur le berceau de Brigitte Bardot, la chanteuse, lors de la confection de son premier 33 tour. Jean-Max Rivière et Gérard Bourgeois lui écrivent cette Madrague qui colle à la peau de l’interprète (mais aussi C’est rigolo, Invitango, puis viendront ensuite Moi je joue, On déménage), Serge Gainsbourg lui cisèle L’appareil à sous (première d’un cycle qui se poursuit avec Bubble gum), enfin Claude Bolling apporte à certaines des chansons du disque une couleur musicale qui met en valeur la voix acidulée et traînante de Bardot.

L’année 1967 reste le point culminant de l’association Gainsbourg-Bardot : tous deux chantent en duo Bonny and Clyde et Je t’aime moi non plus (cette version attendra l’édition CD pour être commercialisée), et Bardot interprète la seconde chanson emblématique de son répertoire, Harley Davidson (“Quand je sens en chemin / Les trépidations de ma machine / Il me monte des désirs / Dans le creux de mes reins “). Deux disques suivront (Tu veux ou tu veux pas, Nue au soleil), et puis c’est tout : Brigitte Bardot mettra fin à ses carrières de comédienne et de chanteuse. Enfin, contrairement à ce que prétend une légende tenace, Bardot n’a jamais enregistré La complainte du phoque en Alaska.


BARROUH (Pierre)

L’éditeur musical ferait de l’ombre à l’auteur-interprète qui connut (associé à Nicole Croisille) le succès avec la chanson du film “Un homme et une femme” (le fameux “chabadabada, chabadabada “). L’aventure des Éditions Saravah est certainement l’une des expériences les plus originales (une originalité alliée à l’exigence) que l’on ait pu connaître en matière d’édition musicale. Et puis un éditeur qui écrit sur le marbre de sa maison d’édition “Il y a des années où l’on a envie de rien faire” ne peut être mauvais.

La carrière de Pierre Barrouh chanteur s’étale sur deux périodes (Un homme et une femme étant la césure). Les années AZ d’abord : celles de Tes dix huit ans, Le roman (et leur attachante couleur musicale due à Maurice Vander), Le tour du monde (la chanson la plus réussie des quatre 45 tours : “Quand on a fait le tour du monde / On a plus qu’à recommencer / Fallait pas entrer dans la ronde / Il ne fallait pas commencer “), Ce n’est que de l’eau (première incursion du chanteur dans l’univers de la bossa-nova), La chanson du port, Le courage d’aimer. La seconde partie de la carrière de Pierre Barrouh (Le petit ciné, La nuit des masques), plus en pointillée, s’effectue sous le label Saravah. On ne saurait oublier que Pierre Barrouh (sur une musique de Francis Lai, le compositeur de la plupart de ses chansons) a écrit les paroles de La bicyclette, popularisée par Yves Montand.


BARRIÈRE (Alain)

En pleine vague yé yé Alain Barrière arrive à imposer sa voix (ses interprétations ne manquent pas de conviction) et son répertoire (il est auteur-compositeur). Deux chansons (Elle était si jolie et surtout Ma vie) connaissent le succès. On y ajoute quelques années plus tard Tu t’en vas. En abusant d’une formule (celle de Ma vie), Alain Barrière avait auparavant enterré les espoirs que ses premières chansons laissaient augurer.


BASHUNG (Alain)

Après de longues années de “galère” ponctuées par la parution de plusieurs 45 tours, Alain Bashung sort un premier album (1979) pas encore satisfaisant, puis un deuxième, “Roulette russe”, qui connaît le succès dans un second temps (après celui, plutôt inattendu, de la chanson Gaby oh Gaby, sortie en 45 tour). Un troisième 30 cm, “Pizza”, dans la même veine, bénéficie de surcroît de la présence de Vertige de l’amour, plébiscitée par le public. En deux albums, Bashung impose un univers (qui doit beaucoup au parolier, Boris Bergman), un style d’interprétation qui le distingue de ses pairs, et une couleur musicale (d’un rock soucieux de faire sonner les mots). Les deux disques suivants, plus expérimentaux (toujours dans une veine rock) ne cherchent nullement à caresser le poil du public ayant fait le succès de Gaby oh Gaby et Vertige de l’amour. Le premier, “Play blessures”, sur des paroles de Serge Gainsbourg, étonne par la capacité de Bashung d’intégrer Gainsbourg dans son univers. Dans le second, “Figure imposée”, Alain Bashung participe à l’écriture des textes (co-écrits avec Pascal Jacquemin). Trois ans s’écoulent avant la parution (1986) d’un nouvel album, “Passé le Rio Grande”. Plus accessible, ce disque fait des incursions du coté du western (Helvete underground) ou du rockabilly (Malédiction). Alain Bashung y retrouve son vieux complice Boris Bergman. Avec “Novice” (1989), Bashung continue à surprendre dans cet album new wave qui prolonge les expérimentations de “Play blessures” et “Figure imposée”.

Osez Joséphine” ouvre les années 90. Ce disque se partage entre des reprises de classiques du rock anglo-américain et des chansons d’une facture country (Osez Joséphine et Les grands voyageurs). A l’instar de la chanson-titre Bashung retrouve le chemin du succès. Cependant cet album vaut surtout par la présence de Madame rêve, titre majeur dans l’évolution à venir du chanteur. Le disque suivant, “Chatterton”, tout en affirmant une diversité (celles des différentes facettes des albums précédents), se situe pour le mieux dans le prolongement de Madame rêve : citons ici A perte de vue, Un âne plane, L’apiculteur. Par ailleurs l’utilisation ici ou là de la trompette lorgne du coté d’un jazz façon Miles Davies. Le succès rencontré par le titre Ma petite entreprise n’a pas été sur le moment sans occulter l’aspect novateur de cet album. Ce ne sera que partie remise. Les textes, co-signés Alain Bashung - Jean Fauque, le resteront tout au long de la carrière du chanteur (à l’exception du dernier disque).

Quatre ans plus tard, Bashung sort son onzième album studio, “Fantaisie militaire”. Saluée par la critique ce disque élargit encore plus le public du chanteur. Tois titres, et non des moindres, portent la griffe des Valentins (ces deux talentueux musiciens, présents sur toutes les plages du disque, co-signent les musiques de Malaxe, Dehors et La nuit je mens, l’une des incontournables de Bashung : “J’ai fait la cour à des murènes / J’ai fait l’amour / J’ai fait le mort “). La chanson-titre, Fantaisie militaire, donne à entendre le meilleur d’une musique (sous l’étiquette rock) dans l’hexagone à la veille du XXIe siècle. Et pourtant Alain Bashung par ailleurs s’émancipe d’un genre qu’il avait contribué à défendre depuis 20 ans. L’évolution amorcée avec Madame rêve se poursuit : autant de part l’interprétation (dans un registre parlé-chanté), qu’en raison de la présence de cordes (arrangées par Joseph Racaille), ou encore le ton, plus sombre, des textes.

Nous allons faire une exception à la règle de ce dictionnaire en mentionnant l’album suivant, “L’imprudence”, sorti en 2002. Car ce disque représente l’ultime jalon de l’évolution évoquée ci-dessus. C’est dire qu’elle accouche ici d’un chef d’oeuvre. Album crépusculaire, pur diamant noir, “L’imprudence” excède un genre (comme 35 ans plus tôt les Beatles avec “Sergent Pepers...”, ne craignons pas la comparaison !) sans pour autant franchir la ligne qui séparerait un rock disons “progressif” de la musique contemporaine, ou assimilée. Tout concours à la réussite de ce disque : l’alchimie texte / musique, le ton qui en découle (Bashung parle plus qu’il ne chante et met ainsi en valeur les mots), les arrangements des cordes et des cuivres, la qualité des instrumentistes (en particulier un piano, jamais tant présent chez Bashung). Il faut remonter aux Brel, Brassens, Ferré, Nougaro des années 70 pour retrouver un tel équivalent de réussite (à l’échelle certes de la notoriété car, entre temps, un Mano Solo ou deux Guidoni pourraient figurer...).

Dans un dossier de 12 pages consacré à Alain Bashung, après le décès du chanteur, Libération ne cite pas un seul instant cet album (contrairement à tous les autres). Déjà, durant les années 70, les journalistes de la rubrique rock du quotidien s’étaient illustrés en “crachant” sur Brel et Ferré. Il y aurait comme une permanence dans la surdité chez ces “vieux jeunes gens”. Là, sans le dire explicitement, on reprocherait à Bashung de s’éloigner du rock. Heureusement, à les lire, qu’avec un “Bleu pétrole”, ensuite, Alain Bashung revenait aux fondamentaux. Pas d’imprudence au royaume des sourds ! Passons. “L’imprudence” (le titre de l’album n’a rien d’anodin) prouve, rétrospectivement parlant, combien Bashung savait le cas échéant décevoir (une déception indexée sur l’attente du public) pour mieux emprunter ces chemins de traverse qui restent la marque de l’exigence : lesquels devaient tôt ou tard aboutir à “L’imprudence”.


BAUDELAIRE (Charles)

Serge Gainsbourg a mis en musique en 1962 le poème “Le serpent qui danse” sous le titre Baudelaire. Cependant, s’il faut ici associer un nom à Baudelaire, on citera d’abord et avant tout celui de Léo Ferré, dont deux disques portent le témoignage. Dans un premier, sorti en 1957, Ferré avait adapté douze poèmes des “Fleurs du mal”. Si la réussite n’est pas toujours au rendez-vous (excepté La mort des amants), il n’en va pas de même avec le superbe double album de 1967. Citons pour le mieux Spleen, A une malabranaise, Tu mettrais l’univers, L’albatros, Le flacon, Le vin de l’assassin, Une charogne, Le vert paradis. La palme revenant à La servante au grand coeur : ce poème devient bouleversant, plus que nous l’accorde la lecture, quand cette voix et cet accompagnement musical nous le font revivre ainsi dans ce registre volontairement pathétique (en écoutant le choeur “d’outre-tombe”, cet admirable choeur d’hommes, n’entend-on pas les morts, “les pauvres morts “ du poème !).


BÉART (Guy)

Lors de la célèbre altercation qui, sur le plateau de Bernard Pivot, opposa Guy Béart et Serge Gainsbourg la logique voulait que l’on défendit sur le plan du principe (“La chanson n’est pas un art mineur”) la position de Béart. C’est pourtant le contraire que l’on retint ce soir-là : Gainsbourg s’en tira à son avantage et mit les rieurs (et les autres) dans sa poche. Cette anecdote illustre ce qui “fait problème” chez le Guy Béart de la seconde période : celui de La vérité, Le grand chambardement, L'espérance folle, C’était plus beau hier, Idéologies. Béart seconde manière a écrit des chansons qui se voulaient ambitieuses sans pour autant avoir toujours les moyens de leur ambition. On aimerait l’intéressé plus modeste. Guy Béart annonce trop la couleur (en en exceptant, sans craindre le paradoxe, Couleurs et Les couleurs du temps qui échappent à cette critique). Et puis le coté mi-chèvre mi-chou, ni gauche ni droite (même si Tohu bohu figure parmi les chansons “anticontestataires” de l’après 68), ou engagé / désengagé de certaines chansons laisse dubitatif. Ajoutant plusieurs années plus tard quatre vers à Qui suis-je, Guy Béart écrit : “Nous sommes, en somme / Femmes, enfant et hommes / Nous sommes, en somme / Les sauveurs du matin “. Ce qui, pour rester dans la rime, “ne mange pas de pain”.

Ceci dit, Guy Béart à ses débuts incarnait l’un des renouveaux de la chanson française du moment. Le principal mérite de son répertoire “première manière” serait de nous restituer quelque chose d’un parfum de la fin des années cinquante ou du début de la décennie suivante qui, toute proportion gardée, renverrait à un esprit “nouvelle vague”. Ce qui n’est pas un mince compliment. Il est vrai que Béart alors se prenait moins au sérieux et cultivait une fantaisie de bon aloi. On pense en particulier à des chansons comme Chandernagor, Le chapeau, Le quidam, Poste restante, Allô tu m’entends. On peut par ailleurs, compte tenu des limites vocales du chanteur, préférer les trois “meilleures” (ou presque) chansons de Guy Béart, Il n’y a plus d’après, Bal chez Temporel (sur un poème d’André Hardelet), La Chabraque, dans les interprétations respectivement de Juliette Gréco, Patachou et Pia Colombo. Le dernier titre cité est l’un des quatre textes de Marcel Aymé mis (excellemment) en musique par Béart. Nous ne sommes pas près d’oublier “La Chabraque, la Chabraque / Qu’avait d’la défense et d’l’attaque / La chabraque, la chabraque / Qu’avait un chien fou, un chien loup “, portraiturée ainsi par Marcel Aymé : “Une blonde malabar les yeux durs / J’peux pas mieux dire la découpure “.


BEAUCARNE (Julos)

Ce conteur né, écologiste avant la lettre, doux utopiste, fondateur du “Front de libération des arbres fruitiers”, dont les textes distillent une poésie tendre, une sagesse malicieuse (De mémoire de Rose, Le petit royaume) ou une truculence toute wallonne sait aussi trouver les mots justes pour parler du Chili (Lettre à Kissinger, écrite sur la mort tragique de Victor Jara : “une rafale de mitraillette / abattit alors mon ami / celui qui a pointé son arme / s’appelait peut-être Kissinger “), ou se servir des mots des autres (Hugo, Nadaud, Verlaine) pour les intégrer dans son propre univers (Je ne songeais pas à Rose, Si la Garonne elle avait voulu, Mon rêve familier). Dans sa reprise de la chanson traditionnelle La p’tite Gayole, Beaucarne y a intégré le fameux Nous sommes 180 millions de francophones, dont l’énumération (un régal !) vaut largement toutes les professions de foi francophones entendues ici ou là.

Julos Beaucarne n’a cependant pas reçu dans l’hexagone l’accueil que méritait l’originalité de son talent. Claude Nougaro contribua au milieu des années soixante-dix a mieux faire connaître le chanteur belge en interprétant Lettre ouverte de Julos Beaucarne (reprise dans l’album “Femmes et famines” : un texte bouleversant sur la mort de l’épouse de Julos Beaucarne “assassinée par un homme devenu fou “ qui se clôt par “Je pense de toutes mes forces qu’il faut s’aimer à tort et à travers “).


BEAU DOMMAGE

Entre les Leclerc, Vignault, Ferland, d’un coté, et une nouvelle génération rock’n’roll (Charlebois, Forestier, Dufresne) il y avait de la place pour un groupe comme Beau Dommage. L’une des leurs chansons, La complainte du phoque en Alaska, connaît le succès des deux cotés de l’Atlantique et est reprise par Félix Leclerc. Le groupe se dissout au bout de cinq ans (en 1978). La plus forte personnalité du groupe, Michel Rivard, poursuivra une carrière en solo.


BÉCAUD (Gilbert)

N’a-t-on pas tendance à oublier Gilbert Bécaud ? Cette désaffection, même relative, inciterait à réhabiliter celui que l’on appelait “Monsieur 100 000 volts” à ses débuts, dont le répertoire, de qualité inégale, comporte néanmoins des chansons dignes d’intérêt, sinon plus. Bécaud, compositeur et interprète, a d’abord travaillé avec Louis Amade (Les croix, La balade des baladins, C’était mon copain), et Pierre Delanoé (Mes mains, Je t’appartiens, Pour qui veille l’étoile). Maurice Vidalin les a ensuite rejoint (Le mur, Le bateau blanc, La grosse noce) ; puis d’autres, dans les années soixante-dix et quatre-vingt (Claude Lemesle, en particulier) se joindront au trio. Ces auteurs ont su en usant de moyens différents lui trousser ce répertoire “sur mesure” que Bécaud l’interprète défendait avec maestria en public : l’énergie et l’engagement de Gilbert Bécaud sur scène n’avaient pas d’équivalent. On reconnaîtra (s’il faut revenir sur la “désaffection” évoquée plus haut) que les prestations scéniques du chanteur renvoyaient souvent à un exercice en voie de disparition : celui de la chanson “racontant une histoire”. Et Bécaud le faisait excellemment en donnant un supplément d’âme à la dite chanson (plus que ne le laissait deviner le texte). On citera ici parmi de nombreux exemples, Rosy and John.

Gilbert Bécaud, musicalement parlant, prend la succession de Charles Trenet en introduisant une rythmique (quelque part en jazz et rock) inusitée dans les années cinquante : illustrée par les irrésistibles Viens danser et Quand tu danses ou la méconnue Contre vous. Bécaud sera d’une certaine façon le parrain de la génération yè yè (Salut les copains et Âge tendre et tête de bois : deux chansons sorties en 1957 et 1960, devenues les titres de deux célèbres émissions de radio et de télévision en direction des teen-agers). Durant la décennie 60 des rythmes venus du Québec (Quand Jules est au violon et Mademoiselle Lise, entre autres chansons) viendront relayer les précédents.

Dans une carrière jalonnée de nombreux succès (Alors raconte, Le pianiste de Varsovie, Les marchés de Provence, Le jour où la pluie viendra, pour les années cinquante ; Je t’attends, Et maintenant, Nathalie, Quand il est mort le poète, Je reviens te chercher, L’important c’est la rose, pour les années soixante ; La solitude ça n’existe pas, Un peu d’amour et d’amitié, L’indifférence, pour les années soixante-dix ; ou encore Désirée, années quatre-vingt), quelques uns d’entre eux pêchent par un certain conformisme (Dimanche à Orly, On prend toujours un train quelque part), quand d’autres se signalent par un contenu antiraciste (L’orange, à une époque où cela n’était pas courant) ou l’invention verbale (l’étonnant Croquemitoufle). Et puis, pour évoquer le compositeur on ne fera pas grief à Bécaud d’avoir chanté la même chose toute sa vie : son répertoire s’avère de ce point de vue l’un des plus diversifiés qui soit. On est même étonné, le réécoutant, de relever la variété des thématiques musicales : du gospel à la ballade traditionnelle, en passant par le jazz, le rock, les musiques cajun, québecquoise, slave, bavaroise, la chanson de charme, ou celle faisant appel à un bagage “classique”. Bécaud aura composé dans tous les genres à l’exception d’une certaine tradition du “baloche” : valse, tango, java).

Un super 45 tour sorti en 1964 pourrait représenter un concentré de l’art de Bécaud. En mettant de coté l’oubliable Mourir à Capri, on y trouve trois chansons écrites respectivement par Amade, Delanoé et Vidalin. La première, T’es venu de loin, la plus connue (sur un thème de gospel), un petit chef d’oeuvre de concision, bénéficie d’une remarquable interprétation. On peut, comme l’auteur de ces lignes, être indéfectiblement athée et apprécier la façon dont Amade et Bécaud revisitent l’un des aspects de la légende chrétienne. La seconde, Dis Mariette, nous replace dans le contexte d’une époque avec des rêves de gosses s’imaginant conquérir le monde sur trois accords de guitare (et ainsi quitter l’usine). La troisième, Plein soleil, est l’une des entrées de ce dictionnaire.


BELLE (Marie-Paule)

Contrairement aux Pierre Perret, Pierre Vassiliu, Pierre Louki, et autres représentants de l’église “rigolo-fantaisiste”, Marie-Paule Belle n’a pas su imposer la partie de son répertoire “grave”, “tendre” ou “sérieux” que lui concoctaient ses paroliers Michel Grisolia et Françoise Mallet-Joris. Cette chanteuse est, et restera l’interprète de Wolfang, Les petits patelins et La parisienne, son plus gros succès (toujours écrites par les mêmes sur des musiques de Marie-Paule Belle). On ajoutera que la chanteuse tire davantage son épingle du jeu dans ce registre fantaisiste.


Belle (Luc Plamondon - Richard Cocciante)

Ce tube de l’année 1999 (primé aux “Victoires de la musique”) figure parmi les chansons de la comédie musicale “Notre Dame de Paris”. C’est l’exemple devenu rare d’une rengaine (comme il s’en écrivait encore beaucoup il n’y a pas si longtemps) que l’on fredonne ou siffle dans la rue ou à l’intérieur de sa salle de bain. Ce gros succès s’explique principalement (et paradoxalement) par la quasi disparition de la chanson de type traditionnel. Il ne parait pas certain que le “grand public” s’en accommoderait. Sinon pourquoi aurait-il fait pareil accueil à Belle et autres chansons de cette insipide comédie musicale ?


BÉRANGER (François)

Depuis Tranche de vie (“J’en suis encore à m’demander / Après tant et tant d’années / A quoi ça sert de vivre et tout / A quoi ça sert en bref d’être né “), François Béranger n’a cessé de creuser le même sillon : ses chansons fustigent sans ménagement société, pouvoirs et puissants. Les réussites de ce parcours de combattant s’appellent Tango de l’ennui, Une ville, Le monument aux oiseaux, Magouilles blues (“Tous les sept ans et même parfois avant / On a droit au grand carnaval / Au Carnaval de la magouille / Au grand défilé des andouilles “). On retrouve dans les premiers albums de Béranger un climat particulier aux années soixante-dix (du coté de “L’an 01” de Gébé, ou du cinéma de Claude Faraldo). Et puis, encore et toujours les coups de gueule politiques du chanteur “à la grosse voix” (dont on regrette que certains ne soient pas portés par une langue capable de leur donner plus de résonance).


BÉRARD

Ce “chanteur à voix” excellait dans le genre grandiloquent. L’océan l’illustre et le mélodramissime Train fatal remporte la prime de l’humour involontaire (citons les derniers vers de la chanson : “Pourquoi ces pleurs, ces cris ? Pourquoi ces orphelins ? / Pour un simple, un tout petit rien / L’infidélité d’une femme “). Le chantre de l’épopée napoléonienne (Le rêve passe) n’aura pas à forcer son talent pour devenir celui de la boucherie de 14-18 (Verdun ! on ne passe pas !).


BERGER (Michel)

Ce touche à tout (producteur, musicien de films, auteur-compositeur, interprète) fait figure de mentor pour la “génération vibrato” apparue durant les années 70 : il ne fut pas étranger au démarrage de la carrière d’une Véronique Sanson, et il écrira pour sa compagne France Gall de nombreuses chansons à succès. Michel Berger a également écrit pour Françoise Hardy et Hallyday. Il a composé sur un livret de Luc Plamondon la musique de l’opéra rock “Starmania” : Le blues du businessman ou Le monde est stone parmi les titres les plus connues L’interprète Michel Berger est plus en retrait. Sans aller jusqu’à dire que son répertoire serait Superficiel et léger (pour reprendre le titre de l’une de ses dernières chansons) on le trouvera généralement monocorde ou représentatif du style de l’époque (selon les goûts ou les couleurs).


BERGMAN (Boris)

On est surpris de découvrir que le parolier de presque la moitié des chansons d’Alain Bashung avait auparavant écrit pour Greco (Les feuilles de tabac), Dalida (Darladirladada), Nicoletta, Nana Mouskouri, Richard Anthony, France Gall, Gilles Dreu, Marie Laforêt, etc. Sa participation au disque “Samouraï” de Christophe représente une bonne transition pour en venir à Bashung. On sait ce qu’à donné cette collaboration (Gaby oh Gaby, Vertige de l’amour, Bombez, parmi les titres les plus connus). On pourrait parler d’une “Boris Bergman touch”, cependant difficilement exportable en dehors de ce compagnonnage (en ajoutant que Bergman a souvent été imité à partir de la seconde moitié des années 80). Après les “années Bashung” le parolier va travailler prioritairement pour Paul Personne, tout en écrivant pour Maxime le Forestier, Axelle Renoir...


BÉRIMONT (Luc)

La chanson dite poétique, “à texte”, ou de qualité doit beaucoup à Luc Bérimont. Pendant de longues années, sur les ondes de la R.T.F., puis celles de France-Inter, à travers l’émission “La fine fleur de la chanson française” mais également comme journaliste et producteur de radio, de télévision, d’une maison de disque, Bérimont a défendu cette chanson-là durant le troisième quart de siècle. Il a révélé, parmi d’autres auteurs-compositeurs, Jacques Bertin et Anne Vanderlove. D’aucuns relèvent que Luc Bérimont privilégiait et servait ainsi la chanson dite “à texte”, plutôt rive gauche, d’une diffusion quelquefois restreinte, au détriment d’une autre, plus musicale et plus branchée sur son temps. De quoi se plaignent-ils ? La première ayant disparu corps et biens durant les vingt dernières années de siècle !

Luc Bérimont, le poète, se rattache à l’école de Rochefort. Plusieurs de ses poèmes ont été mis en musique par Jacques Douai, Jacques Bertin (qui lui a consacré un disque), Lise Médini (Numance), Léo Ferré (Soleil, et l’attachante Noël : “J’avais des amours, des amis sans nombre / Des rires tressés au ciel de l’été / Lors, me voici seul, tisonnent les ombres / Le charroi d’hiver a tout emporté “). Notre collègue Jean Rousselot, dans son “Dictionnaire de la poésie française contemporaine”, estime lui : “Bérimont a cédé au sortilège et aux facilités de la chanson...”. Voilà un propos à mettre en parallèle avec celui relevé auparavant. Quelqu’un à qui l’on reproche une chose et son (presque) contraire ne peut être totalement mauvais.


BERNARD (Michèle)

Bénéficiant de la rumeur en provenance du Printemps de Bourges (la découverte de ce printemps 1978 s’appelle Michèle Bernard), le premier album de la chanteuse, de suite associée à son accordéon, ne pouvait laisser indifférents les amateurs d’une chanson que l’on disait en perte de vitesse. On y entend une jeune femme révoltée : à l’instar des Petites filles (“bien élevées (...) à l’abri des révolutions “), du Monsieur qui s’engraisse (à qui l’on promet de de dégonfler la panse), de la ville travail, ville mépris, ville méfiance de Ce soir je n’entends rien; Et puis cet album comporte l’indispensable Les petits cailloux (la première carte de visite de la chanteuse) : un petit caillou capable de prendre l’apparence d’un pavé que l’on jette “dans cette mare de médiocrité “. Et l’interprète, déjà bien dotée vocalement, ajoute en plus une expression qui emporte l’adhésion.

Dans le second disque, plus diversifié sur le plan musical, deux chansons retiennent l’attention : Maiaikovki, et Sur ces routes grises (“Des têtes souriantes sur les affiches / Nous donnent des conseils / Petite famille aseptisée / Papa-maman-bébé / A voir leurs gueules on enlèverait / Sa ceinture d’sécurité “). Avec le troisième album Michèle Bernard trouve ses marques. C’est le ton que l’on entendra dans les disques qui suivront. Les chanteuses populaires témoigne d’une dette envers la “chanson réaliste” (une dette plus qu’une filiation), et La dame pipi porte le bagage d’une chanteuse de blues (le bagage plus que le registre). Deux chansons, plus encore, sont à retenir dans cet album d’un très bon niveau : Le coeur en dessous de zéro, ou la compassion que l’on retrouvera souvent dans les chansons de Michèle Bernard envers les “laissés pour compte” de notre société. Une compassion qui se trouve comme il se devrait associée à la colère, car “Ça vous remonte la colère quand on va vers l’hiver “. Et Le bon coté de la charité : soit le très compréhensif agacement de la chanteuse devant le phénomène de “charité business” apparu durant les années 80, et dont certains de “nos amis les chanteurs” se font alors les propagandistes des causes diverses. Un quatrième disque, plus inégal, comprend néanmoins deux chansons que Michèle Bernard reprendra ensuite à juste titre dans un album public venant clore les années 80 : Six pieds sous terre et Maintenant ou jamais.

La décennie 90 s’ouvre sur l’expérience collective, féminine et publique “Des nuits noires du monde”. On retrouve dans ce disque quelques uns des thèmes récurrents des chansons de Michèle Bernard : la situation faite à “l’étranger”, la xénophobie, l’intolérance. On n’fait pas d’omelette y répond sur le mode de la dérision mais non sans efficacité. Mon paillasson témoigne de ce repli frileux : “Y’a beau avoir écrit Welcome sur mon paillasson “. Fais moi un manteau nous habille de tous les mots du monde, de ces mots de “bonjour et d’accueil” comme disait Verlaine. Et puis cet album polyphonique se termine par la plus belle des chansons de Michèle Bernard : Nomade. On ajoute à l’attention de qui demanderait “et la musique alors ?”, que Michèle Bernard trouve ici plus qu’auparavant (et cela vaudra pour les deux disques suivants) une couleur accordée aux paroles des chansons. C’est celle-ci et nulle autre.

Quand vous me rendrez visite”, ensuite (sorti en 1997), témoigne de la maturité de la chanteuse (et reste à ce jour le meilleur album de Michèle Bernard). D’emblée, avec l’attachante chanson-titre, accordéon et voix donnent le ton du disque. A le décliner, les chansons circonscrivent un univers bien éloigné de la production courante de cette fin de siècle. Tel ce Cheval (le facteur de toutes les gratitudes : vingt ans, n’est ce pas, pour construire ce fabuleux palais). Le temps, toujours, qui peut s’avérer pesant quand il y est question de ce quotidien poisseux, celui de Comme par hasard. On y essuie le sang qui coule de l’écran télé (mais c’est pour rire avec Les temps sont durs), et l’on se risque à interpréter les points de suspension de Pour une môme. Michèle Bernard sait décrire la solitude des bistrots, le destin des vies perdues dans un verre d’alcool : celle et celui des personnages de L’Eldorado. Et qui d’autre, le temps d’un refrain ou d’un couplet, a-t-il associé Les vieux les enfants ? La prison et l’univers carcéral n’inspirent plus tellement les auteurs de chansons en cette fin de siècle. Le pêcheur matinal s’y réfère sur le mode “c’est davantage les petits poissons que les gros que l’on retrouve entre quatre murs”. Et que dire de cette valse musette qui emporte tous les Pyjama du monde. “La pudeur y coud des boutons “ avant d’évoquer, au détour d’un vers, cette “vieille photo de Tremblinka “. Michèle Bernard n’oublie pas pour autant le monde enchanté de l’enfance dans Je guette la nuit. Une chanson à laquelle font écho les mots de Pablo Neruda et de René-Guy Cadou dans cette petite cantate qui a pour nom Pentes rousse / l’étrange douceur.

Pour finir le siècle, Michèle Bernard consacre un disque (“Voler...”) aux “gens d’ici et d’ailleurs” : à Maria Szusanna, la manouche, Madame Tiou, l’arménienne, aux “sans papiers” de Noire nounou, aux “quinze gamins “ noirs de Tutsi Hutu, aux étrangers qui donnent des couleurs au Paname de Boyaux de Paris, et à toux ceux (black, jaunes, beurs, ritals, juifs, auvergnats, et autres) qui font une chouette de “méli-mélo dis Boby ! “ de C’est un rital. Le voyage se poursuit sur le voilier des femmes voilées, à qui Michèle Bernard fait prendre la mer et le vent du large pour les transformer en voiles de voiliers : “Femmes voilées / Mettant les voiles “ (Un voile). Alors c’est fini, “on change plus la vie “ ? Une question à laquelle la chanteuse répond de belle manière : “Et pourtant la vie / C’est une môme aussi / Qui salit toujours ses langes / Faut bien pourtant que quelqu’un la change (...) Un peu de folie . C’est jamais fini / Change moi dit la vie “. Un mot “fin” que l’on retient le temps d’une dernière chanson, Cadou s’est endormi : “On referme le bouquin / Le poème poursuit son chemin “.


BERTIN (Jacques)

Après deux disques prometteurs, Jacques Bertin donne pleinement la mesure de son talent avec son troisième album. Dans un lot de chansons dont les mélodies n’ont pas à rougir devant la qualité poétique des textes (A la pointe de l’averse, Louvigné du désert, Je parle à celui qui a manqué le train, plus particulièrement), Je voudrais une fête étrange et très calme mérite la palme de la singularité. Cette chanson nous invite à venir franchir le miroir sans le secours d’une quelconque Alice : les mots de Bertin suffisent à nous guider.

Les trois disques suivants (qui s’étalent sur la décennie 70) ont contribué à établir la réputation de Jacques Bertin, en imposant un style et un univers qui ne doivent rien à personne. On réalise ici combien cet auteur-compositeur-interprète occupe une place à part dans le monde de la chanson. D’abord nul ne sait chroniquer le quotidien comme Bertin. Dans Claire, par exemple (“Entends / Le disque tourne à vide / Entends tu le silence / Un pas dans l’escalier décroît / Il ne fait pas tout à fait nuit “), l’auteur procède par touches successives. On y respire entre chaque couplet, un fait suffisamment rare pour être souligné. Une nouvelle façon d’écrire des chansons nous est donnée, imperceptiblement. Ensuite Jacques Bertin est un homme engagé, mais dont l’engagement éloigné de toute posture sartrienne vient se ressourcer dans le quotidien. L’actualité n’est cependant pas absente des chansons du répertoire de ces années là : A Besançon, l’incomparable Roman, ou encore Menaces (qui ouvre en 1977 le dernier disque de ce cycle et clôture d’une certaine façon la thématique politique).

Paru en 1980, l’album “Les visites du bout du monde” déçoit surtout parce que Bertin force sa nature dans un registre qui ne parait pas lui convenir. Ces années quatre-vingt apparaissent plus diversifiées. Jacques Bertin y enregistre pour la première fois un disque de chansons (“Changement de propriétaire”) dont il n’est pas l’auteur. L’album suivant est lui consacré à Luc Bérimont. On relève également deux enregistrements publics.

L’album “La blessure sous la mer” (1993), sans doute le plus intériorisé de l’auteur, accorde une place privilégiée aux blessures du coeur (citons Merci pour les jours heureux, L’éphémère et la durée, Je vous écris pour vous dire que l’on souffre). Trois ans plus tard Jacques Bertin sort “Hôtel du grand retour”. Il s’agit là d’un retour, et pas n’importe lequel puisque Bertin signe son meilleur disque. On y trouve une énergie communicative (la chanson-titre l’illustre : “Tu vas revenir par les flammes / Le lino usé de la mer / Le film qui rugit sous la lame / Qui brille et se tord à l’envers “), ou encore Méchanceté, et la gravité de l’album précédent (Vieil avare, C’est un amour encore perdu, L’espérance). Une gravité renforcée par le piano, très présent dans la moitié des chansons : les “années guitare” semblent loin ! Un piano qui sait se faire rare pour aller à l’essentiel dans la belle et troublante Femme triste (“Faites sarments de votre mal / Pour brûler prenez vos tourments “). Jamais Bertin n’a tant chanté à rebours de l’époque dans cette chanson où chaque mot est médité, dit et prononcé comme malheureusement la chanson contemporaine ne le donne plus à entendre en cette fin de siècle.


BERTOLA (Jean)

Possédant de nombreuses cordes à son arc (pianiste, compositeur, arrangeur), Jean Bertola fut également un temps chanteur vers la fin des années 50. Il abandonne cette carrière pour celle de directeur artistique tout en restant compositeur. Proche de Georges Brassens il sera en quelque sorte adoubé post mortem par ce dernier pour enregistrer les chansons que Brassens n’avait pas eu le temps de graver dans la cire (1982). Deux ans plus tard un nouveau disque d’inédits de Brassens sortait, comportant des chansons achevés et d’autres que Bertola avait mis en musique.


BESSIÈRES (Louis)

Ce compositeur méconnu a débuté dans l’entre-deux guerres avec le groupe Octobre (Marche ou crève : texte de Prévert). Trente ans plus tard Serge Reggiani fait appel à lui pour son premier disque (consacré à Boris Vian, en particulier Arthur où as-tu mis le corps). Cette collaboration se poursuit avec Les loups, Les affreux (toutes deux sur des textes de Vidalie), et l’adaptation de La balade des pendus de Villon. Entre temps, au début des années cinquante, Bessières avait signé sur des vers d’Apollinaire la musique de Saltimbanques (chantée par Yves Montand) : une gageure et une réussite.


Betty (Bernard Lavilliers)

Dans cette chanson passent la tendresse et la sensibilité de Bernard Lavilliers (et aussi une colère rentrée, très légitime) pour évoquer Betty dans “La nuit carcérale “ : “Betty faut pas craquer / Betty faut pas plonger / Je sais, ils t’ont couchée là / Et puis ils ont fermé leurs barreaux d’acier / Betty faut pas pleurer / Betty faut pas trembler “. En contrepoint nous entendons des guitares rivalisant de délicatesse. Un jour, peut-être, allez savoir, la prison sera abolie. Pourtant, même si l’on en termine définitivement avec “la nuit carcérale” gageons que l’on continuera d’écouter Betty.


BIJOU

Ce groupe de rock fait le lien entre la génération des Triangle, Martin Circus (première mouture), Total Issue, Zoo, etc., et celle des Téléphone, Trust, Indochine, Béruriers Noirs, etc. Serge Gainsbourg leur donna un coup de pouce en reprenant avec eux Les papillons noirs (écrite dix ans plus tôt pour Michèle Arnaud et enregistrée avec la chanteuse).


BIRD (Ronnie)

Associé à la seconde vague yé yé, Ronnie Bird s’inscrit dans le sillage des groupes anglais du milieu des années 60. On retient Elle m’attend et Où va-t-elle dans une carrière relativement brève. Ronnie Bird est certainement le seul chanteur dans ce genre dont une chanson, Le pivert, ait fait l’objet d’une interdiction sur les ondes des radios publiques avant 1968 pour “atteinte au bon goût et vulgarité” : “Bip bip j’ai un petit pivers / Bip bip que j’lui ai dit / Bip bip un petit oiseau vert / Bip bip il est joli “.


BIRKIN (Jane)

La voix de Jane Birkin se trouve d’abord associée à celle de Serge Gainsbourg (Je t’aime moi non plus, La décadance, 69 année érotique), puis son pygmalion lui écrit des chansons d’une facture souvent “teen ager” qui se retrouveront dans les trois premiers albums de Birkin, ceux des seventies (Di doo dah, Ballade de Johnny Jane, Ex fan des sixties). Dans le troisième disque cependant des titres comme Exercice en forme de z et L’aquoiboniste (“Un aquoiboniste / Qui n’a pas besoin d’occultiste / Pour voir la merde du monde / A quoi bon ”) témoignent d’une autre ambition. Progressivement, à partir des années 80, le statut de Jane Birkin se transforme d’un album à l’autre : la chanteuse, moins présente dans les hits parades (on en excepte Quoi) élargit son public. Toujours écrites par Gainsbourg, les chansons participent de cette mue, vers plus de gravité ou de maturité (Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve, Les dessous chics, Baby allone in Babylone, Amour des feintes). Après la mort de Serge Gainsbourg Jane Birkin lui rend hommage dans “Version Jane”. Puis la chanteuse clôt le siècle avec “A la ligne” : un disque écrit par quelques uns des auteurs et compositeurs les plus en vue de la chanson français du moment.


Black trombone (Serge Gainsbourg)

La mélancolie, chez le “premier Gainsbourg”, est souvent tempérée par une manière distanciée de poser les mots. Cela redoublé ici par le traitement musical du trombone, habituellement associé aux registres plutôt joyeux et bon enfant, mais qui dans Black trombone se prend pour les violons de Verlaine. Où est principalement la noirceur : dans les mots ou la musique ? La musique à priori. En relevant que le trombone qui accompagne le dernier couplet rend plus déchirants les mots suivants : “Black trombone / Monotone / C’est l’automne / De ma vie / Plus personne / Ne m’étonne / J’abandonne / C’est fini “. C’est peut-être ce que l’on appelle l’élégance du désespoir.


BLANCHE (Francis)

Le comédien et l’humoriste sont bien connus. On en oublierait que Francis Blanche a écrit la bagatelle de quelques 400 chansons ! Le retrouver dans le registre parodique de La truite de Schubert, La pince à linge (musique de Beethoven), ou de J’ai de la barbe (Rossini) n’a rien d’étonnant. Apprendre que Francis Blanche est l’auteur de Débit de lait débit de l’eau (avec Trenet), ou de l’antimilitariste Général à vendre ne surprend pas davantage. En revanche on l’attendait moins dans des adaptations de chansons “cow boy” (Le gros Bill, Davy Crokett) ou exotiques (Frénésie, Besame mutcho), voire pas du tout comme auteur du Prisonnier de la tour (“Si le roi savait ça, Isabelle / Isabelle si le roi savait ça / A la robe de dentelle / Vous n’auriez plus jamais droit / Isabelle, si le roi savait ça “). Francis Blanche a même poussé la chansonnette avec Ça tourne pas rond dans ma petite tête (“Faudrait que j’aille à la campagne / Moi ça m’plairait bien / J’aime tellement les fleurs / Pour leur arracher les pétales / J’sais pas c’que j’ai j’aime bien fair’ mal / Depuis qu’mon p’tit frère s’est noyé / Et qu’on dit que j’l’ai poussé “).


BOCCARA (Frida)

Après de bons débuts (Cherbourg avait raison aurait pu se retrouver dans le répertoire d’une Colette Renard), Frida Boccara connaît le succès avec Cent mille chansons, puis Un jour un enfant. En même temps elle se spécialise dans l’adaptation de standards de musique classique : même si c’est Marnay “qui turbine” on reste sur sa faim.


BOLDUC (la)

Marie Travers (épouse Bolduc) joue du violon, de l’armonica, de la guimbarde ou de l’accordéon lors des “Veillées du bon vieux temps” qu’organisent des personnalités appartenant aux milieux de la musique traditionnelle québécoise à Montréal. Un hasard l’amène à interpréter un soir de 1925 la seule chanson dont elle dit connaître les paroles, Y’a longtemps que je couche par terre. La chanteuse improvisée remporte un tel succès qu’elle apprend rapidement d’autres chansons et commence à se produire dans les fêtes et veillées du Québec. Marie Travers se met alors à écrire des textes de chansons sur des airs connus, puis ses propres compositions. Son second disque fait figure d’événement : la Bolduc est née ! Il s’ensuit une période de popularité sans équivalent dans la “belle province” marquée par de nombreux enregistrements et tournées. Cette popularité ne cessera qu’avec la mort de la Bolduc, en 1940. Auparavant un accident de voiture avait mis fin à la carrière scénique de la chanteuse quatre ans plus tôt.

Marie Travers ne serait pas la Bolduc sans la turlure. Cette expression musicale d’origine celtique devient au fil des ans la marque de fabrique de l’interprète. On peut s’en faire quelque idée à l’écoute de l’inénarrable J’ai un bouton sur la langue : “Pis j’ai un bouton sur l’bout d’la langue qui m’empêche de turlurer / Pis ça me fait begay gay gay gay begay gay gay gay bégayer “.


Le bon berger (Pierre Philippe - Yani Spanos)

Le bon berger de cette chanson, extraite du disque “Le rouge et le rose” de Jean Guidoni, n’est autre que le Maréchal Pétain. Un angélique choeur d’enfants chante le refrain suivant : Tous les enfants de France / Ont un second papi / Couronné d’espérance / Et de chêne au képi / Étoile à la houlette / Et moustache enneigée / Petit français répète / Tu es notre berger “. On aura compris qu’il s’agit d’un portrait à charge de la France pétainiste. Dans le tableau familial que nous brosse Pierre Philippe chacun joue dans sa partition, du suiveur au délateur en passant par le milicien. Le narrateur en évoquant sa grand mère (qui dit regretter son mari disparu à Verdun), apporte une note d’ironie féroce : “Car mon grand père est mort fusillé pour l’exemple / Sur l’ordre du bon berger sur l’ordre de Pétain “. Une chanson exemplaire (politiquement parlant).


BONIFAY (Fernand)

Parolier incontournable de la galaxie “exotique”, Fernand Bonifay écrit pour Henri Genès, Annie Cordy, Gloria Lasso, Dalida (Le facteur de Santa Cruz, Les trois bandits de Napoli, Tu n’as pas très bon caractère, Du moment qu’on s’aime, Maman la plus belle du monde, Romantica) avant de se reconvertir dans la “nouvelle vague” des années soixante : Johnny Hallyday (Souvenirs souvenirs, 24 mille baisers) et Richard Anthony (Je me suis souvent demandé), entre autres.


BONTEMPELLI (Guy)

En 1965 le premier disque de Guy Bontempelli ne passe pas inaperçu. Il concilie la chanson d’auteur et le meilleur d’une certaine tradition héritée des années 50. On remarque plus particulièrement La Seine et Rouen, Le mariage d’Angèle, Les yeux cachou, et la superbe Madrid (où tout concoure à la réussite de cette chanson, la musique, l’arrangement, l’interprétation, et bien sûr le texte qui évite quelques uns des clichés ou facilités de la “chanson engagée” en privilégiant l’ellipse : “Est-ce le jour qui point ou est-ce Madrid qui brûle ? / Madrid a-t-elle encore quelque chose à brûler / On fusille peut-être un hôte des cellules / L’incendie qui s’éteint rallume des bûchers “). Les disques suivants ne confirmeront pas ces brillants débuts (on relève cependant Ma jeunesse fout le camp, chantée également par Françoise Hardy et Jean-Claude Pascal), et Quand je vois passer un bateau, qui connut le succès au début des années 70). D’ailleurs Guy Bontempelli (qui écrivait dans les années 60 pour Patachou, Juliette Gréco, Richard Antony) arrête sa carrière de chanteur. Il va écrire pour de nombreux autres interprètes et collaborer avec Éric Charden à la comédie musicale “Mayflower”. Nous sommes loin de Madrid !


BORDAS (Marcelle)

Attention, une Bordas peut en cacher une autre ! Là où la première, Rosa Bordas, celle du XIXe siècle, parut sortir d’un tableau de Delacroix en interprétant, drapeau tricolore à la main, une Marseillaise enfin autorisée au lendemain de la déclaration de guerre de 1870 (mais on retiendra davantage son fameux, “la canaille, eh bien j’en suis !”, de soutien à la Commune de Paris quelques mois plus tard), l’autre, celle du XXe siècle, reste l’interprète (hélas !) de Ah ! que la France est belle ! créée à la fin de l’année 1940. Marcelle Bordas s’était fait connaître auparavant en reprenant un répertoire de chansons du siècle précédent (plus particulièrement celui de Théresa et sa fameuse La femme à barbe). En 1945 elle créa sur scène Les africains (ou Chant de guerre des africains : “C’est nous les africains / Qui arrivons de loin / Nous venons de nos pays / Pour sauver la patrie “).


BOREL-CLERC (Charles)

Le signataire de la musique de La Mattchiche (qui le fait connaître) a été l’un des compositeurs attitrés de Maurice Chevalier (Le chapeau de Zozo, Ma pomme, Ah si vous connaissiez ma poule, La marche de Ménilmontant). On lui doit également les compositions du Train fatal, de Tu verras Montmartre et Ah le petit vin blanc.


BOTTON (Frédéric)

Cet auteur-compositeur est davantage connu à travers les chansons écrites pour des interprètes, très majoritairement féminines, qu’en tant que chanteur où il n’obtint qu’un succès d’estime. Frédéric Botton écrivit pour Régine (La grande Zoa, La java dis donc), Greco (Les pingouins), Dani, Barbara, Annabel Buffet, Zizi Jeammaire. Botton figure parmi les rares auteurs dont les chansons, même défendues par des interprètes très différents, possèdent toutes un air de famille. C’est vouloir dire que Frédéric Botton conservait sa personnalité tout en écrivant pour d’autres.


Boum ! (Charles Trenet)

L’une des chansons représentatives du premier Trenet, “le fou chantant”. Sur un rythme enlevé, dans une tonalité jazzique, Charles Trénet déborde on ne peut plus d’énergie et d’optimisme (“Boum / Le monde entier fait Boum / Tout l’univers dit Boum / Parc’que mon coeur fait Boum-Boum “). Ce n’est certes pas la meilleure chanson de l’intéressé, mais un vers comme (“Et la rue a les yeux qui regardent aux fenêtres “) ne pouvait être écrit que par Trénet.


BOURGEOIS (Gérard)

Compositeur indissolublement lié à Jean-Marc Rivière (l’auteur) dans les années soixante. Le duo écrit pour Juliette Gréco (Un petit poisson un petit oiseau, J’ai le coeur, L’horoscope), Brigitte Bardot (La Madrague, C’est rigolo, Moi je joue), mais également pour Dalida (El Cordobez), Françoise Hardy (L’amitié), Gribouille (Mathias), Serge Reggiani (Il suffirait de presque rien). Durant la décennie suivante le duo se sépare. Gérard Bourgeois compose alors pour Enrico Macias, Daniel Guichard, Nicole Croisille, et quelques autres interprètes dans une relative discrétion.


BOURTAYRE (Jean-Pierre)

Fils du compositeur Henri Bourtayre (La guitare à Chiquita, Fleur de Paris, Baisse un peu l’abat-jour), Jean-Pierre Bourtayre marche sur les traces paternelles en devenant dans un premier temps l’un des compositeurs de la galaxie yé yé : Eddy Mitchell (S’il n’en reste qu’un, L’épopée du rock), Dick Rivers (Baby John), Richard Anthony (Le grand Meaulnes). Il devient ensuite le compositeur attitré de Claude François (Une chanson populaire, Le téléphone pleure, Le chanteur malheureux, Alexandrie Alexandra), puis rejoint l’équipe qui travaille pour Michel Sardou. Il a également composé pour Tino Rossi, Macias, Aznavour.


BOURVIL (André)

Dans la lignée d’un Dranem, Bourvil remet au goût du jour la “chanson idiote” au lendemain de la Libération. Les crayons le font connaître, puis A bicyclette, C’est l’piston et La tactique du gendarme imposent son personnage de benêt ahuri, ses mauvais jeux de mot et son rire de crécelle (c’est d’ailleurs ce rire qui rend La dindon dodue à ce point hilarante). Le cinéma s’en empare. Bourvil reprend à l’écran son personnage : mais dans des films médiocres qui ne facilitent pas la mise à distance. Longtemps après, le “premier Bourvil” séduira un nouveau public (il semblerait que la reconnaissance posthume envers Boby Lapointe en soit en partie la cause) : au point même de faire des Crayons, A bicyclette et autre Tactique du gendarme des chansons cultes !

Second point commun avec Dranem, Bourvil s’essaye ensuite à l’opérette. Pourtant le “second Bourvil” que l’on retient date de La balade irlandaise. Bourvil passe ainsi de la “chanson idiote” à un tout autre répertoire : l’acteur (à qui on reconnaît alors un certain talent dramatique) ayant préparé le terrain. Bourvil crée Berceuse à Frédéric, Salade de fruit, Ma petite chanson, Mon frère d’Angleterre, C’était bien, La tendresse : des chansons qui se situent à des années lumières des titres des années quarante. A partir de l’époque yé yé la carrière cinématographique de Bourvil prend définitivement le pas sur celle du chanteur.


BOYER (Jean)

Le fils de Lucien Boyer est également parolier. Citons C’est un mauvais garçon, Y’a toujours un passage à niveau, Comme de bien entendu, et deux des succès de Maurice Chevalier : Ça c’est passé un dimanche et Ça fait d’excellents français (chansons toutes écrites dans les années trente).


BOYER (Lucien)

Ce montmartrois mérite de passer à la postérité comme auteur de l’hymne officiel de la République de Montmartre (Tu verras Montmartre). Il écrivit pour Mistinguett Valencia et Ça c’est Paris, ainsi que le premier succès de Georges Milton, La trompette en bois. On rappelle qu’il est l’auteur, dans un tout autre genre, de Les goélands immortalisée par Damia.


BOYER (Lucienne)

Parlez moi d’amour, l’une des chansons le plus fredonnée de part le monde dans les années trente, n’a-t-elle pas été pour sa créatrice l’arbre qui cachait la forêt ? Cette fausse chanson 1900 n’est pas véritablement la “scie barbante” que d’aucuns alors évoquèrent mais on comprend l’agacement de Lucienne Boyer qui, de longues années après la création de Parlez moi d’amour (1930) demandait, excédée : “Parlez moi d’autre chose !”. Car il existe une autre Lucienne Boyer, plus intimiste, plus inattendue, moins conformiste : celle de Ta main, Les prénoms effacés, Rêver. Cette interprète a également créée la sombre et dépressive Moi j’crache dans l’eau, de Jean Tranchant. En mettant l’illustrissime Parlez moi d’amour de coté, la postérité a surtout retenu dans le répertoire de Lucienne Boyer deux chansons diamétralement opposées : la “moderne” Chez moi (l’une des meilleures mélodies de Paul Mistraki) et “l’archaïque” Mon coeur est un violon.


BRANT (Mike)

Doté d’une belle gueule et d’un organe vocal puissant (dont il abusait), Mike Brant aligne une série de tubes (Laisse moi t’aimer, Viens dans la lumière, Qui saura, C’est ma prière, Rien qu’une larme) entre 1970 et 1975 (date de son suicide). Une courte carrière pour un répertoire d’une rare médiocrité.


BRASSENS (Georges)

Georges Brassens a très tôt été reconnu comme un auteur-compositeur d’exception. Et un tel répertoire ne pouvait être défendu que par Brassens, l’interprète. Les chansons de ses débuts (enregistrées sur 78 tours en 1952, 1953, 1954) vont vite se retrouver sur de nombreuses lèvres. A consulter cette liste on constate que nombre d’entre elles font aujourd’hui partie du patrimoine de la chanson française. Dans la foulée de La mauvaise réputation (où d’emblée Brassens avoue préférer les chemins de traverse à ceux battus et rebattus par les “braves gens”), La chasse aux papillons, Le parapluie, Les amoureux sur les bancs publics, Brave Margot, J’ai rendez vous avec vous, Pauvre Martin, Chanson pour l’auvergnat, Une jolie fleur, parmi d’autres, deviennent rapidement des classiques. Le gorille, interdite par la censure, se trouve chaque soir acclamée par le public. Hécatombe, dans la même veine, nous livre une indication essentielle : notre chanteur est libertaire (“Mort aux vaches ! Mort aux lois ! Vive l’anarchie ! “). Ce Brassens là (caustique, frondeur, irrévérencieux) peut cependant s’effacer devant un Brassens intemporel, au langage archaïsant, et fin connaisseur de la tradition folklorique : Il suffit de passer le pont, Le vent, Les sabots d’Hélène (ce souillon que “les trois capitaines / (l’) auraient appelée vilaine “ possède les charmes et “l’amour d’une reine “ pour qui saura les trouver) : la première illustration d’un thème récurrent dans l’oeuvre de Georges Brassens.

On évoquera un “premier Brassens” puisque les chansons citées ci-dessus avaient déjà été écrites en grande majorité plusieurs années plus tôt avant d’être gravées dans la cire. A l’évidence des textes (remarquablement écrits, et dans une langue accessible à tous) répond celle des musiques : contrairement à une légende qui prévalut quelques temps Brassens est un excellent mélodiste. Ces chansons qui ne ressemblent à nulles autres trouvent leur public. Un public fervent, exigeant et concerné qui va s’élargir à la faveur des disques suivants. A contrario de Brel, et plus encore de Ferré, l’oeuvre de Brassens, ces fondations posées, s’inscrit dans une continuité. Il n’y a pas de rupture formelle, ni volonté d’arpenter de nouveaux territoires musicaux chez ce chanteur qui jamais n’abandonnera la formule guitare / contrebasse de ses débuts (avec une guitare supplémentaire pour les enregistrements studio). De là cette permanence musicale au sujet de laquelle (du moins durant un temps) certains feront la fine bouche. Mais Brassens ne serait pas le Brassens “classique” évoqué plus haut s’il en avait été différemment.

Georges Brassens n’enregistre aucun disque en 1955. On parlera donc ensuite d’une période de “première maturité (1956 à 1962). Là aussi la liste des “classiques” impressionne : Je me suis fait tout petit, La marche nuptiale (Brassens brosse ici avec talent, émotion et vigueur les pauvres épousailles de ses vieux parents), Au bois de mon coeur, Les croquants et L’orage mettent particulièrement en valeur les qualités mélodiques de Brassens (on retient “les cieux toujours bleus / Des pays imbéciles où jamais il ne pleut “, pour la dernière). En restant dans ce registre musical citons également Dans l’eau de la claire fontaine. Pour la première fois Pierre Nicolas ne pince par les cordes de sa contrebasse mais se sert de son archet pour accompagner la voix et la guitare de l’oncle Georges. C’est moins anodin qu’il n’y paraîtrait : la palette s’enrichit d’une nouvelle couleur. La contrebasse habille la mélodie comme les pétales de roses et le pampre de la vigne vêtent l’ingénue baigneuse. Le lecteur de Villon, “moyenâgeux” attardé dans ce XXe siècle, nous gratifie de A l’ombre du coeur de ma mie. Cette veine médiévale, que Brassens illustrera ailleurs sur le mode paillard, se rapproche ici des chansons de troubadour. On ne la quittera pas celle-ci sans citer ces deux vers, la délicatesse même : “Sur ce coeur j’ai voulu poser / Une manière de baiser”. On pourrait en dire autant de Pénélope en mentionnant ce délicieux “désordre à vos dentelles “ (quand l’ange du désir vient visiter la couche de l’épouse modèle). Autre thème récurrent chez Brassens : la mort et les enterrements. D’aucuns lui reprochaient de trop en parler : avec Les funérailles d’antan ils furent servis ! Et le dernier couplet du Temps passé n’est pas prêt d’être démenti : “La terre n’a jamais produit certes / De canaille plus consommée / Cependant nous pleurons sa perte / Elle est morte, elle est embaumée “.

Un dernier 25 cm boucle cette période. Sur ce disque figurent quatre autres “classiques” dans des genres différents. On y retrouve la Jeanne de l’impasse Florimont, Jeanne (déjà présente dans La cane à Jeanne). Autre évocation, moins nostalgique qu’il n’y parait, celle des Amours d’antan. Brassens passe en revue ses amours d’autrefois comme on déclinerait son identité (sans l’entendre dans le sens de l’état civil) : j’ai eu cette jeunesse-là et nulle autre, chante-t-il. On y gagne l’une de ses chansons les plus attachantes. En ce qui concerne Les trompettes de la renommée la censure veillait et fit le nécessaire pour que ces trompettes-là restent ignorées des auditeurs de la radio. Enfin La guerre de 14-18 (“Moi mon colon, cell’ que j’préfère / C’est la guerr’ de quatorz’ -dix huit “). Et nous donc !

Le premier 30 cm de Georges Brassens date de 1964. Ce disque (ainsi que les deux suivants) représente le sommet de son oeuvre. Cette période, que l’on appellera de “seconde maturité”, comprend des chansons à l’écriture plus élaborée, voire plus complexes. Les titres connus firent d’une certaine façon de l’ombre aux chansons moins accessibles. Le grand public, qui entendit dans ce 30 cm La route aux quatre chansons, Le petit joueur de fluteau, Les deux oncles, et surtout Les copains d’abord, l’un des plus grand succès de Brassens, passa à coté d’un chef d’oeuvre comme Le grand Pan. Et cela vaut aussi pour Le 22 septembre (dont il faut extraire le merveilleux dernier vers : “Et c’est triste de n’être plus triste sans vous “). Ou encore, à l’étage inférieur, de La tondue, Saturne, ou encore Vénus Callipyge : l’exemple même de la chanson que seul un petit nombre de connaisseurs adule.

L’album suivant débute par l’une des cartes de visite de l’auteur, sa Supplique pour être enterré sur la plage de Sète. Autre chanson emblématique de Brassens, La non demande en mariage. Brassens, en s’adressant à “la dame de mes pensées “, devient le porte-parole de ceux qui ne veulent en aucun cas “Effeuiller dans le pot-au-feu / La marguerite “. Il y a comme de l’émotion rentrée dans cette chanson. La contrebasse s’en ferait l’écho : à s’étonner de vieillir ensemble sans toujours vivre ensemble. Ce disque ne se réduit pas bien entendu à ces deux “locomotives”. Citons le réjouissant Bulletin de santé. Aux gazettes qui répandaient le bruit que Georges Brassens se trouvait atteint de “ce mal mystérieux dont on cache le nom “, l’intéressé répondit par la dérision. En ayant recours à l’obscènité pour dire en quoi fondamentalement cette presse était obscène. Le moyenâgeux ensuite. On le savait “foutrement moyenâgeux “ l’oncle Georges. Il en apporte une nouvelle fois la preuve tout en faisant resurgir quelques uns de ses chers fantômes, dont celui de François Villon. Le grand chêne clôt cette liste. On aime cette fable revue et corrigée par Brassens (surtout parce qu’un dénommé La Fontaine crut devoir pour l’éternité livrer le chêne aux lazzis des roseaux).

Le troisième album de cette “seconde maturité” renoue avec l’adaptation de poèmes. La dernière d’entre elles, l’irrespectueuse Marquise (Corneille revisité par Tristan Bernard) datait de 1962. Ici ce sont Lamartine (l’oubliable Pensée des morts) et Richepin (Les oiseaux de passage, une découverte) qui sont mis à contribution. On rappelle que Brassens, principalement au début de sa carrière, faisait régulièrement appel à des poètes : Paul Fort (Le petit cheval, La marine), Villon (La balade des dames du temps jadis), Hugo (Gratizelba) les meilleures d’entre elles. Pour revenir à ce disque sorti en 1969, trois chansons se dégagent, là aussi dans des registres différents. L’ancêtre se situe dans la lignée de ces portraits truculents que Brassens affectionne. Ici le personnage sert plus de prétexte à l’auteur qu’il ne permet la création d’un type. Il s’agit d’un hommage à la musique (la guitare), au vin et au beau sexe. Bécassine reprend l’un des thèmes récurrents de Georges Brassens : celui de la belle qui préfère le manant de son coeur aux nobliaux du voisinage. Une thématique que Brassens renouvelle avec bonheur (“Un champ de blé prenait racine / Sous la coiffe de Bécassine : une chanson qui débute ainsi ne peut pas être mauvaise !). Et puis la perle (malheureusement méconnue) de cet album : Sale petit bonhomme.

Les deux disques qui suivent appartiennent à une “dernière manière” de Georges Brassens. Celui sorti en 1972 peut sembler décevant si on le compare aux trois précédents. Autant du point de vue de l’inspiration (Le roi des cons, voire Fernande) que d’un contenu parfois discutable (Mourir pour des idées). Dommage aussi que Brassens n’ait pas conservé la première version musicale du Blason (entendue auparavant dans une émission radiophonique) que réclamait ce petit joyau. Les meilleurs titres de cet album ne sont pas les plus connus. Citons Stances à un cambrioleur et La princesse et le croque-note : une délicate chanson qui narre la rencontre d’une princesse de 13 ans et d’un homme la trentaine bien sonnée (“Une épave accrochée à sa guitare “). Ce dernier ne répondit pas aux avances de cette “petite fée “ de la zone : “Y a pas pas eu détournement de mineure “. Pourtant, “Passant par là, quelque vingt ans plus tard / Il a le sentiment qu’il le regrette “. L’ultime album de Georges Brassens date de 1976. Il s’agit d’un bon cru, sans plus. On retient la “carte du tendre “ parisienne des Ricochets, une énième volée de bois vert assénée aux Patriotes, les vraies rimes de Une histoire de faussaire, et une plaisante contribution à la chanson de corps de garde, Mélanie. Mais davantage encore Cupidon s’en fout (laquelle chanson nous raconte l’histoire d’un angelot qui n’en fait qu’à sa tête sur l’une de ces mélodies dont Brassens a le secret), et plus encore l’indispensable Don Juan.

Jean Bertola a plus tard enregistré les chansons que Brassens s’apprétait à graver dans la cire. Force est de constater que la tendance observée depuis l’avant dernier disque se confirme : ce n’est pas le meilleur de Brassens. Les deux titres promis à la popularité auraient sans doute été Les cons sont braves et La nymphomane : deux chansons représentatives du “dernier Brassens”. Il manque cependant la voix de l’oncle Georges pour considérer ce disque comme un “Brassens à part entière”. Une absence regrettable pour des chansons de la qualité de Clairette et la fourmi, Entre l’Espagne et l’Italie, Retouches à un roman d’amour à quatre sous, et surtout Le sceptique. On dispose heureusement d’une maquette de la meilleure du lot, La visite (l’une des meilleures réponses, par anticipation, à la xénophobie lepeniste).

Nous n’avons pas ou peu abordé dans l’oeuvre de Georges Brassens l’aspect qui plus que les autres le distingue d’entre ses pairs : la chanson grivoise ou paillarde. Il existe une tradition dans le genre possédant ses lettres de noblesse. Dans les débuts, certains contempteurs de Brassens évoquaient la grossièreté de plusieurs de ses chansons. A leur intention Brassens écrivit le truculent Pornographe. Cette chanson, que l’on classe certes dans le registre satirique, n’appartient pas véritablement aux genres cités plus haut. Mais elle va constituer une sorte de matrice pour quelques uns des titres à venir. Dans cette lignée Les trompettes de la renommée, puis Le bulletin de santé enfonceront le clou. Nous ne quittons pas la veine satirique mais la dimension grivoise n’en est pas absente. La fessée s’en rapproche encore davantage. Cependant cette chanson peut difficilement être reprise lors d’un banquet de carabins. Même chose pour l’irrévérencieuse La religieuse, nous sommes dans une autre tradition : “On ne verra jamais les cornes au front du Christ / Le veinard sur sa croix peut s’endormir en paix “. Et puis vint Fernande (dont il ne parait pas certain qu’elle aurait rencontré pareil succès 20 ans plus tôt). Quatre-vingt-quinze pour cent (“Quatre-vingt quinze fois sur cent / La femme s’emmerde en baisant “). Les posthumes La nymphomane et L’andropose (un remake du Bulletin de santé en moins réussi) cultivent elles le genre gaulois. Ce que n’annonçaient pas nécessairement La mauvaise réputation, Le gorille ou Hécatombe.

En revanche, il convient de s’inscrire en faux contre le “Brassens consensuel” que des commentateurs évoquent avec une certaine complaisance (un portrait auquel, il est vrai, l’intéressé a pu contribuer dans des entretiens). Les chansons de Georges Brassens vont à rebours des idées généralement admises. Il s’agit bien entendu du contenu anticonformiste, antimilitariste ou antipatriotique de nombre d’entre elles. Les deux oncles défrayèrent la chronique en 1964. Cette polémique, que l’on croyait enterrée avec les anciens combattants, resurgit plus de vingt ans après. A la différence près que les reproches venaient de l’autre camp, si l’on peut dire. Au sujet des Deux oncles Philippe Val n’hésitant pas à déclarer (dans les colonnes des “Inrockuptibles”) : “Brassens, politiquement, c’est profondément la droite, même s’il y a chez lui un individualisme qui n’est pas de droite”. Certes il y a un coté individualiste revendiqué chez Brassens qui s’exacerbe en quelque chose dans cette chanson (ou Mourir pour des idées, autre titre épinglé par Val, ou encore Le pluriel). Val aurait été mieux inspiré de dire que Brassens n’était pas de gauche au sens où lui l’entend (ou l’entendait). En tout cas pas de cette gauche molle, morale et capitularde dont Val et consort se réclameraient. Brassens, il va de soi, n’affichait pas plus des “idées de gauche” qu’une forme quelconque d’engagement (il avait auparavant été membre de la Fédération anarchiste durant la seconde moitié des années quarante, et, à l’exception de la violence, ses idées étaient restées généralement les mêmes). Et puis l’antipatriotisme, l’anticléricalisme, le sentiment de l’injustice sociale, le refus de l’autorité, du mariage, de l’ordre établi, la dénonciation de l’hypocrisie chrétienne devant la mort, celle de l’intolérance, et plus généralement de tous les conformismes ne classent nullement à droite. Seul un imbécile peut s’exprimer ainsi. Si malentendu il y a, il tient principalement en ceci. Brassens est d’emblée apparu comme le contempteur des biens pensants. En même temps la censure veillait : plusieurs chansons de l’auteur de Je suis un voyou se trouvèrent interdites d’antenne. Un demi siècle plus tard, le type de bien pensant qui détestait le Brassens des débuts à pratiquement disparu. Mais pas la “bien pensance” proprement dite qui relève aujourd’hui de critères différents. Georges Brassens a toujours enfoncé les mêmes clous sans, dans un second temps, véritablement prendre en compte l’évolution de la société diront certains, ou se soumettre à la pression de l’actualité pour d’autres. Quoi qu’il en soit ses chansons sont donc devenues moins “dérangeantes” pour les nouvelles générations.

On reconnaîtra qu’il s’agit d’un problème dépassant le cas Brassens. Cependant il est un domaine où ces considérations n’ont pas lieu d’être. Du Fossoyeur à Trompe-la-mort en passant par Le testament, Oncle Archibald, Grand père, Les funérailles d’antan, La balade des cimetières, Supplique pour être enterré sur la plage de Sète, Brassens raille la “grande faucheuse”, ses pompes et ses oeuvres, et plus particulièrement la “comédie sociale” des obsèques. A ce titre, est-il chanson plus subversive que Les 4 z’arts ? : “J’ai compris ma méprise un petit peu plus tard / Quand allumant ma pipe avec le faire-part / J’m’aperçus que mon nom comme celui d’un bourgeois / Occupait sur la liste une place de choix / J’étais le plus proche parent du défunt, bravo “. Imagine-t-on cette chanson passant sur une grande chaîne de télévision, en “prime time” !

Alors que nous bouclons ce Dictionnaire, nous apprenons qu’une bande de fâcheux, de maroufles, de jean-foutre se réclamant de Brassens propose d’élever une statue de l’Oncle Georges à Paris (et à Sète). L’oeuvre et la personne de Georges Brassens représentent pourtant le meilleur des démentis à pareille incongruité. Tout devrait être mis en oeuvre pour empêcher ce fichu projet de se réaliser. Dans le cas contraire nous serions, comme le chante Brassens, “tombé bien bas, bien bas... “.


BRECHT (Bertold)

Cette présence, dans un dictionnaire consacré à la chanson française (et cela vaut aussi pour Kurt Weill), peut surprendre. D’autant plus qu’il s’agit ici de “songs” écrit à l’origine en langue allemande (laquelle, à l’aune des adaptations de chansons étrangères en français, se situe loin derrière l’anglais, l’italien, et même l’espagnol). D’autre part ces “songs” sont extraits dans leur quasi totalité des opéras “Mahagonny”, “L’opéra de quatre sous”, “Happy end” : entre la musique classique (ou contemporaine) et la chanson proprement dite.

Le cinéma (l’adaptation française du film de Pabs, “L’Opéra de quatre sous”) fait connaître une partie de ces “songs”, interprétés à l’écran par Albert Préjean et Florette. Puis Marianne Oswald et Lys Gaudy vont défendre ce répertoire dans les années trente. Après la guerre, Yves Montand (qui popularise Bilbao song) et plusieurs autres interprètes apparus dans les lendemains de la Libération reprennent ces chansons encore peu connues. Le style brechtien, ce mélange de critique sociale, de fausse sentimentalité et de vraie causticité, a également laissé des traces dans la chanson française de l’après guerre. Ce genre possède des points communs avec la chanson réaliste d’avant-guerre si l’on se réfère à la galerie de personnages que tous deux convoquent, mais s’en éloigne par son ironie distanciée.

Brecht raconte des histoires qui ont un caractère universel. C’est l’une des raisons pour lesquelles ces “songs” prennent naturellement place dans le paysage de la chanson française des années trente, et plus encore à la Libération où elles atteignent le grand public. D’ailleurs beaucoup d’auditeurs ignoraient que ces chansons étaient adaptées de l’allemand. Enfin ce n’est pas tout à fait par hasard que les meilleures interprètes de MM Brecht et Weill, Catherine Sauvage et Pia Colombo, voire Germaine Montero soient également des comédiennes.


BREL (Jacques)

Jacques Brel, contrairement à Georges Brassens, ne s’est pas trouvé d’emblée. Un monde, ou presque, sépare le Brel des premiers enregistrements de celui qui, à partir des années soixante, écrira ces chansons que la postérité retiendra. Il importe pour comprendre une telle évolution de revenir sur les débuts d’une carrière certes prometteuse mais dont on était loin de supposer qu’ils mèneraient Jacques Brel à la place qui est la sienne aujourd’hui. Ces premières chansons (enregistrées de 1954 à 1957) nous introduisent dans l’univers d’un auteur-compositeur-interprète que d’aucuns appelèrent “l’abbé Brel”. Même s’il y a parfois un ton chez lui qui peut l’expliquer cela ne rend pas véritablement justice au “Grand Jacques”. Brel ne veut pas tant sauver le monde qu’inviter tout un chacun à mieux le regarder pour en découvrir s’il y a lieu les beautés : telle Il nous faut regarder. Ce qui n’exclut nullement la révolte (Il pleut : “Les carreaux de l’usine / Moi j’irai les casser “), ni un regard caustique sur ce même monde (Le diable). Coté orchestration les arrangements musicaux laissent à désirer (exceptés ceux de Michel Legrand). La présence ici ou là de la guitare nous remet en mémoire que Jacques Brel, ces années là, s’accompagnait sur scène de cet instrument. D’un ensemble disparate il faut extraire Sur la place. Nous abordons ici un thème brelien par excellence : la fille qui danse et chante “sur la place chauffée au soleil “ (une métaphore du “bon dieu “, de “l’amour “, du “jour “, de “la bonté “), que les hommes refusent de voir et d’entendre car “Nous n’aimons pas les réveils / De notre coeur déjà vieux “. En définitive ce premier Brel se caractérise d’abord par son idéalisme. Ceci va perdurer encore un temps, en particulier avec quand on a que l’amour, le premier véritable succès de Jacques Brel.

Une évolution se dessine à partir du 25 cm sorti en 1958. On retrouve le Brel des disques précédents avec La lumière jaillira, L’homme dans la cité, L’aventure, voire la contagieuse Au printemps. Mais l’intérêt de ce 33 tour réside principalement dans deux titres : Je ne sais pas (qui possède la pointure des Brel à venir), et Litanies pour un retour (chanson d’une étonnante modernité : la longue énumération sur le mode possessif de la femme aimée venant se briser sur le dernier vers, “Voilà que tu reviens “). Ce disque marque la début de la collaboration entre Jacques Brel et François Rauber. Ce dernier écrira par la suite tous les arrangements des chansons enregistrées par Brel. Rauber n’est pas étranger à la réussite de Je ne sais pas en ayant su trouver la couleur musicale mélancolique réclamée par le texte. Avec le disque suivant on parlera plus volontiers de rupture. Sur ce 33 tour figure Ne me quitte pas. Ici Brel atteint une autre dimension : rien ne sera plus comme avant. Cette célébrissime chanson assoit définitivement la renommée de son auteur. Sur le même disque La valse à mille temps et Les flamandes précédèrent pourtant Ne me quitte pas dans la ferveur publique. Ces trois chansons vont donner le ton dans une oeuvre qui se souviendra de la virtuosité verbale de la première, de la charge satirique de la seconde, et du climat poétique de la troisième. Deux autres chansons doivent être mentionnées : La colombe et Seul. Chanson reprise un peu plus tard par Joan Baez, La colombe s’insurge contre la guerre, sur un mode encore idéaliste. Le sarcasme viendra dans le prochain disque. Dans Seul Brel brosse le tableau de cette “comédie humaine” dont il sera durant la décennie suivante l’un des peintres les plus féroces. La progression dramatique (héritée de Quand on a que l’amour) met en valeur les qualités vocales du chanteur. Un art unique, de l’interprétation, est par cela même en train de naître.

L’album suivant, qui introduit les années soixante, reste dans cette continuité. Les prénoms de Paris, Le moribond, Mariecke, On n’oublie rien, ou l’étrange Vivre debout contribuent encore davantage à la notoriété de Jacques Brel. La chanson la moins connue du disque, Les singes, aurait mérité un meilleur sort. Pour la première fois (et sur quel ton, et avec quelle violence !) Brel se livre à une attaque en règle contre la société des “singes civilisés “, c’est à dire la notre. Véhémence et sarcasme font bon ménage, et le tout s’avère réjouissant. Un ton au-dessus, l’album qui suit inaugure les chefs d’oeuvres de la maturité de Jacques Brel (il en sera de même jusqu’à l’ultime disque, à une exception près peut-être). Les bourgeois, Madeleine (interprétées toutes deux sur scène avec maestria), Bruxelles (qui possède le charme des vieilles cartes postales), font aujourd’hui figure de “classiques”. C’est également le cas du Plat pays, l’une des pièces à verser au dossier “la chanson est-elle un art mineur ou pas ?” : celle-ci évoque la toile d’un “petit maître flamand” égaré dans ce siècle, ou un Verhaeren assagi. Mais c’est d’abord la touche de Brel, unique. Il faut également citer Les paumés du petit matin (autre grand moment d’interprétation), et Zangra cette perle.

Le cru suivant (1963) s’avère du même tonneau. Un quatuor se détache : La Fanette, Les fenêtres, Les toros, Les vieux. A l’écoute des Fenêtres tout Brel est là, ou presque, dans cette incomparable chanson. En prenant la fenêtre comme métaphore, l’auteur convoque les postures et les impostures de ce monde. Ces différents tableaux bénéficient de surcroît d’un accompagnement musical accordé à la truculence des peintres flamands. Les toros, ensuite. Comment mieux dire ! De la corrida à la guerre, il n’y aurait qu’un changement d’uniforme. Cela dit, il y a belle lurette que les toros nous ont pardonnés : “En pensant à Carthage, Waterloo, et Verdun, Verdun ! “. Les vieux, pour finir, l’un des chevaux de bataille de Brel. : justesse du ton, universalité du trait, bonheur de l’expression (“Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin / Traverser le présent en s’excusant déjà de n’être pas plus loin / Et fuir devant vous la pendule d’argent / Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit je t’attends “).

Le 25 cm du printemps 64 contient quatre “grands classiques” breliens : Au suivant, Jeff, Mathilde, et des Bonbons plus acidulés qu’il n’y parait. Une pochade où Jacques Brel excelle. Bien aidé une fois de plus par l’impeccable orchestration de François Rauber. A chaque réécoute de Mathilde comment ne pas revoir Brel la chanter sur scène ? Comment oublier les mains du chanteur (“Et vous mes mains restez tranquille / C’est un chien qui nous revient de la ville / Mathilde est revenue”). Jeff inaugure une trilogie qui comprendra Fernand, puis Jojo. Dans cette merveilleuse chanson sur l’amitié, il est également question du temps qui passe et des regrets qu’accompagnent l’évocation de la jeunesse. On joindra à ce quatuor deux chansons moins connues : A mon dernier repas et Le Tango funèbre. Un Dernier repas entrecoupé de “paillardes romances / Qui font peur aux nonnettes “ et s’achevant en insultes adressées aux bourgeois, avec lancement de pierres vers le ciel : “En criant Dieu est mort / Une dernière fois “. Un autoportrait en quelque sorte. Nous restons dans une tonalité voisine avec Le Tango funèbre. Brel a pourfendu l’hypocrisie toute sa vie. Cette chanson en représente l’un des meilleurs témoignages. Sa verve s’exerce ici à l’égard de cette “comédie” qui précède et accompagne “le dernier hommage rendu à un mort” ? Le sentiment de Brassens sur la question est bien connu. Brel le rejoint ici. On apprécie le savoureux, “Pensent au prix des fleurs / Et trouvent indécent / De ne pas mourir au printemps / Quand on aime le lilas “).

L’enregistrement de novembre 1964, public celui là, est restée célèbre. Jacques Brel y créait l’une de ses chansons “immortelles”, Amsterdam. Il n’existe sans doute pas d’accueil dans l’histoire du music-hall comparable à celui que Brel reçut du public à l’Olympia, lors de la création de cette chanson. Nous ne sommes pas prêt d’oublier les derniers vers : “Se plantent le nez au ciel / Se mouchent dans les étoiles / Et ils pissent comme je pleure / Sur les femmes infidèles “. Brel est alors au sommet de son art et se maintient sur ces cimes un an plus tard, lors de la sortie de ce qui sera son dernier 25 cm. Ce disque témoigne de l’évolution pessimiste de Jacques Brel : plus noir, plus grinçant, plus désespéré (l’une des chansons s’appelle d’ailleurs Les désespérés), à l’instar de Ces gens là, L’âge d’or et Fernand. Le truculent Jacky s’apparente à un exercice autobiographique (ou les adieux par anticipation de Brel à la scène : la faconde et le rythme endiablé de l’interprète faisant un tabac auprès du public). Avec L’âge d’or Brel nous propose une énième variation sur le thème “le temps ne fait rien à l’affaire”. Avec comme promesse d’âge d’or l’horizon indépassable de la mort (ou de “la dernière caserne “, pour rester dans le ton de la chanson).

Jacques Brel fait ses adieux à la scène durant l’automne 1966. Il y interprète à l’Olympia plusieurs chansons qui seront gravées dans la cire quelques mois plus tard. Il s’agit d’un disque de transition, presque apaisé en regard des albums précédents. Quatre titres sortent du lot. Mon enfance, la chanson la plus ambitieuse de ce cru 67, traite de l’enfance d’un jeune bourgeois “mal dans son milieu” (“Je m’étonnais surtout / D’être de ce troupeau / Qui m’apprenait à pleurer / Que je connaissais trop “), Le gaz (où Brel reprend la forme “crescendo” délaissée depuis plusieurs années), Le cheval (fable amère et grinçante sur les servitudes du métier d’artiste). Reste le cas de La chanson des vieux amants, plébiscitée par le public. Il s’agit d’un beau texte (ne serait-ce que “Bien sûr tu pleures un peu moins tôt / Je me déchire un peu plus tard / Nous protégeons moins nos mystères “). Les réserves portent sur la musique quelque peu emphatique du refrain. Ce qui est rare chez le Brel de la maturité. Et l’orchestration s’en ressent.

A l’automne 1968, Jacques Brel reprend le chemin des studios. Il y enregistre un album qui, quoique inégal, fait date une fois de plus. Si Vesoul remporte un grand succès (la virtuosité de La valse à mille temps mise au service d’un exercice de dérision), cette chanson contribue à rejeter plus ou moins dans l’ombre des titres de l’importance de J’arrive, Je suis un soir d’été, Regarde bien petit et L’éclusier. A l’écoute de J’arrive on mesure ce qui sépare le premier Brel de celui-ci. Les questions d’autrefois, avec leur part de naïveté et d’idéalisme, reçoivent des réponses définitives et sans appel. Et puis, au-delà des mots qui fouaillent le souvenir, par delà les regrets, surnage cette couleur désespérément grise. Qui d’autre que Jacques pouvait écrire Je suis un soir d’été ? On sent la chaleur de l’été et une moiteur à l’avenant. Même l’accompagnement musical (excellent) parait accablé par cette atmosphère lourde, juste rafraîchie par le chant d’une femme dans le lointain. Du réalisme cru ! Regarde bien petit lorgne du coté romanesque (pour l’histoire), voire du coté cinématographique (question : que mettre dans le cadre ?). Un art de la suggestion que l’on trouve rarement en chanson. Un disque essentiel en définitive. Mais Brel pouvait-il encore aller plus loin dans ce registre pessimiste ?

On crut longtemps que Jacques Brel avait mis un point final à sa carrière discographique en 1968. Un beau jour de 1977 parviennent les chansons d’un ultime album. Une indécente, envahissante et insupportable campagne promotionnelle fait craindre le pire. Ce matraquage parait plutôt inquiétant s’agissant de Brel. Des craintes heureusement non fondées. Au vu du résultat nous ressentons même l’impression que le meilleur de Brel se trouve en quelque sorte concentré dans cet album presque posthume (Jacques Brel mourra un peu moins d’un an plus tard). Ce disque se situe dans la continuité du précédent pour l’aspect “noirceur de l’existence” de plusieurs chansons. D’autres titres font cependant retour sur quelques unes des thématiques les plus présentes de l’oeuvre de Jacques Brel. Une complainte, Jaurès, ouvre cet album : il s’agit d’une évocation sensible de la vie des “gens d’en bas”. La ville s’endormait ou une métaphore de l’existence à travers la description d’une ville s’endormant : entre enchantements et désenchantements. Vieillir, rétrospectivement, s’écoute avec une autre oreille (“Mourir face au cancer / Par arrêt de l’arbitre “). Mais l’intérêt est ailleurs. On y entend une fois de plus cette rage qui a toujours habité Brel, ce refus de s’installer dans quelque certitude qui soit, et un dernier pied de nez adressé à la mort. Knoke-le-Zoute tango (sur le modèle de Madeleine) tient du tour de force. Celui de transformer un Tartarin du plat pays, Don Juan de pacotille et insupportable macho, en un personnage pathétique et bouleversant : pitoyable victime prise au piège de ses rodomontades. Jojo clôt la trilogie de l’amitié (après Jeff et Fernand : “Six pieds sous terre Jojo, tu frères encore “. Et puis l’inoubliable Orly...

Jacques Brel n’a pas échappé aux critiques à ses débuts. Celles-ci pourtant cessèrent au fur et à mesure que le chanteur s’affirmait, devenait l’un des “grands” de la chanson. En ce début de XXIe siècle, par delà l’éminente qualité de son répertoire, le “Brel public” rallie tous les suffrages. Il est cependant une critique qui n’a pas désarmé (et qui aurait même amplifié de disque en disque) : Brel et les femmes. La misogynie n’est certes pas absente dans l’oeuvre du chanteur. En reprenant le répertoire du “Grand Jacques” depuis le début force est de constater que cette “thématique misogyne” se trouve circonscrite à quatre ou cinq chansons. Ce qui signifie qu’elle s’avère moins récurrente que celles qui traitent par exemple de la mort, de l’enfance, de l’antimilitarisme, de la bêtise, de l’anticléricalisme, ou de l’embourgeoisement. Cette liste comprend Les biches, Les filles et les chiens, Le lion, La ville s’endormait. C’est surtout Les filles et les chiens qui contribua à la réputation d’un Brel détestant les femmes. On reconnaîtra que la comparaison (en faveur des chiens) parait autant déplacée que discutable. Cette chanson est indiscutablement misogyne, mais on peut également y entendre une déception à la mesure des exigences contrariées du chanteur envers le beau sexe. En tout cas Brel ne prenait pas de gants pour appeler un chat un chat. Aujourd’hui, à l’aune du “politiquement correct” ambiant, nul chanteur ne se hasarderait à reprendre de tel couplets. C’est encore plus vrai pour La ville s’endormait : “Mais les femmes toujours / Ne ressemblent qu’aux femmes / Et d’entre elles les connes / Ne ressemblent qu’aux connes / Et je ne suis pas bien sûr / Comme chante un certain / Qu’elles soient l’avenir de l’homme “. Il parait plus confortable, voire gratifiant de chanter “la femme est l’avenir de l’homme” en alignant des couplets qui ne mangent pas de pain. Jacques Brel, nous voulions en arriver là, ne possédait pas une once de démagogie. Cependant le tableau esquissé ci-dessus resterait incomplet si nous ne citions pas, aux deux extrémités de la carrière de Jacques Brel : Sur la place et Orly. Dans la première chanson la femme s’incarne dans cette “flamme” que les hommes ne savent voir parce qu’elle dérange habitudes et conformismes. Dans la seconde “elle ” devient la victime par excellence de la machine sociale : “La revoilà fragile / Avant que d’être à vendre “.


BRIDGE (Billy)

L’importateur en 1962 du madison dans l’hexagone. La carrière de Billy Bridge (appelé “le petit prince du madison”) ne dépassa pas le temps de célébrité de cette danse. Billy Bridge eut cependant le temps de créer Madison flirt, Ça c’est l’madison, En twistant le madison, Madison boulevard, et la cultissime Le grand M (“Faites M / Faites MA, hmm / Faites MAD, oui ! / Faites MADI / M.A.D.I.S.O.N, c’est le madison / Ouais ! Yé ! Humm wow ! “).


BRUANT (Aristide)

Aristide Bruant appartient davantage au XIXe siècle qu’au XXe. La très grande majorité des chansons de son répertoire date de la période 1880-1900 (relevons cependant deux “chansons cultes” crées au début du vingtième siècle : Nini-peau-d’chien et Rose blanche), et Bruant abandonne progressivement la scène à partir de 1900. Sans nier son influence (que l’on retrouvera plus tard chez le “premier Renaud”, mais qui parait exagérée dans le domaine de la chanson réaliste) Bruant aura été chanté tout au long du XXe siècle. De ce point de vue là les années 50, voire 60 représentent un âge d’or pour Aristide Bruant. Il y avait certes Prévert dont la poésie se trouvait en prise directe avec l’époque, mais Bruant représentait l’un des pôles majeur d’un genre que les “années folles”, puis le renouveau de la chanson française dans les années 30 avaient mis à distance (Bruant devenant une sorte de “classique”). En revanche, toute une génération campant sur les deux rives (gauche et droite) redonnait une nouvelle vie à un répertoire qui n’avait pas pris un coup de vieux (contrairement aux chansons les plus en vue de la “belle époque”) : les Frères Jacques, Patachou, Germaine Montero, Colette Renard, Monique Morelli l’illustrent parmi d’autres.

En son temps Aristide Bruant a été salué par de nombreux écrivains. Citons Henri Duvernois : “Il y a dans les vers de Bruant une menace et un cri - le cri de ceux qui ont roulé dans le ruisseau parce qu’on les y a doucement poussés, parce qu’ils y sont nés, parce qu’on ne veut pas les en sortir, afin de pouvoir encore tonner contre le vice inhérent de l’homme”. Et Jules Lemaître : “Bruant possède la voix la plus coupante, la plus métallique que j’ai entendue... Une voix d’émeute et de barricade, à dominer le rugissement des rues un jour de révolution, une voix superbe et brutale, qui vous entre dans l’âme comme un coup de surin dans la paillasse d’un pantre”.


BRUEL (Patrick)

Patrick Bruel chante depuis 1982, mais c’est en 1989 avec la sortie de l’album “Alors regarde” (où figurent Casser la voix, Place des grands hommes, Décalé) que sa carrière décole vertigineusement. Il s’ensuit un étonnant phénomène de Bruelmania n’ayant qu’un rapport lointain avec les “qualités” de ce disque. Quelques années plus tard le soufflet était retombé. C’est ainsi que Patrick Bruel s’en alla draguer les grands mères et arrières grands mères des gamines qui se pâmaient pendant ses concerts avec un disque de reprises de chansons des années 30 et 40. Mais ceci est une autre histoire que l’on racontera dans un siècle.


BUFFET (Eugènie)

Même si la chanson la plus connue d’Eugénie Buffet, La sérénade du pavé (“Sois bonne, oh ma chère inconnue / Pour qui j’ai si souvent chanté “) date de 1894, son interprète l’a plusieurs fois enregistrée (le dernier enregistrement date de 1933, l’année précédant sa mort). Eugène Buffet commence par chanter dans les rues avant de connaître le succès avec cette même Sérénade du pavé. Elle interprète Richepin, Botrel, Bruant, et aussi Déroulède. Cette personnalité attachante et altruiste (Eugènie Buffet se dépense sans compter pour soulager le sort des soldats blessés pendant la guerre de 14-18, et chante gratuitement pour les plus pauvres), défend des idées royalistes et participe un temps aux activités des Croix-de-Feu. On lui doit l’invention du genre “pierreuse” (une préfiguration de la chanson réaliste illustrant la misère sociale et affective des femmes). Vers la fin de sa vie Eugènie Buffet sera confronté à cette pauvreté qu’elle avait si souvent chantée.